Chapitre 25

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Elle se redressa brusquement, fouilla dans son placard et se rappela qu’elle n’avait plus rien de mettable. Elle jeta ses vêtements les plus abîmés sur son lit, changea de veste et se prit, pour la première fois en plus de dix ans, à déplorer que sa garde-robe soit uniquement constituée de noir. En règle générale, peu lui importait, grâce à l’Optio, elle pouvait changer son apparence à volonté et c’était tellement facile qu’elle n’était pas surprise de voir que la plupart des gens ne se contentaient pas de l’utiliser juste pour s’améliorer légèrement. Le minimum, c’était la coupe de cheveux et ce qu’elle allait faire serait le maximum : plus rien ne lui appartiendrait. Et même si Renouveau était insoupçonnable, elle préférait ne pas abuser de cette couverture.

Non, il allait falloir qu’elle se crée une identité banale, mais que la Présidente reconnaîtrait au premier coup d’œil… Elle connaissait déjà son nom, son caractère, puisque c’était un personnage qu’elle avait l’habitude de jouer, mais son apparence… Il fallait que ce soit ça qui l’attire et que le reste soit autant d’indices qui la guiderait si rien ne la faisait réagir. Oui, c’était ça. Elle irait dans ce bar, comme la dernière fois, prendre un verre, regarder le barman d’un œil noir, rejeter tous ceux qui l’aborderaient… Mais comment être sûre que quelqu’un comme elle l’approcherait ? Comment en être certaine ?

L’idée jaillit dans son esprit avec trop de clarté pour qu’elle soit sûre qu’elle ne venait pas de son implant. Mais elle n’était pas mauvaise et si la technologie se mettait de son côté, alors elle ne voyait pas pourquoi elle hésiterait. Il suffisait qu’elle en ait une idée assez précise et dès qu’elle sortirait d’ici… Oui, ce serait parfait. Absolument parfait.

Elle repoussa la porte et se mit à courir vers la sortie, plus vite que quiconque ne l’avait jamais vue courir. Peut-être bouscula-t-elle quelqu’un au passage, elle ne s’en rendit même pas compte. Mais l’écho joyeux de ses pas se répercutait sur son chemin et le sourire sur ses lèvres était on ne peut plus inhabituel. Certes, la voir se ruer de cette manière vers la sortie étonna tous ceux qui l’entendirent, puisqu’elle était censée vouloir rester cloîtrée à tout jamais. Et puis la rumeur courut, d’un amour, d’un problème, avant que tout ne soit brusquement étouffé.

Elle n’en sut rien, puisqu’au moment où, après avoir jailli de la boîte de nuit comme une balle d’un pistolet, après avoir traversé les ruines et repoussé quelques voleurs mal renseignés et où elle entra dans la ville, une nouvelle apparence la recouvrit et elle fut assaillie de notifications, qu’elle balaya d’un geste de la main. Elle soupira en passant les contrôles, qui ne furent qu’une formalité et en moins de temps qu’il ne lui fallut pour arriver au bout de son haleine, elle était accoudée au bois lustré, un verre à la main. L’autre soutenait sa tête, tandis qu’elle balayait la salle du regard. Elle était en place. Ne restait plus qu’à l’attendre… Elle viendrait sûrement et si ce n’était pas ce soir, alors elle reviendrait. Encore et encore. Jusqu’à ce que le hasard fasse les choses comme elle le voulait.

Alors ce soir-là, elle enchaîna les verres, tout en triant ses notifications. Entre les déclarations d’amour, les lettres de remerciements et celles pleines de questions gênantes, elle avait du travail. Après tout, c’était le revers de la médaille et cela faisait quelques temps qu’elle l’essuyait… Mais le nombre de message semblait diminuer plus rapidement que d’habitude et le temps qui s’égouttait lui faisait peur. En fait, derrière la grande joie qui l’avait d’abord envahie, il y avait eu cette peur, depuis le début. Et si elle ne venait pas ? Ou pire encore. Et si elle venait, qu’elle la remarquait, que tout se passait bien, jusqu’à ce qu’elle aille en rejoindre un autre ? Ou une autre ? Si elle la repoussait ? Si elle… Si… Si ça ne se passait pas… Pas bien ?

Que ferait-elle ? Rentrerait-elle ? Se réfugierait-elle dans les bras de Swan, comme elle l’avait fait depuis qu’elle était toute petite ? Ou bien la supplierait-elle au point de menacer de se sacrifier si elle… Non, évidemment que non. Mais alors, que ferait-elle si elle lui disait… Si elle lui disait… Si elle réagissait comme si elle avait la gale… ? Si elle créait un scandale ? Si elle faisait… Que ferait-elle ? Que feraient-elles ?

Elle secoua la tête et vida son verre d’un trait. Le regard de travers du barman ne lui échappa pas, mais elle lui sourit insolemment et le remercia en un clin d’œil lorsqu’elle rattrapa le verre qu’il lui glissa sur le comptoir. Du coin de l’œil, elle remarqua une silhouette qui se rapprochait et dont l’air ne lui plaisait pas vraiment, pas plus que l’alcool qui imprégnait l’air tout autour de lui.

- Eh, ma d’moiselle, ça vous dirait de…

- Pas intéressée, merci, le coupa-t-elle sèchement.

- V’z’êtes sûre ?

- Certaine. Allez puer ailleurs, s’il-vous-plaît, je ne suis pas intéressée.

- V’rendez compte d’c’que vous dîtes, hein ?

- Tom, soupira l’homme derrière le comptoir, elle t’a foutu un râteau, soit galant et fous le camp, ça lui fera de l’air. De toute façon, c’est pas comme si t’avais la moindre chance, elle attend quelqu’un.

L’homme descendit du tabouret sur lequel il s’était péniblement hissé et retourna là où d’autres de ses camarades piliers de bar s’en donnaient à cœur joie avec des cocktails colorés. Zelda vérifia qu’il ne se tournait plus vers elle et croisa le regard de celui qui venait de l’aider à se débarrasser de ce gêneur. Il essuyait un verre avec l’assurance de quelqu’un qui avait fait ça toute sa vie. Il remarqua qu’elle l’observait sans rien dire et éclata de rire lorsqu’il vit qu’elle n’avait pas l’intention de lui adresser la parole.

- Vous ne voulez pas me demander comment je le sais ?

- Ce n’est probablement pas bien difficile, je suis assise sur ce siège depuis tellement longtemps que vous devez vous demander qui je peux bien attendre et si j’ai conscience qu’elle ne viendra pas…

- C’est vrai… Alors vous attendez une femme ?

- C’est ça… Enfin, c’est plus compliqué, mais oui, même si elle ne sait pas que je l’attends, je suis là pour ça…

- Elle ne devrait pas tarder, vous savez…

- Comment vous pourriez savoir qui j’attends ? soupira-t-elle avec un autre sourire. Et comment vous pourriez savoir où elle en est…? Je vais probablement rester jusqu’à demain matin, vous sauriez où je pourrais prendre une chambre ?

- Vous n’en aurez pas besoin, Victorique, Primerose devrait être là dans quelques minutes…

Elle sursauta et lâcha son verre, qui roula et vint se briser à ses pieds. Il lui fallut quelques instants pour réagir et l’air supérieur de l’homme qui venait de prononcer ces noms l’agaça assez pour que son teint prenne une couleur étrange, entre la pâleur cadavérique et l’écarlate. Heureusement que le bar était bondé et qu’elle passait inaperçue…

- Victorique, par ici, je vous prie…

Elle sursauta à nouveau et le regarda. Il lui faisait signe de le suivre et finit par l’attraper par le poignet pour la forcer à se lever. Elle libéra violemment son poignet de ses doigts et ne s’en remit à lui que la tête haute et un regard méprisant posé sur son dos.

Ils gravirent les escaliers qui servaient de mur au bar jusqu’à accéder à une pièce aménagée comme un salon, mais dont la poussière semblait avoir fait son royaume. Des bâches recouvraient tous les meubles et des cartons eux aussi dissimulés derrière des toiles d’araignées et plusieurs centimètres de cette poudre blanche. Même le sol en était enduit et l’air qui filtrait au travers des vitres ouvertes sur l’impasse en contrebas brillait de milliers de grains volants. Le soleil faisait luire la pièce comme une prairie enneigée un jour de beau temps. Cette scène aurait pu être magnifique, si Zelda n’avait pas été allergique.

À peine avait-elle mis les pieds dans la pièce qu’elle sentit ses yeux se mettre à pleurer. Elle fit demi-tour, éternua quatre ou cinq fois avant de parvenir à sortir en pestant. Elle vérifia toutes ses poches, encore et encore, à la recherche de quelque chose pour la soulager, d’un mouchoir, mais elle n’avait rien pris qui puisse l’aider. Elle se mit à tousser, encore et encore, sans parvenir à reprendre son souffle et redescendit à tâtons, essayant de deviner la forme des murs au travers de ses larmes.

- Tout va bien ? s’inquiéta immédiatement le barman en la voyant redescendre bruyamment.

- Allergique… La poussière…, s’étouffa-t-elle en ravalant un éternuement. Atchhh !

- Ah, désolé… Euh… Qu’est-ce que je peux faire ?

- Indiquez… Atchhh ! Les toilettes…

Il fit de son mieux pour ne pas la toucher et la guida maladroitement jusqu’aux toilettes, où elle plongea sa tête dans l’évier et ouvrit le robinet sur sa tête. Lorsque l’eau eut fini de la nettoyer de la poussière qui la maculait, elle releva la tête et cracha l’eau qui avait réussi à glisser jusque dans sa bouche. Elle chercha des yeux un distributeur de papier, tâtonna jusqu’à trouver une main qui tenait un chiffon. Elle ne se fit pas prier et se sécha le visage. En relevant les yeux, elle se rendit compte qu’elle connaissait cette personne et que contrairement à ce qu’elle croyait, ce n’était pas le barman.

Oh, non, ce n’était pas le barman. C’était celle qu’elle avait attendue si longtemps et qui maintenant la regardait avec un air à la fois à la fois amusé et agacé.

- Je n’avais pas prévu que mon rendez-vous serait allergique aux acariens, se moqua Kafka d’un air narquois.

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