CHAPITRE 1 - UNE ENFANCE COMME LES AUTRES

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Marie était une petite fille heureuse, entourée, choyée. Née au début des années 1950, elle vivait en Dordogne avec ses parents. Sa mère était sans profession donc mère au foyer et son père était fonctionnaire. Son bureau était chez lui, il travaillait depuis son domicile.

A l'époque, il n'y avait pas de centres administratifs, comme de nos jours dans les cités Administratives et autres, sauf dans les grandes villes. Souvent les employés de la Fonction Publique avaient leur bureau dans une partie dédiée de leur domicile et les épouses n'avaient pas le droit d'exercer de profession. C'est bien dommage, car un deuxième revenu au foyer aurait été utile. Marie ne manquait de rien, mais il n'y avait pas de superflu.

Marie et ses parents vivaient tous les trois dans une petite ville, en Dordogne. Elle se souvient de cette grande maison, qui devait être louée car ses parents n'avaient pas les moyens d'être propriétaires. Cette maison avait les chambres à l'étage, et au rez-de-chaussée, il y avait le séjour d'un côté du couloir et la cuisine de l'autre côté. Ce grand couloir était séparé par une porte à double battants, pour séparer la partie privée de la partie publique réservée au bureau et aux archives pour le travail de Jean, le papa. Une petite route longeait toutes les maisons différentes et construites en enfilade ; chacune avait un jardin devant et un petit jardin au bord de l'eau, de l'autre côté de la rue. Bordé par un muret, le petit jardin surplombait la rivière qui s'écoulait en dessous. Chaque maison avait ainsi son petit jardin au bord de l'eau , très rafraîchissant l'été. Après le déjeûner de midi, souvent son papa allait installer une ligne au bord de la rivière et le soir, après le travail, Marie allait avec lui voir si les poissons avaient mordu. Son grand plaisir était de voir que parfois il y avait une belle anguille ferrée et elle savait qu'elle allait se régaler.

Bien qu'elle n'eût pas tout à fait l'âge de rentrer à l'école maternelle, elle y avait été quand même acceptée mais uniquement l'après-midi. Elle avait été inscrite à l'école de bonne heure car, sans frère ni soeur, elle s'ennuyait un peu et aimait la compagnie des enfants dès qu'elle en avait l'occasion. Sa petite école n'étant pas très loin, en début d'après-midi ses parents l'y accompagnaient à pied et Marie y allait avec son petit vélo qu'ils ramenaient ensuite à la maison.


La vie passait ainsi, faite de petits bonheurs. Dans les années 1950, le jour sans école était le jeudi. Ce jour-là, il y avait le marché le long de la route nationale qui longeait la rivière au milieu des platanes bordant cette route. C'était le jour où Marie et sa maman, en allant faire les courses, passaient voir les camelots et il y avait toujours le stand du bazar que l'on appelait Le Tout à 100 francs car, en effet, presque tous les articles de pacotille coûtaient 100 francs, ce qui était très peu cher pour les clients et très alléchant pour les enfants. Maman achetait toujours une petite bricole à Marie, si elle l'avait méritée, bien sûr, ce qui lui procurait toujours un grand plaisir : une boîte de crayons de couleurs, un petit jouet, une petite balle, une corde à sauter...


A la maison, ses parents lui avaient aménagé un petit coin dans la cuisine, où se tenait le plus souvent sa maman. Un petit pupitre en bois, comme à l'école, qu'elle affectionnait beaucoup, près de la fenêtre. Dans ce pupitre étaient rangés tous ses petits secrets, objets fétiches, trésors, images, albums, tout ce qu'il fallait pour colorier, bricoler, couper, coller. Bientôt il allait falloir apprendre à lire et à écrire et Marie était prête.

Quand le moment des vacances arrivait, c'était un grand moment ! Cela se préparait bien à l'avance. La famille partait sur le Bassin d'Arcachon, en camping et donc il fallait s'occuper de tout le matériel -la tente, la vaisselle, le couchage - chacun avait son rôle bien établi, son papa s'occupait et tout ce qu'il fallait pour les loisirs, sa maman, Thérèse, prévoyait les vêtements et autres petits matériels. Le chien Duc, un cocker assez caractériel, faisait également partie de l'expédition.


Jean aimait beaucoup pêcher en rivière et à la mer aussi. Avec l'aide d'un voisin et ami, Il avait construit un petit bateau en bois qui fonctionnait avec des rames. Ce voisin, passionné de bateaux, était très outillé pour la fabrication de gros bateaux qu'il faisait pour aller lui-même à la pêche au gros en mer et donc Jean pouvait profiter de l'atelier et du matériel. Son petit bateau faisait également partie des préparatifs et du voyage car il était transporté sur une remorque tractée par la voiture : une belle Simca « une Arronde », elle était bleu foncé. Le siège avant était une banquette d'un seul tenant, et Marie pouvait être installée entre papa qui conduisait et maman passagère à droite.


Pour Marie, cette période était synonyme de grande effervescence. Le Bassin d'Arcachon était loin depuis le fond du département de la Dordogne et cela relevait de l'expédition. Elle était toute excitée. Elle allait faire connaissance et jouer avec d'autres enfants et son cousin Mathias allait venir passer les vacances avec eux. Ils s'entendaient très bien, bien qu'il fût de huit ans son aîné, ils étaient comme frère et soeur. Il avait vécu une partie de sa petite enfance avec Jean et Thérèse, les parents de Marie jusqu'à arrivée, puis chez ses grands-parents maternels. Il avait pourtant ses propres parents et deux frères, élevés eux par les parents, mais pas lui ! Quand ils arrivaient près du Cap-Ferret, Marie se souvient de l'odeur des aiguilles de pins et de la résine qui chauffent au soleil, les cigales dans les pins - il n'y en a pas qu'en Provence - le paysage qui changeait avec les dunes de sables, les forêts de pins ; elle aimait beaucoup tout ça et se sentait bien en arrivant, ça lui manquait. Les campings pendant les années 1960, étaient agréables et tranquilles, mais chaque année ils devenaient de plus en plus fréquentés. La promiscuité et le sans-gêne des autres campeurs dérangeaient beaucoup toute la famille et à vrai dire, Marie aussi. Alors les vacances étaient partagées entre un peu de camping et un peu chez les grands-parents paternels qui habitaient également sur le Bassin d'Arcachon, mais dans une autre commune.


C'est le début de l'année1960.  Cette année-là, Marie ne l'oubliera jamais. L'Administration, qui dépend du Ministère des Finances, a regroupé différents services et Jean, le papa de Marie a du abandonner son service de l'Enregistrement chez lui, qui a fusionné avec d'autres services fiscaux, pour venir travailler dans une cité administrative dans une autre ville de Dordogne. Avant cela, il avait été envoyé à Paris pour suivre un stage de plusieurs semaines et se former à ces nouvelles responsabilités. C'est juste avant de partir à Paris, que la Vézère, la rivière qui passe devant le petit jardin au bord de l'eau, a débordé, occasionnant de graves inondations. Cette rivière a toujours eu la facheuse habitude de sortir de son lit, tout le monde y était accoutumé. La nuit quand on entendait la sirène des pompiers, il fallait s'en inquiéter. Mais cette nuit-là, c'était plus grave. Marie se souvient qu'elle avait été réveillée en sursaut un matin de bonne heure, par ses parents qui étaient entrain de monter dans sa chambre des meubles qui étaient au rez-de-chaussée. Toute la nuit ils ont été en alerte car le niveau de la rivière montait de plus en plus, jusqu'à sortir de son lit. L'eau avait traversé le petit jardin au bord de l'eau, la route, le jardin devant la maison, et envahi l'intérieur de la maison jusqu'à atteindre un mètre vingt dans tout le rez-de-chaussée. Heureusement qu'il y avait l'étage suffisamment grand pour y monter quelques meubles. Toute la journée, on voyait passer devant la maison des troncs d'arbres, des morceaux de hangards et toutes sortes de matériel, que le courant transportait. Dans la soirée, comme l'eau montait toujours, les pompiers étaient venus en barque évacuer toute la famille et même le chien. Tout le monde a été hébergé chez des amis dans le haut du bourg. D'autres personnes avaient été évacuées aussi par hélicoptères depuis le toît de leurs maisons. Le voisin, qui fabriquait ses bateaux, a même aidé les pompiers à faire les sauvetages avec ses propres bateaux de pêche qui étaient plus puissants que les barques des pompiers.


Donc après cet épisode inoubliable et le stage de Jean à Paris, comme beaucoup de fonctionnaires, dont faisait partie le papa de Marie, il a été muté dans une autre ville en Dordogne et cela impliquait un déménagement et un changement de vie total pour une petite fille. Déjà pour les parents cela demandait une organisation importante. Elle allait habiter une ville qu'elle ne connaissait pas et aller dans une nouvelle grande école. Ce déménagement ne va pas être le seul, car en dix ans, Marie et ses parents ont déménagé environ cinq fois dans la même ville heureusement, pour différentes raisons.


Le lieu des vacances a également changé. Après les péripéties des campings, les parents de Marie ont trouvé une autre solution : celle de louer un petit terrain et d'y faire installer un cabanon démontable, telle était la condition pour en être locataire. Là, ce n'était que tranquillité, avec quelques voisins à la retraite qui habitaient à l'année, un lac et l'océan tout près, on pouvait inviter la famille, les amis, la liberté ! Elle y a passé de formidables moments mémorables.


En 1970, Marie avait 18 ans et pour des raisons à nouveau professionnelles de son père, il a fallu cette fois changer de département. Là, Marie n'avait plus le moral ; elle devait laisser tous ses amis, qu'elle ne verrait sans doute plus....la vie est ainsi faite, malgré le courrier et le téléphone, on dit souvent "loin des yeux, loin du coeur". Et bien sûr, la correspondance n'a pas duré avec ses amis car elle n'a jamais eu l'occasion de revenir ni de les revoir et chacun a poursuivi sa vie de son côté ; les contacts se sont espacés à la longue jusqu'à s'éteindre tout à fait. Donc une autre vie s'établit dans un nouvel environnement. Heureusement la côte Atlantique était là et tout ce qui va avec : baignade, pêche, plage, promenades. Mais les paysages hors du littoral n'étaient pas aussi beaux qu'en Dordogne. Elle était obligée d'être pensionnaire dans un collège privé de filles, qui était trop éloigné de chez elle pour rentrer tous les jours. Elle, qui n'avait jamais été pensionnaire ! Marie n'était pas arrivée à se faire de nouvelles copines en classe. Elle était arrivée au beau milieu d'une année scolaire où les groupes d'affinité sont déjà faits. Elle passait un peu pour l'intruse qui vient perturber ! ce n'était pas la même mentalité qu'en Dordogne et elle avait du mal à s'y faire. Mais quand elle a passé son permis de conduire, elle a pu être seulement demie-pensionnaire. C'était sa petite vengeance. Elle ne se sentira pas seule longtemps, car son cousin Mathias qui était maintenant marié, est venu avec sa femme habiter dans la commune voisine et elle en a été vraiment ravie. Elle allait se sentir moins seule. La petite ville où ils habitaient n'était pas agréable : de vieilles maisons, quasiment pas de magasins, pas de jeunesse...rien. Il fallait aller à une vingtaine de kilomètres pour arriver en ville et profiter des magasins. Elle avait fini par se faire quelques copines qui aimaient à peu près les mêmes choses qu'elle : aller à la piscine avec l'une, faire un peu d'équitation chez une autre, dans la boue quand il pleuvait, mais ce n'était pas grave. La maison qu'ils louaient, était grande, moche, pas pratique, sans jardin. En plus, un an après leur arrivée, il y a eu un tremblement de terre en mer qui s'est ressenti jusque dans les terres. Chose rarissime, mais que tout le monde avait subi avec un peu de frayeur et heureusement il n'y avait eu que très peu de dégâts. Elle n'a jamais oublié ce grondement qui s'amplifiait de plus en plus, ces vibrations sous les pieds et les répliques plus petites tout au long de la nuit car c'était le soir que cela s'était produit et tout le monde était sorti dans la rue ne sachant pas trop quoi faire. Cette vie ne lui plaisait guère et à ses parents non plus malgré la possibilité de voir souvent son cousin Mathias et sa femme. Deux ans ont suffi pour que son père demande une nouvelle fois sa mutation pour venir en Gironde. Ce qui fut fait et accordé par l'Administration.


Le retour en Gironde, une terre bien connue par Marie grâce aux vacances passées, fut un grand bonheur. Elle allait retrouvé cette région qu'elle affectionnait. Pendant ce nouveau déménagement, elle a dû passer son baccalauréat, et à la rentrée scolaire suivante, elle a été inscrite dans une école privée pour préparer un BTS de secrétariat, ce qui lui a permis de commencer une vie semi-professionnelle avec un stage en entreprise, puis trouver son premier poste. Après avoir passé son BTS, elle a commencé à travailler. Elle a trouvé son premier emploi dans le notariat. Travailler lui donnait un sentiment d'indépendance, elle gagnait sa vie, percevait un salaire. Elle faisait partie des adultes maintenant. Le secrétariat ne représentait pas vraiment ce qu'elle aurait aimé faire. Mais à l'époque les jeunes n'avaient pas de propositions d'orientation dans les écoles et pour les filles, surtout, ce n'était pas facile. Il fallait faire un choix. Même si Marie aimait le sport et tout ce qui était plutôt manuel ou artisanal, rien dans ces domaines ne pouvait lui apporter un débouché suffisant pour gagner sa vie correctement. Finalement, le secrétariat restait une solution envisageable. Le notariat était une spécialité et ses collègues l'ont bien initiée à ses tâches auxquelles elle a pris goût petit à petit mais sans toutefois trop de passion.


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