Chapitre XIII.3

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Max ouvrit les yeux d’un coup, hoqueta et, se trouvant dans l’incapacité de bouger un muscle, fut balayé par un vent de panique : C’était sûr, cette fois-ci des choses innommables venues d’outre espace allaient entrer par sa fenêtre et l’emmener sans espoir de retour pour lui faire subir Dieu sait quoi de particulièrement odieux.

La paralysie ne dura que quelques secondes et au moment où elle prenait fin, juste après un fugace sentiment de soulagement, un nouveau spasme de dégoût le traversa : son corps venait de lui renvoyer la sensation d’une chose molle, mais tenace et coriace qui s’enroulait autour de lui. Pas de doutes, une pieuvre ou quelque chose de plus ignoble encore s’en prenait à lui et là, c’était bien réel, pas un rêve ou un truc à mettre sur le compte de la paralysie du sommeil.

Il hurla ou du moins essaya d’appeler au secours, mais il savait déjà que cela serait inutile ; dans toutes les histoires qu’il avait pu lire sur des gens enlevés par ce genre d’ignominie, tous les proches, même les conjoints, demeuraient endormis et impuissants tandis que de terribles entités pandimensionnelles les arrachaient à leur lit pour les contraindre, dans le meilleur des cas, à d’épouvantables expériences médicales.

Et maintenant, c’était à lui, Maxwell Lewis Green, que cela arrivait et non seulement il ne pouvait strictement rien y faire, mais en plus il n’avait même pas fini de payer les dernières traites de sa nouvelle machine à expresso !

Décidé à résister coûte que coûte et jusqu’au bout, Max se cabra pour envoyer une formidable ruade vers le répugnant mollusque interstellaire qui s’apprêtait de toute évidence à le dévorer, voire pire. Puis, jouant le tout pour le tout, il se retourna et entrevit avec horreur la silhouette sombre, échevelée et informe qui tentait de se coller contre lui. Max s’apprêtait donc à défendre vaillamment sa peau contre cette abomination nocturne quand il lui vint à l’idée que cette dernière pouvait fort bien être Teresa.

— Qu’est-ce que tu fiches là ? bredouilla-t-elle, hagarde.

— Qu’est-ce que toi tu fiches là, c’est mon lit à ce que je sache ?

Il chercha à tâtons l’interrupteur de la lampe de chevet et la lumière révéla une Teresa hirsute, la mine défaite, curieusement vêtue d’un bikini bleu minimaliste et serrant plus ou moins compulsivement un malheureux oreiller orné de bestioles de dessins animés couleurs pastel.

Il considéra l’ensemble du tableau avec un mélange d’étonnement blasé et de compassion perplexe, puis tandis qu’il se demandait à la fois comment gérer cette vague migratoire aussi nocturne qu’imprévue et d’où Teresa sortait cet oreiller ridicule, il sentit immédiatement poindre les signes annonciateurs de cette grande lassitude morale que seule sa jumelle savait susciter en lui.

— Qu’est-ce qui t’arrive, ma grande, ne me dis pas que tu voulais m’emprunter un dictionnaire ?

Teresa, embarrassée, commença à mâchouiller un des côtés de son coussin avant de déclarer plaintivement : « eh bien, tu ne vas peut-être pas me croire, mais… J’ai fait d’horribles cauchemars, des trucs pas possibles, alors je suis venue ici, pour… Pour être avec toi ! »

— Ça ne fait pas un peu cliché, non ?

— Je t’en prie, Max, la vie elle-même est une succession de clichés : il suffit de penser à Mish, à Star ou encore à la seconde femme d’oncle Ford et je ne compte même pas le président des États-Unis !

— C’est vrai que présenté comme ça, j’aurai du mal à te donner tort ! Mais qu’est-ce que tu fiches en bikini ?

— Pas compliqué : il faisait un peu trop chaud dans ma chambre donc j’ai essayé différents trucs assez légers et comme je me sentais le mieux avec ça, hé bien, je l’ai gardé !

Du Teresa tout craché, pensa le brave Max, elle ne fait que ce qui lui convient et ne porte que ce dans quoi elle se sent le mieux. Du jour où pour X ou Y raisons sa jumelle décidera que finalement c’est sans aucun vêtement qu’elle se sentira le mieux, quelques légers problèmes de cohabitations pourraient venir à se poser.

En attendant, les grands yeux bleus mouillés de la pauvre fille traduisaient une profonde détresse, il se devait donc d’agir en frère responsable :

— Bon alors, raconte-moi tout, faisons donc l’inventaire de ta petite tête !

— Eh bien, commença-t-elle en inspirant bruyamment : le ciel tonnait comme dans l’apocalypse, il en tombait de longues flammes de soufre vert et des pleines pages du Reader’s Digest. Lucy était devant moi, immense, seulement vêtue d’un interminable collier de perles et de stylos-plumes, avec deux grandes ailes noires dans le dos et voulait lire mon avenir dans un gigantesque bol de soupe au poulet où Jenna jetait sans relâche des navets et cassait des œufs de licorne, tout en psalmodiant le poème Ozymandias. À côté d’elle, Star et Jackie, déguisées en loutres, me menaçaient en brandissant des concombres… Brrr ! Sincèrement qu’est-ce que tu en penses ?

— Je pense qu’il faut que tu arrêtes de boire du café avant d’aller te coucher, que tu cesses cette rivalité avec Lucy parce que tu penses qu’elle écrit mieux que toi. Et pendant qu’on y est, lit autre chose que des passages du Paradis perdu avant de t’endormir !

— Et encore, je ne t’ai pas dit ce que Star voulait faire avec les concombres ! Mais ce n’est pas le pire, non ! Figure-toi qu’en plus je portais des escarpins rouge vif ! Des escarpins à talons hauts, tu te rends compte !

— Ma pauvre chérie, répondit Max en caressant affectueusement la tête de sa sœur d’une main compatissante, notre inconscient peut vraiment être d’une cruauté sans limites !

Décidément, pensa-t-il, cette chère Star s’invite dans toutes les têtes : tantôt en lapin rose grand format, tantôt en loutre lubrique. Sans compter les carottes et les concombres, légumes éminemment longiformes dont le vieux Freud aurait sûrement fait ses choux gras, mieux valait en rester là. En ce qui concernait Star, il y a beaucoup de choses que Max préférait laisser à l’imagination.

Il mit en balance un moment les visions apocalyptico-littéraires de Teresa, dominée par une Lucy muée en Vampirella reine des ténèbres, et les extraterrestres gluants et baveux de ses propres songes ; puis décida que pour le moment il y avait match nul et que l’on ferait un débriefing demain matin.

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