Voyage au globe 65

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Je me retrouve seul au milieu du salon de John.

Je ne comprends rien à ce qu'il se passe. Quelques gouttes de sueur perlent sur mon front et mon cœur tape encore dans ma poitrine. Mes côtes me font mal et mes yeux sont enduis d'un brouillard épais qui me laisse dans le flou complet. Les genoux toujours sur le plancher je récupère petit à petit une respiration régulière, je reprends conscience et m'assois sur le fauteuil de John.

Putain, mais c'est quoi encore ça?

J'essaie de me rassurer, de me dire que ce n'est qu'un bug dans leur système de globes pourri.

Ce n'est qu'un bug. Ce n'est qu'un bug. Tu vas aller demander des explications, ils vont t'aider... Ce n'est qu'un bug.

J'ai l'impression de ne pas avoir le temps de réfléchir, d'être entré sur orbite et de tourner inlassablement en rond dans ma tête. Il faut que je fasse quelque chose, que je bouge de cet endroit. Je regarde partout autour de moi... Le thé tiédi, les scones aux raisins, le papier peint défraîchi et les meubles en bois trop sombres m'encerclent et m'étouffent. Soudain je trouve cette maison angoissante, oppressante...Morte. Malgré moi, je sens qu'une fissure se forme dans mes intestins et craque le long de mon estomac au fur et à mesure que la panique me gagne. Je vois encore de la lumière par la fenêtre... Depuis combien de temps je suis ici ?

Je me décide à bouger, mes jambes pèsent une tonne et ma respiration est toujours saccadée. J'ai l'impression qu'on m'a saboté de l'intérieur à coups de hache. Il faut que je sorte d'ici, il faut que je raconte ça à quelqu'un. Qui mieux que Caro peut m'aider à comprendre ? Elle a l'air d'avoir bien pris le pli, elle saura sûrement où est John.

Je passe chez moi récupérer ma carte et prendre une écharpe, la pluie s'est mise à tomber à torrents et la petite route en bas de la maison est déjà presque inondée.
Lorsque j'arrive devant la chapelle, un panneau indique que le portail se trouve à l'entrée du presbytère. Je traverse la route déserte et contourne le cimetière par la droite pour rejoindre la petite maison en pierre. L'étage est condamné mais un portail en métal est bien là au rez-de-chaussée. Ça ressemble un peu aux portiques de sécurité des aéroports mais ce qui semble être des arcs électro-magnétiques s'entrelacent entre les barres de métal. Je pose ma carte sur le lecteur à côté et rentre le numéro 65 sur le clavier tactile en lisant les instructions qui s'affichent sur l'écran. Après quelques secondes, je passe non sans inquiétude au milieu du portail et ressort finalement au même endroit sans m'être trop aperçu de rien. Tout est identique au détail près qu'ici, les couleurs existent bien!

OK... Bon ben, c'était facile!

J'accélère le pas, courant presque pour ne pas perdre une minute. Ici il y a beaucoup plus de monde qu'au globe 64, ça c'est sûr. Les gens se pressent chez l'épicier avant qu'il ne ferme. Ce n'est pas Zaan, forcément, mais le bâtiment est le même.

C'est perturbant quand même, va vraiment falloir s'habituer.

Je frappe à la porte avec un peu trop d'engouement. Caro m'ouvre et je pense qu'elle voit dans mes yeux que je suis paniqué. Je suis essoufflé, je crois que je commence à avoir vraiment peur de disparaître moi aussi.

"Marc ça va ? me dit-elle avec une once d'inquiétude dans la voix.

_ Non... Mais alors... Pas du tout!

_ Hé, reprends ton souffle, calme toi. Qu'est-ce qu'il y a ? T'aurais pu prévenir que tu débarquais, je suis même pas habillée!"

Je m'assois sur le bord du canapé et je prends le temps de la regarder de la tête aux pieds. C'est vrai qu'elle est en jogging et que ses cheveux ne sont pas coiffés. Elle est complètement naturelle, et pourtant je n'ai jamais remarqué qu'elle était si belle. Je m'attarde sur les muscles saillants et fins de ses bras qui pendent dans le vide. Elle attend que je parle.

Dis quelque chose, arrête de la fixer...

"Marc?

...

MARC!

_ Pardon, excuse-moi. Je suis crevé, j'ai perdu le fil de ma pensée. Assieds-toi, faut absolument que je te raconte un truc."

Je secoue la tête comme pour remettre en place les idées à l'intérieur de mon crâne qui bouillonne. Par où commencer? Et si elle ne savait rien?

"Ok alors tu sais cet après-midi j'étais avec John.

_ Le vieux ? Roh Marc... T'as vraiment pas de vie, plaisante-t-elle en cognant son poing contre mon épaule.

_ Il n'est pas si vieux que ça! Et puis pitié, me coupe pas, je suis déjà assez mal comme ça. Bref, j'étais chez lui et on parlait. On a bu un thé, on a mangé des scones... Comme d'habitude quoi. C'était cool. Et puis d'un coup j'ai senti qu'il était ailleurs, comme absorbé par autre chose, tu vois ?

_ Ouais, et ?

_ Et ses bras ont commencé à s'effacer! On aurait dit un dessin au crayon qu'on peut gommer d'un seul geste. Il a d'abord été tout pixelisé, j'ai paniqué, j'savais pas quoi faire. Il a complètement disparu, je ne pouvais même plus le sentir sous mes doigts...

_ Mais... Mais il n'a pas pu disparaître comme ça. Ça doit être un bug... Il y a forcément une explication! C'est pas la première fois que j'entends ça, certaines rumeurs courent dans les couloirs du journal depuis peut-être deux semaines. Ma collègue Mireille a perdu sa mère de vue aussi, elle n'est pas chez elle... Elle n'est nulle part d'ailleurs.

_ Tu crois que la mairie pourrait nous donner des infos ? Peut-être qu'ils n'ont pas encore communiqué sur les bugs du système. Les gens vont commencer à paniquer, comme nous.

_ Ça vaut le coup d'aller voir. Viens !"

Elle disparaît quelques minutes et revient habillée d'un jean gris et d'une chemise à rayures bleues et blanches. Elle prend ses clés et sa carte et me précède dans l'escalier de l'immeuble après avoir fermé sa porte à double tour. Nous pressons le pas, passons devant l'épicerie et le petit bureau de poste pour finalement nous retrouver à la mairie.

17h45. C'était moins une.

"Bonjour madame, c'est bien ici le guichet des rapports d'erreurs?

_ Oui c'est ici. Que se passe-t-il ? Vous avez perdu votre carte ?"

Toujours aussi sympas ceux-là.

"Heu non, je n'ai rien perdu du tout. Mon ami ici présent était tranquillement en train de prendre le thé avec son voisin. Et il aurait pu continuer tout l'après-midi si le vieux ne s'était pas ÉVAPORÉ ! décocha Caro, furieuse d'être prise pour une imbécile.

_ Mais non écoutez, c'est grotesque! Et puis baissez d'un ton mademoiselle, on est pas au cirque ici!

_ Que se passe-t-il ici ?! lança une femme en tailleur beige au fond du bureau voisin.

_ Ri...Rien madame la procureur. Je suis désolée que nous vous ayons dérangée.

_ La procureur ? Ah ben bonjour madame! Vous tombez à pic! l'apostrophe Caro que rien ne semble désormais pouvoir arrêter.

_ Mademoiselle, dites-moi tout, et restez calme je vous prie."

Je la vois alors réexpliquer la situation en faisant de grands gestes et je me cache presque derrière. Cette fille a vraiment une assurance que je n'aurai clairement jamais, elle est impressionnante de détermination. Je pose mon regard sur la procureur qui pour je ne sais quelle raison se trouve aujourd'hui chez nous. Plus Caro parle et plus son regard se durcit, elle a l'air inquiète. Je ne parle peut-être pas aussi bien, mais je sais analyser la peur dans le regard des gens. Et cette femme a peur.

Elle bafouille quelques explications un peu tirées par les cheveux et nous assure que John sera sûrement de retour au globe 64 avant demain, que ça doit être une erreur et qu'elle va y remédier.

Nous ressortons sans réponse claire, toujours dans le flou et sous la pluie. Nous nous asseyons sur un des banc en béton sous le porche et Caro me regarde en essayant de sonder mon avis.

"Cette femme nous ment."

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