17. Vol

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Cette semaine de vacances en famille m’avait fait du bien et j’avais presque oublié à quel point mon père était un connard. On parlait jamais de lui, sauf une fois où ma mère m’avait raconté à quel point il avait été dur avec elle quand ils étaient encore ensemble. Ça me donnait encore moins envie de retourner vivre chez lui. Il me restait plus qu’une semaine d’hôtel, pile de quoi tenir jusqu’à mon prochain combat.

On était dimanche, dernier jour avant la reprise de la fac. Ma mère et mon frère étaient partis le matin-même, alors j’avais proposé à Céleste qu’on se voie pour terminer notre foutu exposé, sur lequel on avait absolument pas avancé la dernière fois qu’on s’était vus.

Cette fois-ci, on s’était donné rendez-vous dans une bibliothèque, pour être sûr qu’on allait pas passer la journée à bavarder au lieu de bosser. Installés face à face, on était tous les deux concentrés sur nos ordis respectifs et les bouquins que Céleste avait ramenés. De temps en temps, je relevai les yeux vers elle et la trouvait perdue dans ses pensées, le regard vide. Elle me souriait quand elle se rendait compte que je la dévisageais, elle rougissait, et elle se remettait au travail. Je commençais à me dire que je lui faisais de l’effet, peut-être. Ou alors c’était juste sa nature. Elle oscillait toujours entre une franche confiance en elle et une timidité maladive. Comme elle m’avait dit, elle savait pas trouver sa place.

— Tu peux surveiller mon sac ? lui demandai-je, en le posant près d’elle. Je vais me chercher un café.

— Tu peux m’en ramener un aussi, s’il te plait ?

J’acquiesçai et disparus derrière les rayons de la bibliothèque. Y avait pas un chat ici, en ce dimanche pluvieux, à part un vieux gars qui avait clairement pas la dégaine du rat de bibliothèque. Moi non plus, remarque. Mais, accompagné de Céleste, ça passait tout de suite mieux. Parce qu’elle avait sa robe en laine, ses collants et ses bottines, elle en avait le look. Surtout quand elle mettait ses lunettes, qui lui glissait tout le temps sur le bout du nez.

Devant la machine à café, je m’étirai longuement. Trois heures qu’on était là, à bosser en silence. Si on m’avait dit, deux ans plus tôt, que je passerais autant de temps à étudier, je l’aurais pas cru. C’était l’avantage de traîner avec Céleste, elle avait une bonne influence sur moi.

Le temps de faire couler les deux cafés, de me fumer une clope et j’étais à nouveau d’attaque. J’espérais quand même qu’on aurait fini avant la tombée de la nuit, parce que ça commençait à me saouler. Je comprenais rien aux exigences du prof, en plus. Encore moins à celles de Céleste. Mais bon, elle me laissait pas trop le choix. Alors, j’y retournai d’un pas las.

Je me réinstallai face à elle, me plongeai dans la lecture de la tartine qu’elle venait d’écrire à toute vitesse sur un bout de feuille et hochai la tête. Qu’est-ce que je pouvais trouver à redire, de toute façon ? Tout ce qu’elle faisait était génial.

À dix-neuf heures, la bibliothécaire nous pria, non sans une certaine exaspération, de sortir. C’était la quatrième fois qu’elle venait nous voir pour nous dire de ranger, mais Céleste était à fond sur une idée et, dans ces cas-là, personne ne pouvait l’interrompre. Ce fut à ce moment-là, alors que je voulus attraper mon sac pour ranger mon ordinateur que je réalisai qu’il avait disparu.

— Putain ! m’exclamai-je.

Céleste sursauta et me dévisagea, sans comprendre. Je me baissai pour m’assurer qu’il était pas sous la table, mais rien. Il avait disparu. Mon sac, avec les trois-cent balles qui me permettaient de me payer encore une semaine d’hôtel. Il était où, bordel ? Je lui avais dit de le surveiller ! Et il était plus là !

— Putain de merde ! Tu pouvais pas faire attention ? m’énervai-je.

Elle comprenait rien, la pauvre. J’étais en train de l’engueuler et elle savait même pas de quoi je parlais.

— Mon sac ! Il est où ?

— Bah, il est là…

Elle se baissa et tâtonna sous sa chaise. Sauf qu’elle risquait pas de le trouver, vu qu’il y était pas. Je commençais à enrager, paniquer. J’avais envie de la secouer pour la réveiller. Elle avait pas l’air de réaliser la gravité de la situation. Les sourcils froncés, elle s’accroupit pour vérifier qu’elle l’avait pas loupé.

— Je l’avais posé là, il était là, bredouilla-t-elle. Je…

— Tu fais chier !

— Monsieur ! s’écria la bibliothécaire. Calmez-vous ou sortez d’ici.

Je me fis pas prier. Je pris mon ordi sous le bras, fourrai mon portable dans ma poche et partis, non sans fusiller Céleste du regard. Je cherchai partout, dans chaque rayon, dans la salle de pause, dehors, rien. Il s’était volatilisé.

— Putain ! criai-je.

Céleste, qui venait de me rejoindre avec sa pile de bouquins dans les mains, sursauta encore. Fallait dire que j’avais pas l’air franchement sympathique quand je rageais comme ça. Mais j’avais de quoi. C’était de sa faute, en plus !

— Je suis désolée, balbutia-t-elle. Je… j’ai pas fait attention, j’étais en train de lire et… excuse-moi.

— Je t’avais demandé de le surveiller.

— Mais au moins, t’as encore ton ordi… T’avais quoi d’autre dans ce sac ?

— Trois cents balles ! m’emportai-je.

Elle écarquilla les yeux. Qui se trimballait avec autant de thune sur soi, franchement ? Y avait que moi pour être aussi con. Sauf que le laisser à l’hôtel aurait pas été plus prudent, avec ces femmes de ménages qui fouinaient partout. Trois cents balles, putain !

— C’était censé me payer l’hôtel ! Maintenant je vais devoir retourner chez mon père et…

Céleste se figea. Moi aussi. J’en avais trop dit. Pourquoi il avait fallu que j’ouvre ma gueule ? Maintenant elle allait me poser des questions. Pourquoi j’allais hôtel ? Pourquoi je voulais pas rentrer chez mon père ? Comment j’avais eu trois cents balles en liquide ?

— Mika, je…

— C’est bon, laisse tomber, grondai-je, en m’éloignant.

J’avais même plus envie de la voir, de lui parler. C’était de sa faute. Je lui avais pas demandé grand-chose et elle en avait même pas été capable. Elle me saoulait à être toujours aussi tête en l’air. Elle me saoulait avec ses grands sourires qui m’avaient fait oublié de vérifier que mon sac était bien là quand j’étais revenu avec nos cafés. Elle me saoulait à s’excuser et me faire culpabiliser d’être aussi méchant avec elle.

— On… on va trouver une solution. Tu devrais aller porter plainte et…

— Putain, mais ta gueule ! Juste tais-toi.

Elle referma aussitôt la bouche. Quelques larmes brouillèrent ses yeux bizarres. Merde. Quel con. Maintenant, elle allait pleurer à cause de moi.

— Pardon… murmura-t-elle. Je… je peux te rembourser si tu…

— T’en as déjà assez fait.

Et je continuais en plus ! J’avais envie de me taper. Cette fois-ci, ça loupa pas. Une larme roula sur sa joue. J’étais trop dur. Mais trois cents balles pour de la négligence, c’était cher payé.

— C’est bon, je vais rentrer. Laisse tomber. J’aurais pas dû te le confier.

J’attendis aucune réponse. Je me cassai juste avec mon ordi et ma colère, sans me retourner. Quand je tournai pour entrer dans la bouche de métro la plus proche, je l’aperçus, toujours immobile sur le trottoir, le regard perdu dans le vide. Elle se mordillait la lèvre. Elle s’en voulait. Moi aussi, je lui en voulais. Mais je me sentais con aussi. Et j’eus envie de faire demi-tour, pour m’excuser. Mais moi et mon égo, on était de sacrés connards, alors je continuai ma route jusqu’à l’hôtel, pour récupérer mes affaires. Je payais au jour le jour, ce soir, je pourrais pas y dormir. Retour chez mon père. J’allais me faire démonter. À cause de Céleste. Et c’était pas la première fois, en plus, que je me retrouvais dans la merde à cause d’elle.

Quel enculé. Elle est tout le temps là pour toi et voilà comment tu la traites.

Ta gueule, putain !

De toute façon, maintenant que j’étais devant la porte de l’immeuble de mon père, j’avais plus le choix. Je pouvais pas faire demi-tour, tout penaud pour essayer de retrouver Céleste et m’excuser. Je les méritais, les droites qui m’attendaient à l’instant où je me retrouverais face à mon daron.

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