Chapitre 24

5 minutes de lecture

Même lorsqu’elle passa la porte, elle n’entendait aucun bruit. Rien d’autre que son cœur qui battait, que ses dents qui grinçaient, que ce nom qui résonnait, encore et encore. Sans jamais s’arrêter. Comment retrouva-t-elle le chemin de sa chambre ? Elle ne le saurait probablement jamais. Si elle croisa quelqu’un dans un couloir, il dut s’écarter pour la laisser passer. Lorsque la porte se referma sur elle, quelque chose se brisa. La magie qui avait gardé tous ces gens, tous les spectateurs de sa folie sur leurs deux jambes s’évanouit.

Dans la salle de marbre, Louis tomba à genoux, le visage dans les mains, anéanti. Qu’avait-il cru ? Qu’avait-il osé croire ? Maintenant qu’il connaissait ses secrets, maintenant qu’il avait accès à sa vie, à tous ces gens qui l’entouraient depuis tant d’années, que s’était-il laissé espérer ? Qu’un jour, il serait à ses côtés ? Lui qui n’avait jamais vu plus loin que ce qu’elle voulait bien lui montrer ? Lui qui s’était contenté de suivre ses ordres, de boire le miel de son inquiétude, de s’abreuver du lait de ses compliments ? Il était coupable d’avoir cru un instant que partager ses peines lui offrait une place particulière dans son cœur, que d’avoir partagé ses combats était la preuve d’un lien qui les reliait inexorablement l’un à l’autre, que d’avoir su ses crimes avait tissé un lien indéniable, indestructible entre leurs deux cœurs.

Il avait cru qu’elle pouvait être sienne.

Pendant ce temps, de l’autre côté de la pièce, les lieutenants doutaient de leurs oreilles. Ils n’arrivaient pas à comprendre véritablement le sens des mots qu’elle avait prononcés.

- La Présidente Kafka... ? , répétait Mamoru, qui s’était laissé glisser contre le mur.

- Tu crois qu’elle était sérieuse ? souffla Victoria, les yeux écarquillés.

- Elle n’aurait jamais menti aussi mal, alors… Je savais qu’elle l’avait rencontrée et qu’elles avaient échangé quelques mots, mais de là à… Et puis, ça veut aussi dire qu’elle…

- Tu veux bien finir tes phrases, por favor ?

- Elle est tombée amoureuse de la pire personne possible ! Et d’une femme !

- Et ça te dérange, niño ?

- Non, c’est juste que je… Ça ne me serait jamais venu à l’idée, c’est tout ! Et puis, c’est pas comme si elle l’avait fait exprès… M’enfin quand-même ! La présidente d’INRIS !

- Tu l’as dit… Heureusement qu’elle n’est pas chargée de la phase finale du plan…

- Mais l’acceptera-t-elle ? songea-t-elle tout haut en relevant les yeux vers Louis. Y el, est-ce qu’il va s’en sortir, maintenant qu’elle… Oh ! Le pauvre… Il y croyait vraiment… Tu ne l’avais pas prévenu qu’il aurait mieux fait de garder son cœur à sa place ?

- Non, je croyais qu’il savait qu’il n’avait aucun change, mais visiblement, il ne l’avait pas assez bien cernée… Enfin, on peut parler, on n’a rien vu non plus…

Ils soupirèrent de concert, échangèrent un regard et se glissèrent derrière leur camarade. Ils eurent toutes les peines du monde à le relever, tant il était tremblant, affaibli, incapable de tenir sur ses jambes. Ils le traînèrent dans les couloirs en silence, tandis qu’il semblait à peine conscient, la nouvelle l’ayant assommé au point qu’ils n’étaient pas sûrs qu’il soit vraiment encore éveillé. Ils hésitaient à l’emmener à l’infirmerie. Ce ne fut que lorsqu’il s’effondra sur eux qu’ils se décidèrent et quelle ne fut pas la surprise du docteur lorsqu’il vit les deux membres les plus reconnus de l’organisation s’appuyaient de toutes leurs forces contre les murs et luttaient aussi bien pour rester debout que pour soutenir celui qui s’était effondré.

Et lorsqu’il eut fini de les installer tous les trois sous sa surveillance, il marmonna quelques mots qui en disait long sur la situation du boss et de sa fille.

- Entre l’une qui passe de l’inquiétude à la colère en deux secondes, celui qui délire et qui fait les cent pas depuis une demi-heure et ces trois-là qui sont bons pour une nouvelle nuit de sommeil alors qu’ils sont réveillés depuis deux heures, j’ai pas fini et je suis même pas sûr de pouvoir récupérer mes assistants en un seul morceau…

Quelques minutes plus tard, il fut appelé en urgence dans les appartements de Swan et écouta avec un vif intérêt le rapport que lui fit son assistant. Il ne tiqua sur aucun mot et fit préparer deux lits dans l’espace médicalisé, pressentant qu’il serait appelé dans moins de temps qu’il ne le pensait. Il y transféra le boss et fit fermer la zone où ses patients se reposaient, puis prit une chaise et s’y installa avec un traité de médecine et un carnet, patientant sagement.

Pendant ce temps-là, Zelda luttait contre elle-même. Quelque chose la poussait à partir, à la chercher, à s’excuser et elle savait que c’était impossible, qu’ils avaient besoin d’elle ici et qu’elle ne les abandonnerait pas, quel que soit le problème. Il y avait trop d’elle dans ces couloirs, dans les visages qui lui souriaient, dans les bonjours et dans les rires des enfants qu’elle avait vu naître. Elle avait passé trop de temps entre ces murs, elle avait aidé à creuser certains couloirs, certaines pièces, elle avait ramené des choses pour tous ceux qui le lui avaient demandé et dans cette exacte pièce où elle se tenait, elle avait laissé l’empreinte de son passage.

Une fine entaille courait sur le mur d’en face, qu’elle avait faite avec sa faux quelques années après son arrivée, au cours d’un entraînement nocturne qui aurait pu mal tourner. Le plafond conservait des traces de peinture qu’elle n’avait pas vues, lorsqu’elle avait voulu redécorer la pièce. Sur le tapis et une partie de ses draps, de multiples taches, de la sauce, du café, du chocolat, quelques traces de boue ou de sang s’étalaient. La pierre gardait derrière la porte la trace de la poignée chaque fois qu’elle cognait et chaque fois qu’elle la claquait, une fissure s’élargissait au niveau de la serrure.

C’était chez elle, ici et quoi que cet énergumène de Josh dise, elle n’irait pas à l’infirmerie, elle n’était pas malade, pas épuisée, au contraire, elle débordait d’énergie et elle aurait bien voulu dormir, mais ses pensées ne cessaient de s’agiter, de la traîner vers l’extérieur et vers cette femme, qu’elle avait appréciée le temps de la blesser. Et même si elle les regrettait amèrement, elle n’avait pas honte des mots qu’elle avait prononcés. C’était la vérité. Elle haïssait profondément ce qu’elle représentait, cette espèce de divinité surpuissante qui pouvait les contrôler d’un geste de la main, faire de l’Optio un adversaire, un collier d’esclave.

Mais face à elle, elle n’avait pas été capable de lui dire. Elle avait gravé au fond de son cœur la chaleur de sa peau, la noirceur de ses cheveux et son regard sombre qui l’avait faite tomber à genoux. Les quelques mots qu’elles avaient échangé n’avaient eu pour seul effet que de faire bondir son cœur et tourner sa tête. Même si elle avait été blessée par son mensonge, elle ne pouvait pas lui en vouloir… Après tout, elle l’avait insultée, elle en avait laissé d’autres faire de même et elle ne s’en était pas contentée. Car s’il y avait quelque chose qu’elle avait pensé, qu’elle avait espéré de toutes ses forces et qu’elle se maudissait d’avoir voulu, c’était sa mort.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Renouveau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0