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La mer ! Au petit matin, excités comme des enfants à l’arrivée des forains, ils sont là, les braves, Sauf Manuel « Ma femme veut pas - rapport aux gosses ». Boule cligne de l’œil. Ça ressemble à un prétexte, ça, les gosses. Enfin. François au volant, Gilles à l’arrière - Gilles est allé chez le coiffeur les deux autres se moquent de lui - et puis voilà, roule baraque. Ils sont partis.

Beaucaire. Première étape. Pour étancher la soif, Iis s’arrêtent car ils ont chaud, et ils descendent, sauf un qui ne descend pas à l’étonnement du très massif patron du restaurant, restaurant situé à l’ombre des platanes, sur les bords du Vidourle.

— Et alors comme ça, il ne sort pas de sa voiture ?

— Et pour pisser, comment il fait ?

Gilles explique la situation.

— Ha évidemment si sa femme est morte…

Il se gratte la tête, regarde de côté, rêve les yeux ouverts. Dans la cuisine, il a vu sa femme par la fenêtre qui regarde le Vidourle, et la terre s’ouvre là précisément sous les pieds de son épouse d’humeur massacrante ce jour-là et les eaux du fleuve enflent tellement qu’elles l’emporte encore ronflante dans son lit – tient un lit se dit-il - tourbillonnante dans le courant bonnet sur la tête, « tu dors mon chéri ? Y’a des poissons. Dors. C’est quoi ? Un barbot, un brochet, tiens. Et puis des plantes d’eau, elles flottent. Dans le courant, c’est joli, on peut s’en faire un fichu. Tu dors ? Oui. Dors. Ho ! C’est déjà la mer ! Dors !

Je te dis de dormir.

C’est grand la mer. »

Et elle ferait des voiles avec les draps, et elle partirait loin, s’époumonant dans des conques marines pour qu’on l’entende encore mieux, comme si la chose était nécessaire.

- On devrait venir plus souvent.

François fait une concession, il veut bien aller aux toilettes, qui donnent directement sur le Vidourle.

Une chance, il peut approcher la voiture au plus près.

Le patron leur offre les consommations.

— - C’est mon plaisir.

Ils repartent. Traversent encore un coin de Camargue avec ses herbes pelées de sel, arrivent à La Grande Motte, passent les quais Pompidou.

« C’est grand » dit Boule.

Et puis « J’ai faim »

Et puis encore, un soupir, une pointe de regret mêlé d’inquiétude à la sortie des immeubles, un grognement. Et bientôt « Là ! » Le cri du ventre, jailli du ventre de Boule, à la vue du panneau « Buffet à volonté » fièrement planté. François et Gilles se regardent, en douce ils rigolent. Il était temps.

François accepte de descendre. Ça lui fait du bien de se dégourdir les jambes. Après tout, il a déjà fait une exception, à Beaucaire. Boule mange beaucoup, Yves boit du vin, François aussi. Quand la voiture repart, elle n’avance pas bien droit, et fait un peu comme l’anguille, oscille autour d’une ligne droite.

Pas trop tôt, ils arrivent dans les dunes. Il faut encore monter, gravir péniblement le sable qui se dérobe, et quand on tombe on en bouffe, du sable, et puis le vent vient de la mer, alors on en prend aussi plein les yeux. Mais en haut, elle est là. Et puis. Tempo. Le soleil descend vers l’horizon. Quant ils ont assez regardé, c’est la ruée, la cavalcade à la descente. Ils n’ont plus l’âge de faire la roue, mais toujours celui d’aimer l’eau salée sur un bas de pantalon mouillé, le plaisir de faire quelque chose d’interdit. Ils se regardent, au bout du compte se retournent. François n’a pas quitté son siège, les deux poings serrant le volant, et le soleil est un œuf sanglant tombant dans la mer.

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