Chapitre 2, Miraza

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Je ne peux pas me souvenir de la vie d’avant. La vie d’avant, c’était avant ma naissance.
Quatre saisons, une température moyenne de 15°C, un climat réglé comme une horloge et chaque année, une floraison semblable à celle de l’année précédente.
Tout ça ne me dit rien. Le temps n’était pas aussi changeant, il paraît. J’enfile mon manteau et mes chaussures.
— Je sors, on se voit plus tard ! Lançai-je à travers la villa.
Pas de réponse, il doit être occupé, comme d’habitude. Je prends mes clés de voiture et sors. Mon père travaille trop, mais je ne peux pas lui en vouloir, après tout, il n’a rien d’autre à faire.

Par chance, la météo du jour n’est pas si mauvaise. Il ne pleut pas, c’est un bon point. Ma destination est une serre construite il y a peu de temps par l’ancien fleuriste de la ville. J’ai entendu dire qu’il s’en servait pour proposer plus d’espèces. Les conditions climatiques, trop changeantes, bouleversent tellement l’équilibre qu’il faut construire des habitats artificiels pour préserver la biodiversité. C’est ce qu’ils racontent à la télé.
— Bonjour ! dis-je en affichant un grand sourire quand j’entre dans la serre.
— Miraza Sénitti, ma meilleure cliente ! répond le fleuriste derrière son comptoir, que puis-je faire pour toi ?
Je détaille l’intérieur du bâtiment, les murs de verre éclairent les plantes tout autour de nous. Il y en a de toutes sortes mais en quantité limitée et à un prix exorbitant.
— Ça te plait ? J’espère pouvoir conserver mes spécimens les plus rares ici, même si je doute qu’ils soient achetés un jour…
C’est sûr qu’avec des prix pareils, n’importe qui ne peut pas se permettre un tel achat.
— J’attends qu’un laboratoire me fasse une offre, explique-t-il, ils sont de plus en plus intéressés par ces fleurs. Apparemment, l’État a lancé une campagne de préservation des espèces en voie de disparition. Dommage qu’ils ne lancent pas de projet pour préserver notre métier !
Je souris tristement et lui passe la même commande que le mois dernier, un bouquet de myosotis roses. Je ne sais pas quoi répondre à ça. Ce n’est pas la seule profession en voie de disparition et il y en aura de plus en plus. Le pire, c’est que le gouvernement reste passif.

Une dizaine de minutes plus tard, me voilà, mon achat dans les bras, poussant la grille du cimetière de la ville. L’herbe brûlée donne à l’endroit un aspect infernal mais heureusement quelques arbres restent ornés de feuilles vertes et offrent des zones d’ombrages non-négligeables. Je fais trente pas en avant, deux sur ma droite et je dépose mon bouquet de fleurs. Leur parfum enveloppe la pierre tombale et leur couleur pâle contraste avec la gravure sombre de l’épitaphe sur laquelle je lis « Lys Sénitti ». Mes souvenirs sont flous. J’ai lu quelque part que dans ce genre de situation, il arrive de rester accroché à un unique souvenir. C’est à peu près ce que je vis depuis quinze ans. J’ai quelques souvenirs d’elle mais aucun de ce jour-là. Je ne reste pas plus de dix minutes. Pour éviter de culpabiliser à cause de mon amnésie.

Sur le chemin du retour, je passe devant un immeuble effondré. Au milieu des débris et des gravats, des dizaines de personnes en état de choc sont assises, la tête entre les mains. Et un groupe leur vient en aide. Ils portent des brassards noirs. Je ne sais pas qui ils sont mais c’est au moins la troisième fois que j’assiste à une telle scène. Sûrement une association qui vient en aide aux sans-abri. C’est ce que ces gens sont devenus en un éclair, des sans-abris. Les habitations s’effondrent sur leur base. J’ai lu un article récemment à ce propos, un champignon prend racine dans les bâtiments et fissure les fondations. Personne ne s’en aperçoit jusqu’à ce qu’il s’effondre sur lui-même, sans prévenir. Les morts se comptent par dizaines et la chose devient de plus en plus problématique. Heureusement, le gouvernement a annoncé que des scientifiques travaillaient sur une solution. Mais elle tarde à arriver.

Quand je rentre à la villa, mon père m’attend, un verre de whiskey à la main, il me toise.
— Où étais-tu encore passée ?
Je lui lance un regard noir qui souligne mon air de reproche insistant.
— Je t’ai déjà dit que tu devrais arrêter de gaspiller ton argent pour des fleurs qui vont crever à cause de la chaleur !
Il a peut-être raison, tout ce que j’entreprends me semble inutile. Il a le don de me faire culpabiliser et de me donner l’impression que je suis une moins que rien.
— Au moins, je vais la voir, contrairement à toi, m’indignai-je, mais j’oubliais que tu considères que c’est une perte de temps !
À son visage qui se ferme, je comprends que j’ai visé dans le mile. Mais je sais qu’il ne va pas se laisser abattre aussi facilement. Mon père est un homme d’affaires, un patron et il ne craint personne.
— Elle est morte, tranche-t-il, il n’y a plus rien à aller voir.

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