Chapitre 1, April

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— Nous vivons dans un monde de fous ! entendis-je de l’autre côté de la pompe.
Sans blague. Je réprime un sourire. Je tire le pistolet et le coince dans le réservoir avant de presser la détente. Mon regard reste fixé sur le cadran et les chiffres qui défilent à « l’infini ».
— Ne m’en parle pas, c’est mon dernier paquet de chewing-gums et il paraît qu’ils n’en vendront bientôt plus ! Répond le second homme.
— Tu plaisantes ?
J’affiche une expression faciale totalement neutre en entendant par obligation la conversation.
— Il paraît qu’il n’y aura bientôt plus de carburant, ça craint.
— Ça fait des années qu’ils nous bassinent avec ça et c’est jamais arrivé ! Il y a dix ans, ils disaient qu’il restait moins de dix ans de stock et regarde, onze ans plus tard on a encore de l’essence !
— C’est vrai. Mais le stock est mieux géré qu’avant.
C’est une façon de voir les choses. En fait, les stations essence sont plus restreintes qu’avant. Leur approvisionnement est géré par l’État qui régule de cette manière la consommation de la population. Petit à petit la quantité est réduite jusqu’à… l’interdiction totale pour les civils.

Ma main se fige quand le carburant ne coule plus. Mon regard reste bloqué sur le cadran et les chiffres qui ont cessé de défiler. C’est une blague ? Un début de colère déforme mes traits. Je force sur la détente en espérant que la machine se débloque. Rien ne se passe. Putain.
— Nos cuves sont à sec ! s’exclame un vendeur qui essuie nerveusement son front avec le dessus de sa main.
Des huées de mécontentement montent mais des sirènes retentissent dans la foulée. Avec les caméras disposées autour de la station, les flics interviennent dès que le stock est épuisé et tout le monde finit par partir de gré ou de force. Je reste plantée là avec le pistolet toujours dans la main et le regard figé sur le cadran immobile.
— Le camion-citerne ne passera pas avant deux jours, explique le vendeur à un des agents de police.
Mon poing est tellement serré qu’un « clac » se fait entendre. C’est la détente qui vient de casser.
Je repose le pistolet, soupire et m’adosse à la BMW grise en tirant un paquet de cigarettes de la poche intérieure de ma veste en cuir. Je la coince entre mes lèvres et l’allume pour tirer une longue bouffée que je souffle en direction du ciel. Les nuages ne sont pas assez fournis.
— Ok, répond l’agent, on continue de surveiller la zone au cas où certains décident de s’en prendre aux boutiques par mécontentement.
C’est arrivé fréquemment, dans plusieurs villes. Si bien que la plupart des commerçants ont installé des barreaux pour protéger leurs fenêtres.
Ma cigarette consumée, j’écrase le mégot sous ma semelle et le jette dans le cendrier de la voiture avant de quitter la station essence déserte. Le jour s’est levé depuis une heure et les rayons du soleil se frayent un passage à travers les nappes nuageuses pour illuminer l’asphalte. Je mets le contact, avale deux comprimés blancs sans eau et m’engage sur la route en direction de la ville. Un grand terrain vague s’étend avant les premières maisons. Au loin, j’aperçois des silhouettes amorphes, des carcasses de voitures, des meubles, des objets de toutes sortes, abandonnés. Rien de très accueillant.

Le panneau à l’entrée de la ville est détaché d’un côté et pend dans le vide, ballotté par le vent. Toutes les lettres ont été effacées et personne ne va s’en occuper avant longtemps.

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