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Son plan initial était de passer à l’ambassade, pour rendre compte de sa mission, avant de l’achever en rapportant ensuite le butin au Tualroc. Sa nouvelle clairvoyance lui fait voir les choses autrement. Il franchit la porte de l’ambassade, passe devant la garde en lançant : « Ne vous dérangez pas, je connais ! ». La garde, n’ayant reçu aucune instruction pour un cas semblable, le laisse passer, sans pour autant sourire. Gaspard avale l’escalier d’une enjambée. Le bout de papier punaisé a été remplacé par un écriteau gravé sur du plastic et un paillasson trône maintenant devant la porte.

Sans frapper, il l’ouvre et trouve Quatre en discussion rapprochée avec la secrétaire, qui est loin d’être aussi belle que Barbara.

— Oh, Sept ! Excuse-moi, j’étais en train de dicter à voix basse une lettre secrète à Sana, et comme elle est malentendante, elle est obligée de se mettre sur mes genoux.

— Toute ma compassion, jeune femme ! Nous pouvons causer tous les deux ?

Quatre n’en revient pas de l’assurance de Sept.

La jeune femme, qui doit également souffrir des jambes, d’après son déhanchement, quitte le bureau.

— Bon ! Explique-moi un peu ! J’ai été attaqué par les Américains, les Anglais, le « Mossad » (tu sais ce que c’est ?), sans doute les Russes… Ça fait beaucoup pour un pauvre balayeur…

— Ouh la la ! Tout ça ! Ils sont donc déjà au courant…

— Peut-être que quelqu’un les a renseignés…

— Qu’est-ce que tu imagines…

— Et d’abord, pourquoi s’adressent-ils à moi ? Pourquoi ne vont-ils pas eux-mêmes voler les spécimens dans le laboratoire ?

— Mais parce que personne ne sait ce qu’il faut prendre ! Toi, tu le sais ?

— Je cherche, je ne suis pas encore certain. C’est comme là-haut, il y a trop de possibilités ! Les Français ont progressé sur la sélection, c’est sûr. Ils ont de l’avance par rapport aux autres.

Gaspard se garde bien de parler de ses discussions avec Charlie. Il sait qu’il ne sait plus qui sont ses amis.

— Mais comment savent-ils que moi, je travaille dans ce laboratoire et que c’est celui où se trouvent les bêtes à venin ?

— Facile ! Jacob et compagnie ont publié des articles et ils sont connus !

— Mais pourquoi ne pas nous l’avoir dit avant notre départ ?

— Je ne l’ai appris que récemment !

Gaspard ne comprend plus, malgré sa clairvoyance. Soit Un le savait et leur mission était une diversion. Soit une autre équipe travaille en parallèle, en concurrence peut-être, sur cet objectif. Ce pourrait être Gaston, qui a disparu pour progresser de son côté. Soit, Un ou un autre est en relation avec d’autres services étrangers, officiellement ou non. Soit, il y a encore d’autres possibilités. Gaspard, dans ses lectures, avait bien compris qu’on ne comprend jamais tout dans ces histoires.

Que diable est-il venu faire dans cette galère ? se demande-t-il. Autant en profiter pour tirer les vers du nez de son collègue.

— Pourquoi s’adressent-ils tous à moi et pourquoi pas directement à un des chercheurs ?

— Qui te dit qu’ils n’ont pas essayé, mais apparemment, ça ne suffit pas ! Écoute, nous nous sommes renseignés aussi. D’abord, Jacob : il est juif et donc travaille pour le Mossad.

— Ah bon ! C’est quoi le Mossad ?

— Le service israélien. Enfin, je ne sais pas, mais c’est forcé.

Cette évidence échappe à Gaspard, tandis que Quatre continue :

— Maxwell, son adjoint, est de mère américaine et a fait ses études à Princeton, donc il travaille pour la CIA.

— Je les connais ! Ils m’ont menacé si je ne travaillais pas pour eux !

Gaspard enchaine sur les conditions de cette rencontre, omettant le deal conclu et le billet de première classe.

— Charles, le doctorant, vend l’humanité Dimanche, c’est donc un communiste qui travaille pour les Soviétiques.

— Il est sympa !

— Oui, les Soviétiques nous soutiennent et sont très intéressés. Tu as dû les voir approcher ?

— Non…

Gaspard rougit. Serait-il possible que Barbara soit un agent soviétique, elle qui est si belle ? C’est vrai qu’elle l’a drogué, mais c’était plutôt pour avoir les faveurs qu’il lui refusait…

— Il y en a d’autres ?

— Il y a forcément les Britanniques ! Ils sont partout. Sans doute Martin, qui était à Londres pendant la guerre et a terminé ses études à Oxford.

— C’est l’ONU, ce laboratoire !

— C’est bien pour ça que nous t’avons mis là !

— Il y en a d’autres encore ?

— Sans doute des Albanais, des Bulgares et des Groslandais !

Gaspard ignore où sont les pays de ces gens et, pour l’instant, il ne les a pas encore croisés. Bien qu’un peu tardivement, il se demande s’il a bien agi.

— Bon ! Mais j’ai besoin d’un conseil.

Gaspard raconte son entrevue avec l’Anglais coincé et le professeur jovial et termine en posant la question :

— Est-ce que nous pouvons coopérer avec eux ?

— Il faut que j’en réfère à qui tu sais ! C’est de son ressort !

— Tu LE connais ?

— C’est le cousin du frère de la femme de mon beau-frère !

Gaspard est impressionné par la proximité avec leur guide suprême et comprend la nécessaire promotion de son camarade. Il perçoit complètement l’importance de sa mission et de son rôle. Il est content d’être presque parvenu au but.

— Et pour les autres ?

— Tu fais au mieux !

Gaspard hoche la tête, avec une moue. La clarté des instructions l’impressionne : s’il réussit, ce sera une victoire pour le service, s’il rate, il sera le seul responsable.

— Bon, je vais y aller.

Quatre hoche la tête à son tour. Dans cette profession, moins on en dit, moins on en sait. Gaspard se lève, provoquant un bruit de verre dans sa poche. Quatre, sans doute aussi malentendant que sa secrétaire et pressé de reprendre la dictée de la lettre, ne prête aucune attention à ces sons inattendus.

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