Chapitre 23

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Il la regarda sortir, bouche bée. Il l’avait voulu, certes, mais il n’y croyait plus depuis qu’il l’avait vue armée. Il n’avait aucune idée d’où venait sa colère ou son besoin de solitude, mais s’il y avait bien une chose qu’il savait, c’était que rien dans son attitude ne lui paraissait rassurant. Il lui emboita le pas, curieux de savoir ce qui avait bien pu la pousser à changer d’avis. Lorsqu’ils arrivèrent devant la porte, il hésita à la franchir. En jetant un coup d’œil dans la salle, il recula d’un pas, s’inclina et tourna les talons, bien décidé à fuir. Tel père telle fille, pensa-t-il en retournant à son infirmerie.

- Vous voyez, vous aviez tort, Victoria, répliquait le boss lorsque la jeune femme entra dans la pièce.

- Vous auriez sûrement préféré avoir tort, je vous promets, murmura Louis, caché derrière elle.

Comme pour lui répondre, la jeune femme claqua la porte. Tous ceux qui étaient à proximité s’écartèrent, allant jusqu’à se coller aux murs, pour lui laisser le devant de la scène. Peut-être que si Swan s’était excusé et les avait congédiés à cet instant, ils auraient pu s’échapper et ne pas subir cette conversation, à laquelle ils n’étaient pas supposés participer, mais en l’absence d’ordre, ils ne purent faire ce que leur instinct leur hurlait de faire. Ils se préparèrent donc à la tempête et se firent le plus petit possible.

- Zelda ! Tu es venue, c’est bien, s’exclama l’homme, négligemment allongé sur son trône.

- Vous avez intérêt à ce que ça ne soit pas pour décorer, asséna-t-elle sur un ton qui ne laissait aucun doute.

- Décorer ? Oh, non Zelda, non ! C’est pour t’envoyer en mission avec ton copain, que vous puissiez faire connaissance, un peu plus…

- Hors de question.

- Ce n’est pas toi qui donne les ordres, chérie. Vous allez passer un peu de temps ensemble, là-haut, mais je veux que vous restiez éloignés au maximum du centre, d’accord ?

- Non, répéta-t-elle.

- Ne sois pas si obtuse, ma fille, enfin ! s’exclama-t-il, exaspéré. Vous formeriez…

- Si tu prononces le mot couple, le coupa-t-elle violemment, je te promets…

- Mais c’est pourtant vrai et je sais qu’il te fait de l’effet !

- Tu n’as rien compris ! hurla-t-elle en s’avançant. Tu n’as rien compris ! Personne, ici, n’a rien compris ! Vous êtes tous aussi aveugles les uns que les autres ! Je ne l’aime pas ! Je… Bon sang, mais quand-est-ce que quelqu’un ouvrira les yeux ?! Quand il sera trop tard ?! J’ai passé la nuit à pleurer, à me dire que j’étais inhumaine, parce que j’ai préféré me séparer de ma famille pour me protéger, parce que j’ai tué, tué, tué, sur des ordres, de ma propre volonté, pour protéger ce qui m’était cher ! Je m’inquiète toujours, pour Nathan, pour mon frère, là-haut, tout seul, que j’ai abandonné il y a douze ans ! Douze ans ! Vous vous rendez compte ? Et aucun d’entre vous, jamais ne m’a demandé si j’avais des regrets, si j’en avais assez de tuer ! Je suis humaine, pas comme ces robots, contrôlés par leurs Optios et qui tuent tout ce qu’ils voient ! Et maintenant, vous me parlez d’amour ? Vous me forcez la main ? Qui vous dit que je l’aime ? Qui vous dit que je l’ai jamais aimé ?! Jamais ! Vous m’entendez ? Jamais ! L’inverse n’est peut-être pas vrai, mais ça, ça ça l’est ! Et ce n’est pas une raison pour convoquer les gens et les envoyer vivre ensemble, encore moins parce que ça vous arrange !

Elle était arrivée au pied du trône et malgré sa petite taille, elle avait fait s’aplatir au fond de son siège le grand homme à la chevelure de feu qui la regardait avec des yeux écarquillés. Sa bouche entrouverte dissimulait maladroitement un sourire suffisant qui avait fané tel quel sur ses lèvres et ses poings s’étaient serrés sur les accoudoirs.

- Comment expliques-tu l’état dans lequel je t’ai retrouvée cette nuit, alors ? rétorqua-t-il. Comment expliques-tu que tu aies rêvé de ton frère, alors que ça ne t’était pas arrivé depuis dix ans ?

- Vraiment, vous êtes celui qui m’a élevée, vous vivez avec moi depuis assez longtemps pour savoir que ce n’est pas l’amour, qui me fait penser à ce genre de choses, déclara-t-elle amèrement. Et si j’étais amoureuse, vous ne croyez pas que je verrais son visage et pas celui de mon frère ?

- Vous savez, ce n’est pas vraiment la meilleure façon de faire, si vous voulez créer des couples, monsieur, murmura Mamoru du coin où il se terrait.

- Non, vous feriez mieux de la laisser tranquille, ajouta Victoria d’une petite voix qui ne lui ressemblait pas. Sinon, posez-lui la bonne question…

- La bonne question ?

- Si ce n’est pas lui, quien ? C’est évident, elle est amoureuse et elle est probablement la seule à pas s’en être rendu compte…

- Je sais très bien que je suis amoureuse, Victoria, merci. Je préfère juste ne pas en parler pour l’instant.

- Ne pas en parler ? Dios ! Et ton père ? Tu crois qu’on va le supporter jusqu’à ce que tu te décides à parler ? No ! Dis-nous, ça en rassurera plus d’un et si tu dois en décevoir d’autres, autant qu’ils se fassent une raison, los pobres ! ajouta-t-elle en lançant un regard entendu aux garçons.

- Mes histoires d’amour ne regardent que moi, merci. Si vous n’avez pas de sujet plus important à aborder, je vais retourner dans ma chambre.

- Gardes, empêchez-la de sortir, je vous prie.

Personne n’aurait pu l’empêcher de sortir de la pièce, mais elle s’arrêta tout de même au milieu, à mi-chemin entre ses collègues et son père adoptif. Elle ne porta pas la main à son arme, qui était revenue à sa jarretière, mais le sourire un peu fou qui étirait ses lèvres ne laissait aucune place au doute. Au moindre mot de travers, elle perdait le contrôle et nul ne pouvait savoir ce qui se passerait ensuite, ni qui y survivrait.

Pourtant, si l’atmosphère avait radicalement changé, il semblait que les hommes restaient pendus à des lèvres dont la courbure avait tout d’inquiétant. Elles dévoilaient des dents serrées et non loin au-dessus, des yeux à la rondeur presque anormale s’étaient fixés sur celui qui se tenait désormais derrière elle.

- Zelda, si tu décides de t’en aller comme ça, tu sais pertinemment que je n’aurai pas le choix.

- Oh, je sais très bien que si je blesse qui que ce soit, j’aurais toute l’organisation à mes trousses et ce probablement jusqu’à ce que vous me mettiez la main dessus, je me trompe ? Bien sûr que non, je ne me trompe pas. Je connais cette règle, vous me l’avez répétée sans cesse, depuis douze ans. La moindre blessure, la moindre dent en moins me coûtera ma vie. Ma vie, j’en fais ce que je veux. Mes amours, c’est la même chose.

Elle marqua une pause et laissa son corps suivre ses pieds. Figés à quelques mètres d’elle, les deux groupes d’observateurs n’osaient plus bouger. Aucun de ceux qui avaient pris la parole n’osaient se rapprocher des murs ou de la porte. Le simple fait de respirer leur semblait déjà de trop. Les battements de leurs cœurs résonnaient en eux comme un vacarme susceptible de les faire tuer en moins de temps qu’il ne fallait pour le penser.

Lorsque sa voix reprit, étrangement posée par rapport à ses mots, ils ne purent s’empêcher de frissonner et certains regards glissèrent vers la porte et ceux qui étaient chargés de la garder et qui tremblaient de tous leurs membres.

- Reposez-moi cette question et on verra qui mettra sa vie en danger, d’accord ?

S’ils n’avaient pas déjà été incapables du moindre mouvement, ils se seraient figés, comme s’ils avaient été recouverts de plusieurs épaisses couches de glace. Elle ne se départit ni de son sourire, ni de son air fou et ne bougea pas. Elle savait pertinemment que l’homme qui lui faisait face allait répliquer et elle n’attendait que sa réaction pour prononcer les mots qu’ils avaient voulu entendre, quel qu’en soit le prix.

Alors lorsqu’elle le vit ouvrir la bouche, malgré son corps rigide, coincé dans une position désagréable, son sourire s’élargit à tel point que le doute n’était plus permis. Si sa réponse ne lui plaisait pas, la folie prendrait le dessus. Mais elle n’avait qu’une envie : qu’il s’avance. Qu’il se jette dans la fosse aux lions. Qu’il se jette entre les griffes du tigre. Que la panthère qui lui faisait face le dévore et qu’il n’en reste que des os.

- Zelda, j’ai besoin de savoir.

- Besoin ? lui demanda-t-elle doucement, malgré un ton mielleux. Besoin ? Ah oui ? Et pourquoi ? Parce que vous êtes mon père ? Parce que vous êtes responsable de moi ? Et si je vous disais que j’étais majeure, que je pourrais très bien prendre mon envol et vous laisser là, caché, six pieds sous terre, pour l’éternité ? Je n’aurais même pas à vous enterrer…

- Je m’inquiète, ma fille. Tu subis beaucoup de pression, tu es au centre de beaucoup de projets, tu as une vie qui pourrait t’échapper au moindre mouvement mal calculé et je tiens beaucoup à ce que tu… À ce que tu ne blesses pas par inadvertance. Ma requête n’était pas mal dirigée, simplement mal exprimée et je…

- Pas mal dirigée ? l’interrompit-elle en éclatant d’un rire effrayant. Pas mal dirigée ? Et puis quoi encore ? Vous avez essayé de me pousser dans les bras de la première personne convenable, vous avez voulu me forcer à vivre avec lui et vous n’avez même pas eu la délicatesse de me faire cette proposition en privé ? Vous vous rendez compte que dès que cette porte s’ouvrira, tout le monde saura ce qu’il s’est dit entre ces murs ?

- Ce n’était pas ma volonté, ils pensaient t’aider, en me demandant de ne pas insister, puisque ta porte était fermée…

- Peut-être auriez-vous mieux fait de ne pas avoir fait ouvrir cette porte, alors… Ils n’ont pas demandé à y assister et je suis sûre qu’ils ne rêvent que d’une chose, c’est de prendre la fuite. Chose que vous ne leur accorderez pas, car ce serait reconnaître votre lâcheté et la frayeur de vos subordonnés. Ai-je tort ?

- Non, mais… Zelda, s’il-te-plaît, je suis…

- Non, ne le dîtes pas, je sais que vous mentez.

- Très bien, je ne dirais plus rien alors. Mais si tu as un peu de compassion pour ceux qui n’auraient pas dû entendre tout ça, donne-leur la réponse que tu m’as refusée. Victoria a raison, que ceux qui souffrent de ne pas savoir, d’aimer sans retour, puissent avoir une réponse et commencer leur deuil.

Sur ces mots, il se leva, lourdement appuyé sur le bras de son trône et sortit de la pièce d’un pas lent qui ne lui ressemblait pas. Le silence tomba sur la pièce comme une chape de plomb. Ce furent les mots de Zelda, avant qu’elle ne se décide à bouger, qui la firent s’envoler.

- C’est Kafka. Ce sera la Présidente Kafka et personne d’autre, murmura-t-elle avant de tourner les talons.

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