Dématérialisation

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Il va bien falloir apprendre.

Je me dirige directement vers la mairie. De loin je vois déjà que je ne suis pas le seul à avoir eu cette idée. Il n'y a personne dans les rues mais le hall d'entrée est bondé.

J'attends patiemment après avoir pris un ticket à la borne de l'entrée. Les gens n'ont pas l'air effrayés pour un sous, je suis vraiment le seul à ne pas être au courant de tout ce cirque ?

Je trouve un siège au fond de la salle. À côté de moi, une femme et son fils attendent aussi. C'est une grande brune avec des yeux bleus étincelants. Elle est si mince que je peux voir ses os à travers sa peau presque translucide.

Je me permets de leur demander des renseignements.

"Bo...Bonjour, excusez-moi, vous attendez pour quoi ?

_ Mon mari et mon cadet n'ont pas été affectés au même globe... Et pas moyen de faire en sorte que l'on soit réunis! J'ai eu de multiples rendez-vous, normalement aujourd'hui on devrait pouvoir rectifier le problème.

_ Oh, d'accord. Sacrée histoire hein.

_ Vous attendez depuis longtemps déjà, pourquoi êtes-vous là ?

_ J'aimerais connaître mon numéro de globe... Et puis avoir une idée d'où se trouvent les portails les plus proches."

En lui répondant, j'ai vraiment honte. J'ai un mois de retard sur tout le monde. Je répète les mots de Caro sans y croire vraiment, on dirait un livre de science-fiction.

"Oh... Vous êtes bien le dernier à ne pas le savoir je crois!" rigole-t-elle.

Je la regarde avec un sourire gêné, je sais bien qu'elle a raison.

"Numéro 402, guichet 3." crache le haut-parleur.

Je bondis de mon siège pressé d'en finir.

"Bonjour monsieur, on m'a dit de venir ici pour connaître mon globe d'affectation ainsi que les portails les plus pr...

_ Oui oui, c'est bien ici. me coupe-t-il. Mais où étiez-vous pendant la semaine des affectations?

_ Je...Heu. Je ne sais pas.

_ Bon... soupire-t-il avec agacement. Votre nom jeune homme, et votre adresse.

_ Marc Luisard. 12 rue de Villepreux ici, à Rennemoulin.

_ Mmmh, vous êtes affecté au globe 64, c'est bien ici. Le portail le plus proche de chez vous est dans la chapelle du Prieuré St Nicolas. Voilà votre carte, vous n'aurez qu'à la passer dans le lecteur pour pouvoir changer de globe quand bon vous semble. Attention cependant, vous devez savoir que nous saurons toujours dans quel globe vous voyagez et si vous en revenez, grâce à cette carte. Les autres globes ne sont pas là pour vous faire voir du pays et votre carte n'est pas un jouet!
Vous devrez pointer ici une fois par mois, quand vous voudrez, pour nous assurer que vous vivez bien au globe 64.

_ Et si je veux changer mon affectation ?

_ Vous avez été séparé d'un membre de votre famille ?

_ Non, d'une amie.

_ Alors vous ne changez pas d'affectation. La population est répartie uniformément dans les différents globes monsieur. Il y a eu parfois des soucis au niveau des familles, mais comme ce n'est pas votre cas, je ne peux rien faire pour vous. Autre chose ?

_ Ok... Non ça ira merci."

Je récupère la carte d'un geste de la main qui tente de lui montrer mon énervement.

Ils ne font vraiment rien pour être aimables ici, c'est quand même leur boulot de renseigner les gens... Mais il y a manière et manière de le faire hein. Donc en fait... On est fliqués. Je ne me sens pas très bien, j'ai l'impression qu'on va pouvoir rentrer dans mon jardin secret par la grande porte. Et si je veux passer une semaine au globe 65?

Et si... Je voulais passer ma vie à voyager entre chaque ?

Je me sens coincé comme un animal pris au piège. Sur la route principale je croise la plupart de mes voisins. Nous sommes tellement peu ici, tout le monde se connait.

Alors eux aussi sont restés là, c'est plutôt réconfortant.

Chez Zaan, j'achète une baguette de pain, du jambon, du fromage, des pâtes... Le nécessaire pour me faire un repas sur le pouce. J'ai perdu un peu l'appétit.

Je passe devant la maison de mes voisins directs mais un énorme camion de déménagement est garé sur le trottoir.

Tiens... Les Lefebvre ont été transférés apparemment.

La Twingo violette est toujours garée dans l'allée sous la glycine mais aucune trace d'eux. Je ne vois que les déménageurs qui s'affèrent à finir leur partie de Tetris dans le camion. C'est étrange de me dire que les Lefebvre vivront encore dans leur maison mais dans un... Espace-temps différent ?!

Je grimpe les marches en pierre de l'escalier en colimaçon et je récupère mes clés dans ma poche arrière. Sur ma porte, John a encore accroché un mot griffonné à la va-vite. C'est mon voisin de gauche, il n'est plus tout jeune mais depuis le temps que je vis là, on s'est liés d'amitié. Il porte bien son nom car son accent anglais n'a jamais vraiment disparu et il m'invite une fois de plus pour le thé. On est dans le cliché total, mais j'aime le thé, et j'apprécie sa compagnie. Il me donne rendez-vous à 14 heures, j'ai juste le temps de manger un bout et de le rejoindre.

Je me prépare des spaghettis avec un peu de jambon et je déguste le fromage de brebis sur le pain frais de chez Zaan. Il n'est pas boulanger, mais dans son épicerie le pain est fait maison et c'est une pur délice.

Lorsque j'arrive chez John, je rentre sans frapper et je m'annonce en criant dans l'entrée. Il est déjà afféré à préparer le thé et emmène des scones sur la table basse en me gratifiant d'une accolade. Nous parlons de tout et de rien, comme d'habitude. Je lui parle de mon travail et lui me donne des nouvelles de ses enfants. Je ne les aime pas beaucoup d'ailleurs, jamais une visite, même pas une carte à Noël. Cela fait dix ans que je passe toutes les fêtes avec lui et je me sens presque comme son fils, si ce n'est que nous sommes bien plus proches !

Il sent bien que je suis fatigué, je lui raconte mes mésaventures avec l'administration, on se rassure à propos de tout ce délire de globes qui nous dépasse tous les deux.

Je sens qu'il est ailleurs. Je continue de lui parler mais il a l'air d'être parti.

Soudain je remarque que sa main commence à se pixeliser. Que se passe-t-il ? J'ai des problèmes de vue maintenant ?!
Je m'arrête de parler.

"John tu m'entends?"

Il ne répond plus, son bras disparaît petit à petit.

Cette fois je deviens fou c'est sûr.

Je suis abasourdi, mais il est en train de disparaître ! Je me frotte les yeux, je touche ses jambes qui à leur tour commencent à se dématérialiser. Je sens que le sol se dérobe sous mes genoux mais je suis impuissant, les larmes coulent sans s'arrêter sur mes joues. Une douleur me taillade la poitrine et mon regard s'accroche au vide. En quelques secondes mon John a disparu, comme absorbé par un virus informatique, comme éliminé de cet espace.

Je me retrouve seul au milieu du salon, les bras sur les cuisses et les yeux trempés.

Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ?

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