Chapitre XIII.2

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— Vous ne prenez vraiment rien au sérieux ! lâcha Fred. Mécontent, il se mit à grogner, siffler, crisser et baver en faisant plus de gargouillis qu’un tuyau d’arrosage crevé puis en profita pour dévoiler au passage une longue queue osseuse et ondoyante des plus antipathiques.

— Euh, si vous pouviez arrêter de baver sur le carrelage comme ça ! Marcy va être furieuse, c’est son jour de nettoyage demain.

— Désolé je suis toujours un peu trop dans mon rôle ! C’est important vous savez, faire peur c’est tout un métier : il faut savoir se montrer juste ce qu’il faut pour affoler l’imagination, surgir d’un coin sombre, tomber du plafond sur ses proies, montrer les crocs… Ça s’apprend et il faut avoir toute une équipe pour vous épauler, sans compter les accessoires ! Hé à propos, vous voulez voir un de mes œufs ?

— Non… Sans façon, j’ai déjà déjeuné…

— Ne te fatigue pas Fred, coupa le gnome aux yeux en soucoupes, sans vouloir te vexer tu ne fais plus peur à grand monde : je reconnais ton talent, c’est vrai que tu as autant de sex-appeal qu’un accident de la route et que ton premier rôle a fait un malheur en son temps. Mais maintenant, c’est moi qui tiens le devant de la scène !

Max qui connaissait la légendaire susceptibilité des acteurs, pour ne rien dire de leur ego, eut soudainement peur que les deux affreux en viennent aux mains (ou aux griffes ou Dieu sait quoi d’autre) ou pire se défoulent sur lui.

— Mon vieux, poursuivit Bob à l’intention de son confrère, tu es un peu — comment le dire avec tact — dépassé. Pour effrayer le spectateur de nos jours, il faut être crédible : si je fais si peur, c’est parce que les gens sont persuadés que je peux exister en vrai, et cela fait toute la différence, pas vrai Max ?

— Je dois reconnaître que vous marquez un point, c’est vrai que j’ai lu pas mal de trucs sur vous !

— Laissez-moi deviner, vous lisez le magazine Applepies & Conspiracies, pas vrai ?

— Ma sœur surtout, elle y est même abonnée ! Bien sûr, je ne crois pas un mot de ce que ce torchon raconte, mais…

— Tu vois Fred ! Tout est dans ce « mais… » Triompha Bob, je suis crédible ! En ce qui te concerne mon vieux, tu risques de finir aussi démodé que ce pauvre Ed Wood, sauf ton respect bien sûr !

Fred se contenta de soupirer ou plutôt de grogner, puis il consulta sa montre : « Bon, ce n’est pas tout ça Max, mais cela va bientôt être à moi de jouer, vous serez en pleine phase de sommeil paradoxal dans cinq minutes et j’aime soigner mes entrées ! »

— Vous rigolez ? S’étouffa l’intéressé.

— Est-ce que j’ai une tête à rigoler, M. Maxwell Green ?

— Un conseil d’ami, souffla Bob à l’oreille de notre malheureux héros, ne le vexez pas ! Vous verrez, malgré tout ce que j’ai pu dire, ce vieux Fred reste un grand professionnel dans le métier ; vous êtes entre de bonnes griffes, euh je veux dire entre de bonnes mains. Ho, toujours entre amis : ne lui parlez surtout pas de son dernier film, ça a flingué sa carrière et il est déjà assez en pétard comme ça !

— Je ne vous ai rien demandé, hurla Max à bout de nerfs, je ne veux pas être entre les pattes, les griffes ou quoi que ce soit d’autre de votre copain !

— Pfft, ils disent tous ça, siffla Fred une nouvelle fois tout en bavant consciencieusement sur le carrelage de la cuisine, quel métier je vous jure !

— Bon, mais dépêchez-vous un peu tout de même, ajouta Bob, impatient. Si ma montre est à l’heure, votre second cycle de sommeil paradoxal débutera dans trois quarts d’heure et il faut que je peaufine mon personnage et mes répliques avant d’entrer en scène, sans compter mes accessoires : vous avez une idée du temps qu’il faut pour monter un vaisseau spatial crédible, dans le style zone 51 ou Roswell et cela coûte une petite fortune rien qu’en éclairages et effets spéciaux !

Le pauvre Max se mit vraiment à paniquer et à perdre les pédales, d’autant plus que la file d’attente derrière Fred et Bob semblait s’allonger et il distinguait dans l’obscurité d’autres silhouettes remuantes, grouillantes, suintantes, toutes aussi diverses et variées dans les catégories des nominations au film d’épouvante de l’année.

Désespéré, il se tourna vers Star qui, toujours nonchalamment appuyée au réfrigérateur, continuait tranquillement à mâcher son morceau de carotte.

— Fais quelque chose, ma vieille, au lieu de rester plantée là ! Ces deux horreurs ont l’intention de me faire Dieu sait quoi et toi tu ne dis rien ? Et bien avec des amies comme toi, on n’a pas besoin d’ennemis ! Si tout ce que tu sais faire c’est d’attendre tranquillement en jouant les Bugs Bunny pendant que ces monstruosités me collent une crise cardiaque, alors…

— Et alors quoi ? Relax, vieux frère ! Fit nonchalamment la belle en consultant la luxueuse montre à son poignet droit, ce sera juste un long et horrible moment à passer ! Et puis, dans une heure et demie, ce sera ton troisième cycle de sommeil paradoxal et je dois justement y faire une apparition en tant que figure érotique, du moins si j’en crois ce qui est écrit sur ma fiche, cela te changera un peu les idées !

Cette surprenante déclaration eut certes pour effet bénéfique de lui faire oublier temporairement les épouvantables mises en scène de Bob, Fred et de leurs hideux comparses, mais le plongea dans un malaise d’un tout autre ordre : « Comment ? Toi, en figure érotique ? Toi que je te connais depuis le berceau et qui m’as toujours considéré comme ton frère ? C’est n’importe quoi… Et pourquoi pas aussi Marcy ou Teresa pendant qu’on y est ? Et même la petite Lucy pour faire le compte… »

— T’as oublié de rajouter ta cousine Mish !

— Je…

— Mon pauvre, cher et innocent Maxou, fit suavement Star en croquant d’une façon plus que suggestive dans son autre morceau de carotte. Sérieusement ! je ne t’imaginais pas d’une telle naïveté et aussi fleur bleue. Tu devrais vraiment relire les classiques de la psychanalyse, tiens je te conseille les Cinq leçons sur la Psychanalyse ou encore Totem et Tabou, à ce propos c’est intéressant que tu mentionnes Teresa, tu sais que chez certains garçons les rêves sur les jumelles sont souvent révélateurs de…

— La ferme, Bugs Bunny au rabais ! Je m’en fiche de tes interprétations psychanalytiques à la noix, s’emporta Max, c’est du grand n’importe quoi ! De toute façon j’ai toujours préféré Jung à Freud et en plus je déteste qu’on m’appelle Maxou !

— Hum, je vois, je vois… on est plutôt du genre Sept sermons aux morts ou Synchronicité et Paraceslia, remarque cela ne m’étonne pas : tu es un esprit assez créatif dans ton genre — mais pas autant que Teresa — ça va toujours bien avec les analystes jungiens, mais fais attention aux dépassements d’honoraires. Tiens, pendant que j’y pense, je suis peut-être la matérialisation de ton anima ; cela collerait assez bien avec la situation présente, tu ne crois pas ? Et puis j’avoue que je me vois assez bien en archétype féminin primitif comme Ève, Venus, Salomé ou alors en sirène, pourquoi pas ? Tout un programme, pas vrai, grrr… ?

— Je n’y comprends plus rien du tout… tes archétypes jungiens, Salomé, les sirènes et tout le tremblement, ça me donne la migraine ! Et je ne sais toujours pas ce que tu fiche en lapin rose près du frigo !

— Çà, j’en sais fichtre rien, vieux frère, c’est ton rêve !

Il sursauta d’un coup en sentant la patte griffue de Fred s’abattre sur son épaule et se mit irrésistiblement à trembler :

— Dites, c’est bien gentil cette discussion avec votre copine, mais je vous rappelle qu’on n’a pas toute la nuit ! Allez l’ami, courage, show must go on, comme on dit dans le métier…

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