18. Pardon

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Comme d’habitude, mon père m’avait accueilli avec un tel mépris que j’avais dû me retenir de faire demi-tour. Mais si seulement il y avait que ça… Parce que ce matin, en me levant pour aller à la fac, je grimaçai quand je vis mon reflet dans la salle de bain. J’avais un bleu qui virait au noir sous l’œil gauche, la joue éraflée par la claque qu’il m’avait portée, avant de me rouer de coups de pieds quand j’étais au sol. Ce mec n’avait vraiment aucune dignité. Déjà, pour frapper son gamin, fallait être un sacré enculé pour faire ça, mais alors cogner un mec à terre…

Lorsque j’arrivai dans l’amphi, mon ordi sous le bras, vu que j’avais plus de sac, j’étais tout seul. J’avais fait exprès de partir tôt pour m’installer au fond de la salle, loin des autres, loin du prof. La tête baissée, ma capuche sur la tête, avec un peu de chance, personne remarquerait rien.

Les étudiants commençaient à arriver, à discuter, se raconter leurs vacances. Ils riaient, parlaient fort, se sautaient dessus parfois même. Et moi, j’étais toujours seul dans mon coin, les yeux rivés sur mon téléphone. Céleste s’en voulait à mort. J’avais une dizaine de textos d’excuses. Elle avait même essayé de m’appeler, mais j’avais jamais répondu. J’étais encore trop en colère contre elle.

Quand on parle du loup…

Je sentis un regard insistant sur moi. D’habitude, juste après cette sensation, je voyais ses petites mains sur ma table, puis son sourire et ses yeux pétillants de malice. Pas aujourd’hui. Elle resta plantée à trois rangées de moi, à me fixer sans trop savoir si elle devait me rejoindre ou non. Et je ne fis rien pour la convaincre de venir. Je me contentai de la dévisager d’un œil vide. Elle me faisait de la peine. Mais c’était à cause d’elle, tout ça.

Alors, sans aucun signe de ma part, elle s’assit là, loin. C’était la première fois, depuis le jour où elle s’était installée à mes côtés, que je passai un cours sans elle. J’avais du mal à me concentrer. J’avais mal et il y avait cette saloperie de culpabilité qui me rongeait. Pas une seule fois, elle ne se retourna. Alors, moi, comme un con, je l’observai sans trop écouter ce que le prof disait. Je venais de perdre la seule amie que j’avais et, même si j’étais en rogne contre elle, elle me manquait déjà.

À la pause, j’attendis que tout le monde se barre pour me lever à mon tour. Encore une fois, Céleste hésita à me rejoindre, mais descendit les marches et disparut dans la foule d’étudiants qui allaient prendre l’air.

Un café à la main, je m’isolai dans un coin de la grande cour, à l’abri des regards indiscrets. Pourtant, je surpris tout de même quelques conversations à mon sujet. Certains se demandaient ce qui avait pu m’arriver. Ils devaient être loin de se douter de la vérité.

— Est-ce que tu as du feu ? me demanda une petite voix, que je connaissais bien.

Un sourire discret, soulagé, m’échappa. Heureusement qu’elle était plus maligne que moi, qu’elle faisait un pas vers le grand couillon que j'étais. Parce que si elle avait attendu que je vienne, on ne se serait plus jamais parlés. J’étais une vraie tête de con quand je voulais. Même si ça me faisait de la peine, j’admettais rarement mes torts de moi-même.

— Je croyais que tu t’en étais racheté un, lui fis-je remarquer.

— Mais c’est mieux le tien. Je suis désolée pour ton sac. J’aurais dû faire attention…

— C’est bon, j’aurais pas dû m’énerver comme ça contre toi, soufflai-je.

Elle alluma sa clope et me rendit mon briquet. Mes doigts effleurèrent les siens. J’eus envie de les agripper et de l’attirer dans mes bras pour la rassurer. Elle avait l’air si triste. J’eus pas besoin de le faire, parce qu’elle écarta mes mains de mes jambes et s’avança vers moi pour se plaquer contre mon torse et poser sa tête sur mon épaule.

— Excuse-moi, murmura-t-elle.

— Pardon, répondis-je seulement.

— C’est ton père qui t’a fait ça ? me demanda-t-elle d’une voix à peine audible.

Elle effleura le bleu sous mon œil du bout de l'index. Je grimaçai. Comment elle avait compris ? Putain, elle était chiante à être si intelligente. J’étais censé lui répondre quoi ? Je voulais pas qu’elle sache. C’était trop la honte. Alors, je restai silencieux. Ça la rendit encore plus triste. Ses doigts se resserrèrent sur mon pull. Elle embrassa ma joue du bout des lèvres, sûrement pour ne pas me faire mal ou parce qu'elle s'en sentait gênée, je savais pas trop. Peut-être un peu des deux. Mon cœur bondit.

Putain, qu’est-ce qu’elle fait ?

Je frissonnai. Elle resta silencieuse, blottie contre moi. Et moi, comme un con, je savais pas quoi faire. Alors je restai bras ballants. J’aurais dû l’enlacer, pour lui faire comprendre que je la pardonnais, que ça me faisait du bien qu’elle soit si douce, si compréhensive. Mais j’en avais tellement pas l’habitude que je savais pas quoi faire.

— C’est lui qui t’as fait du mal aussi avant les vacances ? Toutes les blessures que tu as eues, c’était lui ?

— Pas toutes…

— Mika… couina-t-elle. Je suis désolée.

Ça avait l'air de lui déchirer le cœur de le savoir. Elle en avait les larmes aux yeux.

— L’hôtel, c’est pour lui échapper ?

Je hochai la tête. Elle était chiante à tout comprendre et en même temps… je lui en était plus que reconnaissant. J’avais pas besoin de lui dire.

— Comment tu gagnes cet argent pour te payer une chambre ? m'interrogea-t-elle, après un long silence.

Elle avait mis le doigt sur un truc. Encore une fois, elle avait compris, elle espérait juste se tromper, j’en étais sûr. Seulement, elle avait raison.

— Mon frère est presque tout le temps chez sa copine, m'informa Céleste, sans rien dire d’autre.

Que devais-je comprendre ? Elle me disait de venir squatter chez elle ? Bordel, pourquoi elle était aussi gentille avec un connard comme moi ? Après tout ce que j’avais dit hier, elle aurait dû m’en vouloir. Mais non, elle était pas comme ça, Céleste.

— Ce soir, il n’est pas là.

— Je peux me débrouiller tout seul, me braquai-je.

Pourquoi je réagissais comme ça ? C’était l’occasion rêvée de quitter mon père quelques nuits quand j’étais dans la merde. Mais non, moi et mon égo, on était encore trop stupides pour le comprendre. J’avais l’impression d’être sa BA de l’année, qu’elle avait pitié de moi et je le supportais pas. Alors, je la repoussai et tournai la tête par la négative. J’avais pas besoin d’elle. Enfin, c’était ce que je voulais lui faire croire.

— Tu sais que ma porte te sera toujours ouverte si besoin, soupira-t-elle.

Je la dévisageai sans rien dire, encore. Fallait vraiment que j’apprenne à parler. J’avais l’impression d’avoir oublié tous les mots du monde quand elle me lançait ce regard triste. Elle attendit quelques secondes, mais toujours rien. Alors, elle soupira et fit demi-tour.

Pauvre con.

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