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Gaston lui avait indiqué où il logeait. Il n’est peut-être pas encore parti. Gaspard a vite fait de convaincre son complice de l’accompagner, lui promettant des révélations possibles, se retenant de dire les risques encourus et ce qu’ils vont chercher.

Sur le chemin, Gaspard est pris d’un doute.

— Tu as bien pensé à apporter un cadeau ?

— Pourquoi ?

— On apporte toujours un cadeau au marabout, sinon il te maraboute !

— Des conneries ! Tu as quoi, toi ?

Gaspard lui montre une enveloppe.

— Ah, des billets ! Mais je n’ai rien sur moi.

— Va en chercher !

— Pas la peine, je n’ai pas peur. On le fait parler, c’est tout.

La maison de Mehdi est la plus belle du village. Ils entrent humblement et saluent abondamment le vieil homme qui semble absent. Gaspard dépose l’enveloppe. Rien ne se passe. Six et Sept se regardent, attendant l’oracle du vieux sage.

— Gaspard, je t’ai attendu longtemps, tu aurais dû venir et tu saurais déjà la réponse à ta question.

— Je…

— Je sais. C’est une épreuve qui renforce les vigoureux et anéantit les faibles. Tout le monde n’en est pas digne. Ton ami, là, par exemple, serait détruit.

Le ton et le regard méprisant n’appellent pas de réponse, d’autant qu’il est en accord avec cette appréciation. Gaspard comprend qu’il doit rester muet.

— Ceux qui sont appelés plongent leur bras dans le trou. Le Ruh leur transmet la puissance et le savoir, s’ils en sont dignes.

— Et comment savoir si on en est digne ?

— Les présomptueux le pensent, les sages en doutent, les peureux le redoutent et les imbéciles en sont convaincus.

Gaspard devine qu’ils ne sont pas au bout de leurs peines.

— Maitre, tu parles de mettre le bras dans un trou…

— C’est en mettant son membre dans l’inconnu que l’homme se grandit.

Gaston ne peut retenir un ricanement, ce qui lui vaut un foudroiement du regard du vieux sage.

Gaspard intervient.

— Ta sagesse et tes paroles sont sages. Puis-je humblement demander où se situe l’endroit « sacré » et comment trouve-t-on le trou ?

— Tu crois que c’est une promenade, alors que c’est une quête ! Cela se mérite…

— Maitre vénéré, je suis prêt et je vous respecte infiniment.

Le marabout fusille encore une fois Gaston, hausse les épaules, puis entame :

— Tu vas au-devant de graves dangers, mais tu peux les surmonter. Avance seul, car l’homme n’a pas toujours besoin d’un âne pour le porter ou d’une femme pour le servir.

Le regard vers Gaston souligne le propos.

— Monte vers le village de Berda. Dissimulé au regard du commun, dans la déchirure, un chemin monte vers un défilé. À toi de le trouver. Cette route est dangereuse et plus d’un est tombé au fond de la gorge. Tu arriveras alors dans une sorte de cirque, entouré de parois hautes et glissantes, dont on ne peut s’enfuir. Il y fait toujours sombre et froid. Tout autour, il y a de petits orifices, comme des terriers, dont on ne voit pas le fond et dont on ne sait rien. C’est là où il faut faire preuve de courage. Un mauvais trou, et c’est fini ! Un bon trou, mais une mauvaise personne, et c’est fini ! Mais un bon trou et une bonne personne, et c’est devenir un demi-dieu. Peu arrivent au bout et peu parmi ceux-là en reviennent grandis. C’est un chemin si personnel que ceux qui ont réussi ne le disent pas. Nul ne sait qui sont les demi-dieux parmi nous. Cependant, ils se reconnaissent entre eux.

Gaspard se retient de justesse, car il allait lui poser la question de sa propre expérience.

— Après, c’est la vie de chacun qui se déroule. Va, maintenant, affronte ton destin !

L’entretien se termine. Gaston semble ruminer ses vexations et Gaspard patauger dans le doute. Il s’agissait de renseignements, d’espionnage, pas d’une quête spirituelle. Les questions d’états d’âme ne le concernent pas. Il respecte les préceptes de la religion par habitude. Ce qu’il entend bouscule ses certitudes. Le vieux marabout le devine.

— Pose la question qui te brûle les lèvres.

— Maitre, n’est-ce pas un péché pour notre religion ?

— Cela existait avant le Prophète. Dans le Texte, il n’est nulle part interdit de le faire. C’est notre foi, ici, dans le Djerbre.

Nouveau silence. Les deux hommes devinent qu’ils doivent partir.

— Gaspard, tu devras revenir avec un cadeau, car on ne vient pas accompagné d’un mal élevé. Toi, qui ne m’as pas dit ton nom, tu seras désormais malheureux avec les femmes, incapable de leur parler et de les honorer.

Il n’y a rien à ajouter. Ils sortent à reculons, après toutes les salutations possibles. Dehors, Gaston se lâche :

— Pas très drôle, ton marabout. En tous les cas, maintenant, on sait où le trouver et de quoi il s’agit !

— Gaston, je suis désolé pour le sort…

— Oh, ne t’en fais pas ! Tu sais, moi, les femmes… C’est sans importance et je n’y crois pas !

Gaspard n’ose pas regarder son compagnon, ne voulant pas chercher à comprendre ce qu’il veut dire.

— Que fait-on, maintenant ?

— Je te dis : on sait ce que Jacob est venu chercher et on sait où c’est ! On peut rentrer faire notre rapport !

— On ne sait pas de quoi il s’agit et on sait vaguement où c’est…

Gaspard éprouve le besoin d’aller voir cet endroit, se demandant s’il plongera son bras dans un trou. Gaston est certain de ne pas avoir envie d’en savoir plus. La discussion dure entre les deux envoyés.

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