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Le car arrive tard. Il se faufile dans la maison de sa tante, veillant à ne pas troubler le sommeil léger de la vieille dame. Le lendemain matin, il lui explique ce qu’il est venu faire.

— Tu espères retrouver la trace d’un Français qui cherchait quelque chose pendant la guerre ? Alors que ceux qui leur parlaient étaient tués ? Tu crois qu’ils vont te parler maintenant ?

— Toi, tu connais tout le monde. Tu en as peut-être entendu parler ?

— Non. Ça ne me dit rien. Tu connais le Djerbre, enfin un peu. Ici, nous sommes au centre des vallées. Il faut que tu les remontes toutes, jusqu’au bout, en interrogeant tout le monde…

— Mais c’est impossible…

— Gaspard, si tu veux trouver, tu dois chercher !

Elle adore ces phrases en forme de proverbe, qui permettent d’achever toute discussion en laissant l’interlocuteur dans une perplexité indicible.

Gaspard ne voit pas d’autres solutions. Il prend son courage et des vivres et, pendant des jours, il arpente les sentiers muletiers, parlant, interrogeant, se faisant accueillir pour souper et dormir. Il parle avec les gens, découvrant leur vie, leur simplicité, leurs difficultés et leurs joies. L’automne approche et les grands versants boisés tournent leurs couleurs. Le matin, quand le soleil dissipe la brume dans les premiers bruits de la forêt, le spectacle est grandiose. Ce qu’il préfère, c’est le soir, quand la vallée chante des échos des bergers rassemblant leurs troupeaux pour les descendre à l’abri des loups qui parcourent ces pentes et dont les cris percent les nuits de pleine lune.

Gaspard veut trouver, mais une quiétude l’envahit doucement. Il ne s’est jamais vraiment intéressé à ce pays qu’il découvre maintenant avec ses pieds et des ampoules. Il se sent lui appartenir. Sa quête est un échec, mais il l’accepte, car il a trouvé ses racines. Il ne comprend pas pourquoi il s’est laissé embobiner avec ces embrouilles, pour finir par se retrouver tout seul à chercher il ne sait quoi. On s’est bien moqué de lui ! Il ne regrette pas ces deux mois, car maintenant, il aime son pays natal. Inutile de retourner à la capitale devant cet homme pour avouer son échec.

Sûr de lui, il avance vers sa demeure et se heurte à un quasi-mendiant, les traits tirés, au bord de l’épuisement.

— Gaspard !

Comment reconnaitre son complice dans cet accoutrement ?

— Gaston ? Mais comment ?

— J’ai parcouru ce pays infernal de bout en bout, interrogé tous les habitants. Presque rien ! On aurait pu au moins faire cela ensemble ! On se serait moins embêté !

Gaspard ne regrette rien : trainer cet imbécile pendant tout ce temps lui aurait pesé et il ne serait pas arrivé à la même sérénité. Compatissant, il lui offre un café.

Gaston a tourné en rond, mais, à l’étonnement de Gaspard, il a eu l’idée d’interroger la maison du village principal qui sert parfois d’auberge. L’équipe de Jacob est bien passée, il y a deux années, et elle a séjourné au moins deux semaines dans la région. Gaspard est bien obligé d’avouer en retour qu’il n’a rien trouvé et sa décision d’abandonner la mission. Gaston est un peu choqué, mais ils se quittent bons amis.

À son retour chez sa tante, celle-ci lui demande :

— Alors ? Tu as trouvé la trace des gens qui sont venus ?

— Non. Certains ont entendu ou vu l’équipe de Jacob. Mais je n’ai rien d’autre…

— Pourtant, je te sens différent…

— Oui, j’ai aimé cette recherche. Je ne connaissais pas mon pays. Maintenant, c’est le mien !

— Pas tout à fait !

— Pourquoi ?

— Ton père a toujours voulu le plus moderne pour toi. Il t’a coupé des coutumes…

— Comme quoi ?

— Comme celle de l’initiation des jeunes hommes, le Djerbremam.

— Raconte…

— À ses quinze ans, l'adolescent part affronter son destin, trouve son Esprit dans une transe et en ressort en homme.

— C’est où ? C’est quoi ?

— Est-ce que je sais, moi ! C’est une affaire entre hommes ! On lui a révélé comment trouver l’Esprit, et il va le chercher :

— Mais pourquoi moi…

— Je t’ai dit : ton père y était opposé. Et puis..

— Et puis ?

— Beaucoup de garçons reviennent démolis à jamais de cette quête. Soit ils deviennent des hommes extraordinaires, soit ils deviennent des légumes, soit ils tournent mal…

— Oui, j’ai été étonné de trouver des hommes qui paraissaient être des sages et d’autres de parfaits crétins… Mais, c’est ça que Jacob cherchait ! Pourquoi ne me pas l’avoir dit dès le début ?

— Parce que tu étais jusqu’alors un étranger à tes racines et que tu serais parti en le volant. Maintenant, si tu le trouves, tu le respecteras.

— Oui. Tu as raison. Mais je comprends aussi l’importance et le pouvoir de cet « Esprit ». Il faut que je sache ce que c’est…

— Pour une fois, ce ne sont pas les femmes qui portent le secret.

— Mais tu sais au moins quelle est la vallée Sacrée ?

— Les affaires des hommes ne concernent pas les femmes.

La discussion est donc terminée. Gaspard sort ruminer toutes ces informations en marchant dans la petite ville. S’il veut vraiment appartenir à cette vallée, il doit aller affronter ce djinn. Mais s’il existe, alors il doit également aider son pays. Il devra donc continuer sa mission. Il sait bien que sa tante ne lui a pas tout dit. Il est à peu près sûr qu’elle connait le lieu et la nature du ruh, aussi sûr qu’elle ne lui en dira pas plus. Qui peut guider les jeunes hommes alors ? Une évidence pointe dans sa tête : un seul peut connaitre le secret, Medhi ! Un frisson le parcourt. Depuis tout petit, il a toujours eu peur du marabout. Il est vieux depuis toujours et il lance des sorts. Il ne se sent pas d’affronter cette force obscure.

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