Tablette Lebleiz

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Le visage perlant de sueur, Ashron se redressa d’un bond. Il était toujours sur le canapé de cette habitation. À côté de lui, Ragnarok était là, inerte. Est-ce que l’arme venait de lui parler ? se demanda-t-il en la regardant. Comme pour s’en assurer, il effleura sa fusée du bout des doigts, mais aucun son n’en émanait.

Il avait rêvé.

Ashron se leva et tendit la main vers elle. Bandant les muscles de ses bras, il l’empoigna et fut tellement surpris de la lever que ses mains la relâchèrent aussitôt. Lourdement, l’arme retomba en fendant le sol de la maison. Etait-elle plus légère depuis son réveil ? Était-il devenu plus fort ?

Peut-être n’avait-il pas rêvé.

Guidé par la faim, Ashron laissa cette question en suspens pour chercher de quoi manger. En parcourant les placards pleins de vivres, il s'imagina la famille ayant vécu ici. Elle n'était plus, le purgat ayant certainement fait son office. A cette pensée, le remord lui enserra le ventre et un tournis força une de ses mains à saisir un meuble pour éviter la chute. D’habitude, ce dernier s’évaporait au moment même où son être le ressentait. Mais aucune voix dans sa tête ne lui vint en aide cette fois-ci.

Son repas fini, Ashron sortit aérer son esprit embrumé. Les questions s’entrechoquaient dans sa tête et sa quête de réponses l’empêchait de décider quoi faire. Dehors, l’eraié déambula sans but et l’acec’hweld naissant l’autorisa à voir ce qui l’entourait. Mais cette fois-ci, ces yeux ne traquaient pas l’affront aux axiomes. Ils regardaient simplement la pauvreté des districts et la misère des adraisés.

Skyva n’était plus là.

Devant lui défilaient des eraiés aux habits usés par le temps, le regard vitreux, l’âme perdue, s’arrêtant parfois pour mendier de quoi manger. Les sombres rues étaient salies par les détritus et les déjections d’animaux errants. Les édifices, autrefois reflétant la grandeur de la Cité des Cieux et les heoles qu’elle a traversé, ne tenaient plus que par leurs pierres noircies par la négligence. Des fissures balafraient chaque façade, et seules les inscriptions sauvages brisaient la pâleur d’Adrais.

Tout à coup, deux exetras surgirent devant Ashron. D’un pas assuré, ils se postèrent face à un eraié assis par terre, une main tendue vers le ciel. Sans sommation, l’un d’entre eux lui envoya son pied dans les côtes. En réponse, l’eraié les supplia de lui donner à manger.

« La distribution a déjà eu lieu ! Tu en veux encore ? dit le premier exetra.

—C’est pour ça que la Komunozhra est là ! Pour éviter ceux dans ton genre. Toujours à réclamer, ajouta le second.

— Je n’ai rien eu. Il n’y en avait plus pour moi, bredouilla l’eraié en relevant les yeux vers ses bourreaux. »

Ashron fixait la scène au loin, prenant soin de ne pas s’approcher pour ne pas être reconnu. La Komunozhra ne peut faillir à son devoir de distribution, aurait-il rétorqué avant. Mais l’aveuglement n’étant plus, il se devait d’accepter la condition du mendiant.

La Komunozhra avait failli.

« Cherches-tu à critiquer la Komunozhra ? N’est-elle pas juste avec ceux de votre genre ? reprit le premier exetra.

— L’axiome dié ne peut être transgressé. annonça le second.

— Non pitié ! Je ne la critique pas. La Komunozhra des exetras est juste ! »

Mais ses suppliques ne trouvèrent aucun écho, les deux exetras ne l’écoutaient déjà plus. L’un d’entre eux l’empoigna et, tandis que le mendiant se débattait, l’autre l’assomma violement. Le Purgatoré était sa prochaine destination.

Tous les eraiés détournèrent le regard, apeurés de croiser ceux des exetras, chacun de leur geste ou dire pouvant transgresser un axiome. Ashron les imita, malgré la colère qu’il ressentait face à tant d’injustice. Puis il se souvint que cette dernière était le fruit de sa volonté d’avant. Il tourna les talons en prenant soin de graver le visage de l’eraié dans esprit, afin que son purgat ne le fasse pas tomber dans l’éternel oubli.

De retour dans l’habitation, l’atmosphère chaleureuse apaisa légèrement l’esprit d’Ashron. Mais elle ne parvint pas à occulter ce qu’il avait vu.

La peur.

Les Axiomes, les exetras, la Komunozhra, accompagnaient les eraiés chaque acec’hweld qu’offrait l’Heolar. Les adraisés étaient devenu insensible à l’espoir, leur vie étant régie par la seule crainte de mourir pour rien. C’était si absurde et abjecte qu’Ashron n’arrivait pas à comprendre pourquoi. Pourquoi avait-il participé à ça ?

Reprenant le contrôle de son esprit meurtri, l’ancien Exetra Prime décida de quitter la Cité des Cieux. Avec ses brigands défiant les axiomes, les routes hors d’Adrais étaient dangereuses, surtout pour lui maintenant. Mais c’était préférable au Purgatoré.

Alors c’est ça la peur ? se rappela-t-il

La préparation de sa fuite occupa le reste de son étrange acec’hweldro. L’habitation lui offrit une échappatoire grâce à ses galeries, et peut-être que l’Harzerezh lui viendrait en aide.

Ou mettrait fin à sa cavale.

Fermement décidé à prendre Ragnarok, Ashron utilisa un drap taché, une corde trouvé dans une des chambres, et l’enveloppa pour l’attacher contre son dos. L’effet de levier lui permettait de supporter son poids. Fin prêt, il se mit en route et, en bas de l’escalier menant au sous-sol humide, il emprunta le chemin s’offrant à lui, sans se retourner.

Une rance odeur chatouilla ses narines à mesure qu’il progressait. Rapidement, la nausée le gagna, surtout à la vue des lividités cadavériques des trois corps inertes. Bien que ses yeux peinaient à s’en détourner, il ne put réfréner une moue de dégout, puis s’enfonça encore plus dans la pénombre des galeries de l’Harzerezh.

Après une longue marche presque à l’aveugle, une faible lueur au plafond lui fit espérer la sortie. Non sans mal, il s’y hissa, et vit avec soulagement qu’il était à l’endroit espéré. Dehors, les portes aras, surplombés par le gigantesque airways, se dressaient à plusieurs centaines de piecs.

Il était hors de la Cité des Cieux.

Derrière lui, les plaines d’Adrais baignaient dans la pénombre de l’hweld’acec. Telle une mer calme et apaisée, elles peignaient un sombre tableau silencieux. Péniblement, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité, et dégotèrent un carré d’herbe fraiche qu’il utiliserait pour se reposer.

Assis à patienter, ses paupières se devaient de rester ouvertes. En plus des brigands, de multiples bêtes sauvages avaient repris possession des terres d’Aliard. La Komunozhra les ayant délaissées, Era les leur avaient offertes. Et leurs crocs apprécieraient la chair de l’Exetra Prima, c’était certain.

L’Heolar brisait lentement l’hweld’acec quand soudain, une bête haute d’un demi piec, recouverte de poils gris et au museau allongé, se dressa devant lui. Une rangé de dents aiguisées apparues lorsqu’elle se mit à le grogner. Ashron reconnue un lebleiz et laissa tomber Ragnarok au sol. Le bruit n’effraya aucunement l’animal qui se fit au contraire plus menaçante.

L’instant d’après, le lebleiz sauta sur l’eraié sans défense. Surprit par le bon, il esquiva de justesse sur le côté, mais la bête affamée continua à bondir vers lui, gueule prête à l’estropier. Ashron évita péniblement les assauts agiles du lebleiz et chercha atour de lui une échappatoire.

Soudain, un bâton de bois attira son regard. Il se rua dessus, l’empoigna, puis fit face à la bête. Les deux ennemis se toisaient, immobiles, se jaugeant l’un et l’autre avant de passer à l’attaque.

Le lebleiz s’y hasarda le premier.

Le voyant foncer sur lui, Ashron resta campé sur ses deux pieds et, au dernier moment, se décala légèrement sur le côté en rabaissant violement le bâton. Le crâne du lebleiz se disloqua sous l’impact, puis l’animal s’affaissa au sol pour ne plus jamais se relever.

La bête vaincue, Ashron fixa le cadavre, les yeux fatigués. C’était sa première victoire sans Skyva et il marqua un temps pour la savourer. En attendant de trouver une arme plus efficace, ce bâton l’accompagnera. Puis il reprit sa route le long des verdoyantes plaines d’Adrais, Ragnarok drapé sur le dos.

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