Par correspondance

3 minutes de lecture

Finalement, ce fut l'Ecosse: du vert, de la montagne, de l'eau. Surtout pas de lignes géométriques. Son appartement était au deuxième étage d'une bâtisse du XIXème siècle, dans quartier tranquille près du jardin botanique. De la fenêtre de son bureau, à la bibliothèque où elle travaillait, quand elle rêvassait le soir à la tombée de la nuit, elle voyait fureter les renards.

Son appartement écossais était un vrai foyer, meublé de bric et de broc au fil de ses excursions dans les boutiques des associations caritatives: une vieille théière de porcelaine, un guéridon bancal, une petite commode à la peinture écaillée. Elle se satisfaisait d'une vie tranquille au sein d'une communauté minimaliste composée de quelques collègues et d'amitiés rares. A son arrivée en Ecosse, désoeuvrée, sans emploi, elle avait loué une petite chambre chez l'habitant et s'était inscrite dans un cercle d'observation ornithologique et y avait rencontré Camilla: évidemment, le destin avait mis sur son chemin cette jeune femme tranquille qui portait, à une voyelle près, le même prénom qu'elle. Camille et Camilla avaient commencé à s'inviter mutuellement à boire le thé pour parler de tout et de rien, puis c'était Camilla qui lui avait trouvé cet emploi à la bibliothèque. Camille avait raconté sa vie d'avant, surtout ses échecs, d'ailleurs. Elle était arrivée en Ecosse comme pour se dépêtrer de la mélasse médiocre qui semblait ralentir son énergie, en larguant les amarres trop pesantes qui l'empêchaient d'avancer. Le départ lui avait permis de mettre fin à sa relation sans éclat avec un compagnon en qui elle ne percevait aucune qualité. C'était une relation de confort, de facilité, qu'elle avait construite par défaut. Tous les souvenirs de ces années à deux étaient restés en banlieue dans un carton poussiéreux abandonné dans la cave de "l'appartement". Le souvenir de cette histoire s'était immédiatement dissous dans un mélange vague de soulagement et d'embarras, surtout quand elle avait découvert que cet encombrant fiancé était unanimement considéré comme un rustre et un minable par l'ensemble de son entourage. Elle avait souvent pensé à l'autre, celui qui avait choisi l'évaporation, avec qui, peut-être, un autre chemin aurait pu se dessiner.

Camilla lui avait rapidement proposé de partager avec elle son grand appartement, et l'idée d'une colocation entre ces deux jeunes femmes tranquilles s'était imposée comme une évidence. Camilla enseignait l'histoire à l'université, et était passionnée de montagne, en plus d'être fine connaissance de l'avifaune. Le week-end, elles chargeaient leurs sacs dans la vieille Mini de Camilla et filaient vers un loch ou une montagne. Elles sortaient dans les bars, faisaient du shopping, visitaient des expositions, flirtaient avec de jeunes écossais sans qu'aucune relation durable ne se forme. Camilla formait une sorte de couple en pointillé avec un marin ombrageux qui disparaissaient souvent pour réapparaitre un bouquet de fleur et une bouteille à la main. Camilla ne s'en formalisait jamais, elle laissait filer le temps et vivait sa vie.

En mai, Camille prit quelques semaines de vacances pour rentrer en France assister au mariage de sa soeur. Elle n'avait pas fait suivre son courrier, qui s'était entassé à "l'appartemment". La récolte était maigre, surtout des offres exceptionnelles à ne pas manquer périmées, des relevés de banque, et une enveloppe blanche avec son prénom qu'elle faillit jeter avec le reste. Elle la fourra dans son sac et n'y pensa plus quelques jours durant. Elle avait toujours eu besoin d'un très grand sac à main pour y transporter toute une vie minuscule: livre, bouteille d'eau, petits gateaux, portefeuille, boite de pansements. On avait toujours besoin d'une boite de pansement, les chaussures pour femme étant ce qu'elles étaient. C'est d'ailleurs à cause de ses chaussures qu'elle retrouva l'enveloppe, car le matin du mariage, elle avait anticipé le petit échauffement à l'arrière du talon des escarpins qu'elle avait empruntés, la petite ampoule qui vire en trois minutes de l'inconfort à la plaie sanguinolente. Elle avait attrapé son grand sac pour en sortir la boite de pansements et la glisser dans sa pochette, et retrouvé l'enveloppe. Elle était en avance, alors elle l'avait ouverte comme ça, debout dans l'entrée.

"Camille. Tu es partie, je crois. Tes volets sont fermés et Madame Morel n'a pas voulu me dire où tu étais, elle m'a dit que tu n'avais pas laissé d'adresse pour envoyer le courrier. Ton téléphone ne sonne plus, on dirait qu'il n'y a plus de ligne. Alors j'essaye ici parce que c'est toujours ton nom sur la boîte aux lettres, et que tu trouveras peut être cette lettre quand tu reviendras, si tu reviens. Je voulais te dire que j'étais passé pour te parler, je vois bien que c'est un peu tard, mais je peux attendre, je te dois bien ça.

A."

Aymeric, évidemment. Il n'y avait pas de date sur la lettre, depuis combien de mois était-elle là? Au dos, il avait mis son numéro de téléphone.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire LagomorpheFilipendule ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0