Chapitre 17

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23 avril, Bagdad - Amboy

La plaine dans laquelle ils circulaient était balayée par un vent qui soulevait sable et poussière au travers de la route. Des petits fragments de branches épineuses roulées en boule étaient poussés par le courant d’air chaud. À l’horizon, la vision du paysage au-dessus du ruban de bitume était déformée par la chaleur. Ange comprit à quoi servaient les foulards que les cavaliers portaient toujours autour du cou dans les westerns. Ce n’était pas seulement pour attaquer les banques.

La route les amena à la ville fantôme de Ludlow, jadis cité minière et ferroviaire, puis étape sur la highway 66, la construction de l’autoroute avait conduit à l’abandon de la ville par ses habitants. Ne subsistaient que des ruines de petits commerces, motels et stations-service. Philippe se dit que cette cité avait pu inspirer les créateurs de Cars, le dessin animé de Disney. Cette pensée fut confortée lorsque quelques miles plus loin, les deux motards furent dépassés par une Ford Interceptor, sirène et gyrophares allumés, aux armes du shérif du comté.

La voiture s’arrêta en travers de la route quelques centaines de mètres plus loin et un policier en tenue leur fit signe de stopper.

— Pris par la patrouille !

Les deux hommes se rangèrent sur le bas-côté, coupant les moteurs comme l’officier s’approchait d’eux.

Il portait un uniforme constitué d’une chemise kaki, recouverte d’insignes et badges, un pantalon bleu sombre et un chapeau bleu également, à larges bords. Les inévitables Ray-Ban complétaient l’ensemble. Un incroyable attirail constitué de radio, arme de poing, menottes, lampe torche pendaient tout autour de sa taille. Philippe se demanda comment il pouvait conduire ainsi équipé.

— Sherif adjoint Stanton, du bureau de Barstow. Pouvez-vous me dire ce que vous venez faire dans notre région ?

Ange se dit qu’ils avaient de la chance. Il ne leur avait pas demandé de mettre les mains en l’air ou de s’appuyer sur le capot.

Philippe lui répondit de son ton le plus aimable.

— Bonjour Officier, mon ami et moi sommes français, et nous sommes en vacances pour quelques jours. Nous venons de Los Angeles et nous avons prévu de passer la nuit à Amboy.

— Pouvez-vous me montrer vos IDs ?

Philippe se tourna vers Ange.

— Peux-tu présenter ton passeport à ce charmant collègue ?

Philippe sortit son passeport de la poche de son gilet. Ange fit signe que le sien était dans le top case. Le policier lui indiqua qu’il pouvait aller le chercher. Ange sortit son portefeuille pour présenter ses papiers d’identité, prenant soin de laisser sa carte professionnelle bien visible. Le mot « Police » étant international, l’officier ne pouvait le manquer. Voyant qu’il s’attardait sur la carte tricolore, Ange ajouta dans son meilleur anglais :

— I am a French detective, from Paris.

— Est-ce que nous avons fait quelque chose de mal ? Nous roulions trop vite ?

Le shérif ne répondit pas immédiatement, transmettant les informations dans sa radio. Les deux hommes attendirent sans rien ajouter. Après quelques minutes, un grésillement se fit entendre et l’officier leur rendit les passeports.

— C’est bon, vous pouvez repartir. Non, rien de spécial, mais nous devons vérifier les étrangers qui passent chez nous. On ne sait jamais à qui on a affaire.

La voiture repartit à vive allure après avoir fait demi-tour. Sans les sirènes.

— Bienvenue chez les cow-boys.

— Tu crois que c’est le vieux hippie qui nous a signalés ?

— On a quand même de la chance, au Texas, il aurait sorti son flingue.

Quelques minutes plus tard, ils arrivaient à Amboy, un nom sur la carte, mais une cité réduite à sa plus simple expression, n’existant que par le Roy’s Motel and Café. Le lieu avait, comme Ludlow, subi la désaffection de ses habitants mais subsistait comme un des rares points de ravitaillement de la région, au bord du désert. Le bâtiment historique était abandonné mais quelques bungalows plus récents offraient des chambres aux touristes de passage. Ange et Philippe prirent la leur et ne voyant pas de piscine optèrent pour une petite excursion vers Amboy Crater.

À trois miles du motel, le volcan se dresse de façon incongrue au milieu de la plaine, offrant au randonneur la vision de ses pentes de lave noire, au milieu du sable. Ayant laissé les motos sur le parking au bord de la route, les deux amis gravirent sans difficultés le chemin de randonnée menant au cratère. Le paysage était saisissant. Le cratère fait près d’un kilomètre de diamètre, constitué de laves aux formes tourmentées, rendant la marche difficile en dehors des chemins balisés.

Ange fut surpris de voir de nombreuses et minuscules fleurs très colorées, poussant dans le sable.

Du bord du cratère, ils eurent la chance d’observer le coucher du soleil, créant une lumière tout à fait irréelle sur les chaines de montagne à l’ouest.

— Je n’avais jamais vu une telle lumière.

— L’atmosphère est pure par ici. Sauf quand il y a des tempêtes de sable.

Ils redescendirent juste avant la tombée de la nuit. Le Roy’s n’offrait pas beaucoup de choix de nourriture et Ange dut passer outre son aversion pour les hamburgers. Il reconnut à cette occasion que celui qu’on lui avait servi ne ressemblait pas à l’image qu’on en a en France. Etant les seuls clients de l’établissement pour la nuit, ils n’avaient guère d’autre choix que de rentrer dans leur chambre pour dormir. Philippe alluma le modeste poste de télévision et zappa sur les chaines publiques, ne rencontrant que talkshows et spots publicitaires, mais pour lui, c’était ça aussi l’Amérique. Ange préféra s’installer dehors, devant la chambre pour regarder le ciel étoilé et raconter sa journée à Julie sachant que cette dernière se levait généralement très tôt.

À 22h00, les deux hommes dormaient profondément, bercés par le ronflement répété des trains de marchandises passant dans le lointain.

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