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Sans s’inquiéter de son ami, il part sur un sentier à peine tracé. Aucune crotte ne parsème la frêle pelouse, cet endroit semble déserté par les animaux. Ils se croyaient en haut de la vallée, mais le raidillon les monte encore. Après un faux plat, le sentier pénètre au fond d’une gorge. Un coulis d’air froid gèle leurs vêtements mouillés. Ils doivent crapahuter entre des rochers de plus en plus gros, rebroussant souvent chemin pour trouver l’interstice dans lequel ils peuvent se glisser.

Gaspard apprécie l’effet de ces épreuves sur Gaston, silencieux maintenant, sauf quand un juron signale qu’il a glissé ou qu’il s’est fait mal. Gaspard avance, indifférent à tout, concentré sur sa progression. La gorge s’élargit enfin, dans une sorte de cul-de-sac, assourdi par le fracas d’une cascade, rendant le lieu humide. Ils sont pris de frissons. C’en est trop pour Gaston.

— C’est plus une histoire d’espionnage ! C’est du grand n’importe quoi. Je me casse !

Gaspard n’entend pas ses jérémiades. Il s’assied en tailleur et ferme les yeux, se remplissant de l’énergie tellurique qu’il sent monter en lui.

— Eh ! Je te dis d’arrêter tes conneries millénaristes. On n’y est pas encore. Je veux bien des aventures, mais à ma mesure.

Gaspard fait la moue en secouant la tête. Il faut revenir à la mission. Il se dirige vers la cascade pour se passer la figure à l’eau, quand il devine un passage en dessous, à condition de franchir le mur d’eau froide. Gaston refuse. Gaspard est aussi épuisé. Décidément, il trouve que cette affaire n’est qu’une suite d’épreuves inutiles.

Ils font demi-tour quand, sans explication, Gaspard se retourne et marche vers la cascade. Le cri de Gaston ne l’empêche pas de foncer sous l’eau et de découvrir que, sur le bord de la cavité, le sentier continue. Il fallait simplement oser ! Content de lui, il poursuit son chemin, trempé et transi de froid. Ce n’est qu’une fois éloigné du vacarme de la chute qu’il entend son nom. Gaston arrive, un sourire crispé sur le visage.

— Et ben toi, dis donc, tu ne renonces jamais !

Ils avancent vite pour se réchauffer. La gorge se rétrécit à nouveau et le chemin aussi. Bientôt, il ne laisse plus que la largeur d’un pied, au milieu de la paroi. Le fond doit être à une dizaine de mètres avec la certitude de se fracasser le crâne. Soudain, l’angoisse saisit Gaspard qui se fige. Le vertige et l’appel du vide sont trop forts. Il est incapable du moindre mouvement et des sanglots d’agonie lui montent dans la gorge. Il sait qu’il est en train d’écrire le dernier chapitre de ses aventures. Il n’imaginait pas sa fin de vie ainsi.

Gaston est derrière lui. Il lui parle doucement, lui indique une prise à laquelle Gaspard peut s’accrocher. Puis il lui indique calmement comment avancer le pied. Pas à pas, Gaston guide son compagnon qui garde les yeux fermés. Heureusement, un peu plus loin, des pitons ont été posés, reliés par une corde, sans doute une trace du passage de l’équipe de Jacob. Non seulement c’est sûr, mais en plus ils sont sur la bonne piste ! Le passage dangereux n’est pas très long. Cependant, ils doivent encore poursuivre et ce n’est que vers midi qu’ils arrivent à ce qu’ils nomment inconsciemment « le sanctuaire », un vaste cirque infranchissable, à peine couvert d’une herbe rase et de minuscules buissons, dans cette fosse qui ne voit que le ciel et jamais le soleil. Un silence religieux baigne ce lieu, impressionnant les deux aventuriers.

Après ce recueillement, ils parcourent des yeux cet espace insolite. Des taches blanches s’aperçoivent par endroit. Curieux, ils s’en rapprochent pour être saisis de frayeur en distinguant les os blanchis de malheureux qui ont dû faire un mauvais choix. Ce n’est donc pas une légende. Il y en a une vingtaine, sans doute plus derrière les replis ondulés du terrain. En levant les yeux, Gaspard aperçoit les ombres d’immenses oiseaux qui tournent au-dessus d’eux. Ils sont hauts, mais paraissent attendre calmement l’erreur fatale.

Les deux apprentis aventuriers voient la même peur dans le regard de l’autre et le désir de sortir au plus vite de ce cirque. Leur situation se complique en constatant que de nombreux trous parsèment le sol, tous permettant de glisser la main dedans. Le marabout avait bien expliqué qu’il y en avait de fastes et d’autres à éviter, car dangereux. Devant l’épreuve suprême, il était impossible de choisir. Gaspard pense à ces jeunes qui ont franchi toutes ces difficultés dans l’espoir d’atteindre la plénitude et qui se trouvent face à une mauvaise loterie. Sont-ils devenus fous devant cette dernière étape ou par mauvais choix ? Il voue une immense reconnaissance à son père pour lui avoir épargné ce dilemme.

Après s’être recueilli chacun dans ses pensées, c’est Gaston qui rompt le silence.

— Moi, je ne vais pas mettre ma main dans un de ces trous de malheur, surtout après ce que le vieux fou a raconté !

— Je croyais que tu n’y croyais pas ! Moi non plus, je ne vais pas mettre le bras ! J’ai passé l’âge ! Maintenant, il faut quand même savoir ce qu’il y a au fond, c’est notre mission !

— Comme on ne peut pas voir, on va réfléchir à la réponse à apporter à Un !

— Il faut que ce soit la vérité !

— Non ! Il faut que cela le satisfasse ! Il n’a qu’à nous payer !

— Bon, bon. Et si on essayait de voir avec un bâton ?

— Super bonne idée !

Gaspard regarde, mais faute d’arbre, aucun bout de bois ne traine. L’idée de rebrousser chemin et de revenir avec un ustensile ne l’enchante guère. D’autant qu’ils peuvent remonter des monstres énervés au bout de leur bâton.

— Il y aurait bien un moyen…

— Lequel ?

— Regarde autour de nous…

Gaston ne comprend pas.

— On pourrait prendre un os…

— Quoi ?

Le hurlement de Gaston se répercute en écho sur les parois. Gaspard abandonne sa proposition, car il ne se sent pas capable d’emprunter son fémur à un de ces malheureux garçons.

Gaston s’est levé dans un mouvement d’horreur, fait deux pas sur le côté et s’effondre en hurlant : son pied s’est introduit dans un trou.

Gaspard se précipite auprès de son ami qui gît blanc comme un linge. Il croit au pire quand il voit une petite veine sur sa tempe battre avec frénésie. Gaston n’est donc pas mort. Ou pas encore. Pour avoir le cœur qui bat si vite, c’est qu’il doit être amoureux, se dit Gaspard, qui a beaucoup lu sur ce sujet. Il sait également comment faire revenir à elle une personne évanouie. C’est avec un certain plaisir qu’il gifle la tête à claques de son ami.

— Ça va ?

— Tu n’avais pas besoin de taper aussi fort !

— Tu as été piqué ?

— Non ! Mais j’ai eu tellement peur que je suis tombé.

— Tu m’as fait peur !

— Pas autant que moi ! Bon, on se casse ! C’est fini. On est venu, on a vu…

— On EST venu, on n’a rien vu encore ! Essayons plutôt de réfléchir…

— À quoi ?

— À ce qui aurait dû, PU te piquer !

— Vas-y toi ! Comment peut-on deviner ?

Pour moi, ça ne peut pas être une plante ou un champignon. Donc c’est…

— Un animal ! Bravo !

— C’est petit, forcément. Il n’y a rien à manger dans ce trou. Je dirais un serpent ou un insecte…

— Pas des abeilles ou des guêpes, car on les verrait voler…

— Des fourmis ? Une araignée ?

— OK ! Un serpent ou une araignée…

— Un serpent, il ne serait pas toujours là. Donc c’est une araignée très spéciale qui injecte un venin !

— Et ben voilà ! Bravo Gaspard !

— Il faudrait vérifier…

— Tu fais comme tu veux, moi j’ai la solution ! On fait une sacrée bonne équipe, tous les deux ! On peut rentrer !

Avec l’aide bienveillante de Gaston, Gaspard arrive à franchir la passe dangereuse. C’est les boyaux à vif qu’il pose le pied sur un sol sûr. Ils ressortent sur le chemin du village dans un état pitoyable, trempés, griffés et ensanglanté, épuisés et le ventre vide. Ils mettront un temps infini avant de rejoindre la petite ville.

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