LA PLUME ÉTEINTE
Je possède de lui quelques photos glacées,
quelques beaux monologues gravés à tout jamais.
Lorsqu'il me prend l'envie d'un peu de mélancolie,
je fais appel à lui.
Il me raconte sans fin ses beaux paysages,
ses femmes infidèles, l'amour qu'il a pour elles.
Il me parle parfois de la connerie des hommes,
De leurs p'tites et de leurs grandes lâchetés,
Il m’en fait la somme.
Je vais vous raconter L'histoire d'un ami
que les hasards de la vie
ne m'ont jamais permis de rencontrer.
D'un pays de moulins surveillant quelques digues,
il parle de géants surgissant des brouillards.
Il larmoie son envie
de casser les carreaux de l'usine voisine,
Puis s'excuse de la pluie qui saigne sur leur crasse.
Une longue figure triste et des yeux délavés
qui regardent les dunes se jeter dans la mer.
Un rire tonnerique
qui cache au fond du coeur
une tristesse colérique.
Souvent il parle d'elles,
de ses fleurettes,
de ses folles fiançailles
ou de ses hyménées,
Il me chante Frida qui l'aime comme il l'aime.
Je déteste la Fanette, prisonnière d’une vague,
emportant avec elle l’ami qui l’a trahi.
J’imagine des remparts polonais
et ses cent mille officiers d’marine
profitant de Madame promenant son séant.
Est-ce la même dame, assise dans son landau ?
Est-ce le même séant, dans les rues de Bordeaux ?
Qui lui firent nostalger ses dents et son galop.
Les singes du quartier, le diable satisfait et la dame bêtise
ne sont toujours pas morts !
Ils leur restent quoi qu’on dise,
à se mettre sous la dent,
quelques belles friandises.
Un jour, y mettrons-nous le mors ?
Il a préféré mourir plutôt que de vieillir.
Il n’a jamais su que j’aurais voulu être son ami et que j’ai pleuré.
j’aurais voulu, pour lui dire, écrire une chanson,
mais le temps que s’allume l’idée sur le papier,
la plume s’est éteinte.
Le timide se demande comment il va l'écrire.
Il s'éloigne dans le soir une valise dans chaque main.
Elles renferment les cahiers et leurs pages blanchies
de chansons sans paroles.
Il faut que je vous laisse.
J’ai posé le diamant d’une bigote sur un sillon
Je m'en vais faire trente trois tours
sur une île au large de l'amour
où soufflent les alizés sur la coiffe grisonnante
des marquises tranquilles.
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