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Avec ce fructueux échange, Gaspard a pris la dimension internationale de sa mission. Il doit passer prendre quelques affaires avant de foncer vers la gare. Les effets du venin se sont estompés, mais il a l’impression de conserver une ouïe et une vue plus fines qu’auparavant. Malgré cela, il met en pratique ce qu’il a appris pour déjouer une filature, c’est-à-dire principalement se retourner régulièrement pour voir s’il n’est pas suivi. Il remarque qu’il y a beaucoup d’hommes en gabardine en train de lire le journal en marchant. Comme il ne se souvient pas des autres jours, n’ayant pas prêté attention à ces comportements, il se dit que, peut-être, simplement, un événement important s’est produit. Il se rend compte qu’il est très difficile de reconnaitre un de ces hommes et de savoir s’ils le suivent vraiment.

Il entre alors dans le café habituel, histoire aussi de serrer la main aux amis, pour les saluer, sans leur dire au revoir. Trois nouveaux clients, toujours dans leur journal, sont entrés après lui et il en aperçoit deux devant la vitrine. Il fait signe au patron et se dirige vers les toilettes. Il connait la sortie sur l’autre rue, en passant par les cours. Au porche, il jette un œil sans voir de gabardine à journal et, en faisant un détour, il peut monter chez lui, attraper sa valise en carton déjà prête et sortir avec précaution. Toujours aucune silhouette hostile.

Se sentant invincible et invisible, il descend tranquillement dans la bouche de métro. C’est l’affluence du matin. Il avance dans la file, vers la cabine où le composteur officie à percer les tickets, quand un ramdam se produit près de l’entrée du couloir. Des hommes armés, se bousculant les uns les autres, fendent la foule, dévisageant chaque homme. Gaspard vient de reprendre son ticket troué quand une main se pose sur son épaule. Il esquive tandis que son agresseur tente de forcer le passage. Le composteur, avec l’assurance de l’importance de sa fonction, bloque le fraudeur. Gaspard sait qu’il a juste le temps de dévaler l’escalier, car le crissement du train dans la courbe d’entrée de la station se fait entendre. Il se glisse dans la dernière ouverture du portillon automatique qui bloque ses poursuivants, sans, heureusement, briser un des précieux récipients. Il prend le temps de les regarder avant de monter dans la rame. Les jurons en langues diverses, mais inconnues l’amusent.

Le Mistral est à quai. Le contrôleur en début de quai vérifie son billet et il doit négocier pour pouvoir passer, puisque son titre porte la date du lendemain. Il voit déjà des gabardines au guichet, sans doute en train d’acheter des billets de quai. Peut-être les Américains, qui lui ont donné le billet, bien qu’il soit impossible qu’ils se soient rendu compte de quelque chose aussi rapidement. Les communistes non plus. Les British ont du pain sur la planche. Sont-ce ceux que Quatre a évoqués ? Il n’a pas le temps de s’en demander plus. Il grimpe alors que le train démarre et que les gabardines parviennent au bout du quai, sans pouvoir sauter sur le dernier marchepied. Sauvé ! Il se cale dans un moelleux compartiment de première classe et s’effondre, car les effets du venin s’estompent et une grande fatigue l’envahit. Il pousse un tel soupir qu’il fait sursauter sa voisine en face, une gracieuse jeune femme. Les derniers élans du venin le font se dresser, prêt à renouveler ses ardeurs. Mais c’est épuisé qu’il retombe sur son siège, tombant dans une catalepsie dont le contrôleur aura du mal à le tirer.

Neuf heures après, il se réveille quand il entend les haut-parleurs de la gare crachouiller sa destination. Sa voisine a disparu, remplacée par un bourgeois ventripotent. Sa valise n’a pas bougé ! Quelle imprudence ! Non seulement les effets secondaires sont catastrophiques, relativement pour certains aspects, mais la sortie de l’injection est extrêmement dangereuse, laissant la « victime » dans un état de faiblesse l’exposant à tous les risques.

Un grand épuisement l’habite encore, mais ses sens semblent avoir conservé une acuité accrue. Il décide de profiter du beau soleil pour descendre vers le port à pied. Il regrette rapidement, car c’est le vent glacial qui a dégagé le ciel et qui le pousse de son souffle vers la mer.

Le bateau part le lendemain. Il se réserve une cabine de première classe, puisqu’elle lui est offerte, puis dégotte un petit hôtel. Ses sens sont en éveil, mais il ne perçoit aucun danger. Il est impossible à ses poursuivants de le rejoindre. À moins qu’ils aient des correspondants dans cette ville. Confiant, il décide d’aller manger sur le port. Il est attablé quand un homme se présente à lui.

— Excusez-moi. Je suis en déplacement et j’ai horreur de manger seul. Puis-je m’asseoir à votre table ? J’aime parler, si cela ne vous dérange pas.

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