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Selon les directives reçues, il passe prendre son matériel et se rend dans le bâtiment. Pour brouiller les pistes, il commence par le laboratoire de droite au rez-de-chaussée. On lui a clairement indiqué que son rôle se borne au nettoyage des sols, des escaliers et au vidage des poubelles. Il a l’absolue interdiction de toucher à ce qu’il y a sur les paillasses, en se faisant expliquer ce que ce mot signifie, et sur les bureaux : il peut y avoir un grand danger. Il ne doit pas adresser la parole aux personnes qui travaillent, mais répondre à leurs questions et à leurs demandes.

Après avoir fait les deux labos du bas et celui de gauche, il est, enfin, devant la porte sacrée. Il présente sa carte et entre ainsi dans le but de sa mission. Son cœur s’accélère quand il découvre une immense salle dans laquelle sont disposées des sortes de tables sur lesquelles reposent d’immenses cages en verre. Il s’approche de la première et voit une énorme araignée, pleine de poils, grosse, comme le poing. Il a un mouvement de recul. En face, ce sont des scorpions. Plus loin, des fourmis, des serpents… Certaines tables sont surmontées de lampes puissantes. Il avance, scrutant tous ces monstres dangereux. Le long des fenêtres s’étalent les fameuses « paillasses » et, au fond, une rangée de bureaux, dont un dans une cage en verre, sans doute celui de Jacob-Dubois. Quatre personnes sont occupées à l’autre bout de la pièce et il se met à consciencieusement faire son travail, essayant au passage de lire ce qu’il y a écrit sur chacune des boites en verre. Ce ne sont que des suites de chiffres et de lettres, avec des dates. Il doit y en avoir deux ou trois dizaines. Il se décourage en se demandant comment trouver la bonne boite et le bon animal. Peut-être viennent-ils tous de là-bas ? Au moins, ici, il peut les voir, même si cela ne fait guère avancer son schmilblick.

À peine est-il entré qu’un jeune blondinet à lunettes vient vers lui.

— Bonjour ! Tu es le nouvel homme de ménage ?

— Oui.

— Bon ! Écoute. Ici, il y a des animaux très dangereux, dont la piqure peut te tuer instantanément. Tu ne dois jamais toucher aux boites. De toute façon, elles sont toutes verrouillées, mais quand même. Si tu entends l’alarme, tu ne sors pas, tu dois te réfugier dans le bureau vitré. De toute façon, la porte extérieure est immédiatement verrouillée par le garde et il faut attendre l’arrivée du personnel avec les protections. Et si tu vois une bête se promener hors d’une cage, tu appuies sur le bouton rouge près du bureau, tout en courant te réfugier. De toute façon, il est impossible qu’un seul s’échappe ! Et puis la nuit, la porte est toujours verrouillée de l’extérieur par le gardien. De toute façon, personne ne vient la nuit et le premier à entrer le matin vérifie d’abord que toutes les cages sont bien fermées.

C’est ainsi que Gaspard fait la connaissance de Charlie, qu’il surnomme instantanément « DeToute Façon ».

Les premiers jours, il glisse avec discrétion, se faisant le plus discret possible. Il reconnait maintenant les personnes et a appris leur nom quand ils s’interpellent. Le plus vieux et donc le plus évident, c’est Jacob, ou Dubois, bien qu’il ne soit appelé que « Professeur » ou « Maitre ». Son adjoint, c’est Maxwell. Il y a également deux jeunes, Charles, ou Charlie, et Edmond. Gaspard croit comprendre que les deux autres sont simplement des aides, chargés de l’entretien des cases : Roger et René. C’est surtout avec eux qu’il a affaire, car, quand il nettoie un vivarium, comme il a appris le nom, cela fait beaucoup de saletés qu’il doit nettoyer ensuite.

Il prend l’habitude de les saluer discrètement. Ils répondent et il finit par être connu et appelé par son nom. Il n’a pas fait les mêmes efforts dans les autres laboratoires, dans lesquels il passe rapidement, comme une ombre.

Gaspard n’a toujours pas de plan. Les semaines passent, mais aucun indice ne lui permet d’avancer. Être si prêt du but et ne pas percer le mystère l’énerve. En même temps, il a compris que sa force était de ne rien faire et que les problèmes trouvaient toujours une solution. Il se force donc à se regarder attendre.

La technique est maintenant rodée, car il ne tarde pas à voir une idée poindre. Un mercredi, car ce jour-là il y a la réunion hebdomadaire, et tout le monde est là, il arrive avec des boites de gâteaux.

— Je m’excuse, mais hier, l’un d’entre nous a fait une fête pour le mariage de sa fille, là-bas, au bled. Il reste plein de gâteaux et j’ai pensé que cela vous ferait plaisir.

Dans la boite, brillants de miel, s’étalent mhanchas, msemens, briouates, basboussas, cornes de gazelle. Les laborantins fondent dessus, tandis que Jacob-Dubois se met à raconter ses souvenirs de ses recherches au Tualroc. Il avait aimé le pays, ses paysages. Maxwell, qui l’accompagnait, renchérit. Après s’être empiffrés de ses gourmandises, c’est ce dernier qui lance :

— Ils sont drôlement bons ! Tu es de là-bas ?

— Oui.

— D’où ?

— Du Djerbre.

Aussitôt, Gaspard se rend compte de sa bourde. Il aurait dû se préparer, inventer une autre origine, comme la Saouti, d’où vient Gaston.

— Ça, alors ! Presque tous les animaux qui sont ici viennent de chez toi.

— Comment ça ?

— Juste avant l’Indépendance, nous avons monté une expédition, car c’est une région très spéciale, avec des zones qui sont restées isolées pendant des millénaires, et donc des animaux qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

— Ah !

— Bon, c’est pas tout ça ! Au boulot, mes gars. Et merci encore… Comment tu t’appelles ?

— Gaspard.

— Ah, oui ! Merci encore, Gaspard.

Un pas en avant, deux pas en arrière, se dit le balayeur, en ramassant boites, papiers et miettes. Il est connu et un début de confiance existe, mais si TOUS ces animaux viennent du Djerbre, comment savoir celui qui est intéressant pour les militaires ?

Maintenant qu’il est connu, il s’arrête pour regarder Roger ou René sortir un animal pour lui prélever le venin. Les autres chercheurs sont sur les paillasses, à regarder des tubes qui chauffent. Puis ils vont chercher des souris, leur font une piqure et passent des heures à les regarder mourir. Petit à petit, il fait comme eux, se rendant utile en passant un objet, en tenant un sac. Tous le saluent, surtout quand, une fois par semaine, il apporte ses fameux gâteaux.

Charlie se prend d’amitié pour lui et lui explique leurs recherches. Il lui présente Gertrude, l’araignée rouge et poilue qui est la première quand on entre. Elle vient du Mapura, en pleine forêt amazonienne. Les venins ont des propriétés très intéressantes, mais elles ont aussi des effets secondaires, comme celui de faire mourir ! Il faut donc essayer de décomposer dans le venin ce qui peut être utile de ce qui est dangereux. C’est Dubois qui raconte que ce bout de vallée mystérieux du Djerbre recèle une dizaine d’animaux très intéressants. Gaspard en a froid dans le dos en pensant qu’ils étaient au milieu de tous ces dangers sans s’en rendre compte. Une estime réciproque nait entre le jeune chercheur et le balayeur, et Gaspard finit par lui demander, en tant qu’originaire de la région, de lui montrer les animaux du Djerbre. DeTouteFaçon lui montre trois araignées, minuscules, quatre scorpions, deux petits serpents et deux colonies de fourmis rouges. Il insiste sur les scorpions, disant que leur piqure a des effets étonnants et que ce sont eux qui sont à la base de la légende dont parle Dubois. Ce soir-là, Gaspard est heureux : il n’y a plus que quatre animaux concernés.

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