Adieu Spindelsinn (1)

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  Un peu plus tôt dans la même journée, quelques mètres plus bas sous des gravats et de la glace, Sven observait plusieurs écrans. Un l'intéressait plus que les autres. Sur celui-ci, on pouvait voir des gens armés d’épées, de haches mais aussi d’armes à feu, sortir d’un grand hall en pierre. Certains se dirigèrent vers un véhicule rectangulaire, un bus comme sa compagne lui avait dit, afin de le mettre en route pour l’emporter avec eux. Le jeune homme remit ses cheveux blonds derrière son oreille avant d’appuyer sur un bouton pour observer l’extérieur du bâtiment qu’il surveillait. Les troupes commençaient à remonter dans un vaisseau géant : un bateau fait de bois et d’acier avec des voiles de chaque côté, comme les nageoires d’un poisson et au-dessus : un gigantesque ballon gonflable pour soutenir l’appareil. C’était un aéronef, un moyen de transport de l’ancien temps. Zenia lui avait expliqué que celui-ci avait été rafistolé ou fabriqué récemment, sûrement en copiant un autre engin. Rien que sur les écrans, ce navire était impressionnant et Sven, se disait que le voir en vrai, devait être encore pire.

  L’Amplifié soupira et passa ses doigts dans son petit bouc naissant pour jouer avec sa pilosité. Sa tête était pleine de questions. Comment un site technomagique pourrait influencer le climat ? Même si un endroit pouvait activer plusieurs autres appareils, ça semblait bien trop puissant et important pour être possible. Zenia lui avait montré différents lieux sur la carte et installé sur sa tablette des informations. Il avait tout lu mais n’arrivait pas à tout comprendre. Et depuis, elle s’était absentée pour charger des provisions sur leur moyen de transport. Ce qui apportait d’autres interrogations, comment comptait-elle les faire sortir d’ici ? Pourquoi ne pas être partie avant ? Cette femme, cette Écorchée comme elle se surnommait, était pleine de mystères.

  Il ramassa une bouteille d’eau pour y boire une gorgée. Ensuite, il vérifia les moniteurs pour s’intéresser à quelque chose, histoire de patienter. Zenia disait ne pas en avoir pour longtemps et qu’il ne pourrait l’aider avec sa jambe blessée. Mais il n’aimait pas attendre comme ça, se sentir impuissant et espérer des réponses qui ne voulaient pas venir. Il aurait voulu des explications sur tout car l’idée de partir, d’abandonner son frère, ses amis et sa ville, ne lui plaisait pas beaucoup.

  Un bruit le fit sursauter. Quelque chose frappait contre la porte. Sven se doutait qu’une goule avait dû renifler son odeur et appâtée par celle-ci, elle tentait d’atteindre son casse-croûte. Mais l’apprenti chasseur se sentait en sécurité, il ne comptait pas se lever et prendre le risque de tuer le décérébré. Il faudrait s’en alarmer quand d’autres rejoindraient ce gêneur. Il tenta de s’occuper l’esprit en lisant comment fonctionnait ces modificateurs de climats. Il y en avait plusieurs répartis dans le monde. Une fois allumés, ceux-ci provoquaient des ondes magnétiques qui se répandaient dans l’atmosphère pour réguler la température, les nuages, le vent et même la pression atmosphérique. C’était de la magie pour le jeune homme ou alors une grosse arnaque. Mais le martèlement de la goule contre la porte ne l’aidait pas à se concentrer.

  Il releva la tête et hurla au cadavre ambulant de faire moins de bruit, perdant son sang-froid. En réponse, le décérébré s’excita davantage sur la paroi métallique, ce qui allait rameuter encore plus vite ses congénères.

 – T’as pas une lame dans ton avant-bras ? Pour tuer une goule, tu sais ça marche plutôt bien, hein ?

Sven crut tomber de sa chaise à cause de la surprise. Il n’avait pas entendu Zenia revenir et quand elle prit la parole, il imagina durant un instant que son cœur allait bondir hors de sa cage thoracique.

  Elle lui fit un petit sourire, la tête légèrement inclinée sur le côté. Dans cette position, ses cheveux noirs lui cachaient une partie du visage, ajoutant un certain charme et amplifiant ce côté ténébreux. Sven se sentit soulagé qu’elle soit là. Elle reprit la parole :

 – Ils en sont où ?

 – Ils sont en train d’embarquer dans l’aéronef et ils prennent même le bus. J’imagine qu’ils vont bientôt partir aussi.

 – Ils voyageront plus vite que nous mais on est plus proche de la destination qu’eux. Tiens, ils ont exécuté leurs… otages ? demanda-t-elle, faussement intéressée.

Sven se tourna vers les écrans pour voir s’ils avaient bien pris avec eux Noa, Liam, Allan et Bruno. Après quelques secondes, il parvint à les apercevoir sur la passerelle de l’aéronef.

 – Ils sont du voyage. Je pensais qu’ils tueraient Noa pour avoir défié le chef… Liam semble important d’après la blonde. On pourra les sauver, tu crois ? Enfin s'ils ne les tuent pas en chemin. Interrogea-t-il, désireux d’aider son prochain, même si là, il ne les connaissait pas vraiment.

 – On verra mais ce n’est pas la priorité. Tout ce que je sais, c’est qu’on a les coordonnées ! Maintenant, on doit partir. On va descendre à l’étage inférieur et prendre le sous-marin. Il n’est pas bien grand, mais ça ira pour nous deux. J’ai chargé les boites de conserves, de la viande de rats et d’insectes ainsi que de l’eau potable. On va pouvoir quitter ce lieu. Tu n’imagines pas comme je ne supporte plus d’être ici ! déclara-t-elle enjouée, ce qui était une première pour Sven.

 – Si je parviens à le démarrer, répliqua-t-il un peu sceptique.

 – Tu y arriveras. Par contre, le navire est coincé et on devra utiliser ses torpilles pour le déloger. Ce qui veut dire que : sortir risque de briser la glace et une partie du bâtiment pourrait s’écrouler, expliqua-t-elle.

 – Mon frère et mes amis sont encore à l’intérieur ! s’emporta Sven.

 – Aux dernières nouvelles, dit-elle en pianotant sur le clavier. Ils ont pris cette échelle. S’ils continuent, ils vont passer dans l’aile Ouest du laboratoire minier. Normalement, ils ne risqueront rien. Le mieux serait qu’ils rejoignent la salle de contrôle et qu’ils prennent l’escalier, il y a un ascenseur mais il est sûrement hors service. Donc sauf s’ils tentent de descendre après les câbles, ça ira. De là, ils pourront rejoindre le hangar en partie inondé. Si toute cette partie ne s’effondre pas et ensuite, rentrer chez eux. Prie pour qu’ils évitent de fouiller la zone d’extraction de l’iridium, l’endroit y est infesté de cafards géants et de radiations. Ou encore qu’ils prennent la porte principale pour sortir, sinon ils tomberaient sur les titans au pied de la montagne.

Sven poussa un soupir et s’appuya sur la table pour se lever. Il attrapa sa canne pour s’aider et se tourna vers sa comparse. Celle-ci leva la main en direction de la porte pour l’inviter d’un geste théâtral à passer devant.

  Le jeune homme s’avança d’abord seul dans le couloir. Zenia récupérant quelques affaires avant de le rattraper, ce qui ne fut pas difficile avec le pas claudiquant de Sven. Elle lui montra la tablette, une télécommande ainsi qu’une petite boite à outils. Un peu intrigué, le garçon ne posa pourtant pas de questions, se doutant qu’elle lui expliquerait plus tard. Comme tout le reste, du moins, il l’espérait.

  L’Écorchée lui emboîta le pas pour le dépasser et avant d’arriver vers leurs chambres et l’infirmerie, elle tourna à gauche. Tapant de son poing le mur qui vibra lorsqu'une porte dérobée s’ouvrit. Devant eux se dessinait un chemin en pente sur une roche lisse. Zenia tourna les yeux vers son compagnon.

 – La pierre est humide et glissante, je te conseillerais de t’assoir. Tu vas descendre comme si c’était un toboggan.

 – Un quoi ?

Mais en guise de réponse, la jeune femme appuyait sur son épaule pour qu’il se baisse. Elle lui arracha sa béquille et le rattrapa quand il faillit s’écrouler. Une fois assis, il émit plusieurs réticences, mais Zenia posa son pied dans son dos pour le pousser avec force.

 – On se retrouve en bas. Et baisse la tête, le passage rétrécit par moment.

  D’une impulsion, elle le projeta dans le couloir. Sven glissait de plus en plus vite, plongé dans le noir, il se sentait balloté à droite puis à gauche. La peur lui monta à la gorge et il hurla. Son cri ne s’éternisa pas, comme elle le lui avait dit, le chemin se faisait plus petit et quelque chose heurta son front, l’assommant presque. Se retrouvant allongé, il se laissa descendre et secouer dans tous les sens comme une poupée. Le choc lui ayant fait perdre la notion du temps, il n’arrivait pas à déterminer s’il s’écoula quelques secondes ou une minute ou deux. Il termina sa chute dans une mare d’eau croupie, but la tasse et toussota.

  C’était la deuxième fois qu’il effectuait une descente effrayante dans cette mine et lui aussi commençait à être pressé de quitter ce sinistre lieu. La tête douloureuse, il se massa le front pour sentir une bosse qui se formait déjà ainsi qu’un filet de sang. Un peu honteux de cette blessure, mais aussi d’avoir hurlé comme un trouillard. Il entendit alors la voix de Zenia, se disant qu’elle aussi avait peur, ce qui le fit sourire. Mais il comprit trop tard : elle le prévenait de son arrivée. Il n’eut cependant pas le temps de bouger qu’elle surgit du gouffre pour le percuter avant de l’immerger avec elle dans la flotte, une seconde fois.

  Avalant encore de l’eau, il crut s’étouffer et paniqua. Remuant comme un diable pour sortir la tête des flots. Il sentit porté et son dos se posa sur la roche. Il souffla de soulagement et croisa le regard métallique de sa compagne. Celle-ci l’observait d’un visage sans émotion. Insondable, comme toujours ce qui embêtait le jeune homme se sentant particulièrement idiot.

 – Je crois que tu peux me lâcher, tu ne devrais plus te noyer… dit-elle simplement.

  Sven remarqua alors qu'une de ses mains agrippait fermement sa robe, tirant sur le tissu et provoquant un décolleté bien trop plongeant. Sous son nez, il pouvait voir la poitrine nue de Zenia. Pas bien grosse mais plus que ce que sa robe laissait imaginer. Il remarqua quelques cicatrices et grains de beauté sur sa peau incroyablement blanche. Pire elle était à califourchon sur lui et son autre main était crispée sur sa cuisse. Un cri étouffé s’échappa entre ses dents alors qu’il relâchait la robe et retirait ses doigts de sa peau. Bien que trempé et sonné, il sentit une vague de chaleur l’envahir. Jamais de sa vie, il ne s’était sentit si honteux, si gêné. Et comme si de rien n’était, Zenia l’enjamba pour se lever, passant au-dessus de lui. Si elle était déstabilisée par ce que son compagnon avait vu, elle n’en montrait rien. Ce qui était d’autant plus troublant pour lui.

 – On y est. Voici le sous-marin. J’ai pris la liberté de monter aussi quelques gisements de radz. Déjà car j’ignore si sans, je survivrais. Mais aussi pour que tu fasses le plein afin de mettre la dose d’électricité nécessaire à la batterie de l’engin.

Elle se tourna vers lui pour l’observer en souriant comme une enfant. Son sourire, ses joues un peu roses, ses cheveux trempés ou encore sa robe qui collait à sa peau, Sven ignorait si c’était à cause de ça ou la vue de sa poitrine, mais il ne l’avait jamais trouvée aussi belle. Ou simplement la voyait-il agir comme quelqu’un de normal ? Comme si elle montrait enfin des émotions, qu’elle était humaine.

 – Tout va bien, Sven ?

 – O… oui ! Désolé, j’ai pas regardé ! lâcha-t-il en se sentant coupable.

 – Désolé pour t'être rincé l’œil ? Ce n’est pas grave, c'était un rapprochement inattendu... Je ne suis sûrement pas la première ni la dernière, elle remarqua qu’il détournait les yeux. Ne me dis pas que…

Sven sentit ses joues devenir bouillantes pendant que Zenia levait les bras tout en haussant les épaules. Sûrement pour ne pas le mettre encore plus mal à l'aise, elle se détourna pour s'éloigner afin de le laisser respirer. Sven ne pouvait pas le voir, mais l'Écorchée souriait, trouvant probablement amusant que son compagnon soit si inexpérimenté, peut-être même se sentait-elle flattée ? Au bout de quelques secondes, elle tourna le regard vers lui.

 – On y va ? demanda-t-elle.

Sven ne répondit rien, il se contenta de se relever maladroitement à cause de sa cheville blessée tout en ramassant sa canne. Une fois debout, il sautilla hors de l’eau croupie pour marcher vers sa collègue.

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