Chapitre XII.2

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Tandis qu’ils continuaient, leur cirque Marcy, qui venait d’arriver à l’autre bout de la rue, pressa subitement le pas en avisant la situation. Comme on le sait, en bonne grande sœur mère poule, cette chère Marcy est très sensible à tout ce qui peut menacer ses cadets, et décida de ce fait que Teresa pouvait légitimement avoir besoin d’un petit coup de pouce. Alors qu’elle arrivait à leur hauteur, le garçon se tourna vers elle et, reconnaissant la sœur ainée de leur victime, lâcha d’une voix la plus menaçante possible :

— C’est pas tes oignons, grande asperge, fout le camp !

Vouloir en mettre plein la vue à ses copines, c’est une chose. Mais menacer une frêle jeune fille comme Marcy, qui mesure tout de même son bon mètre quatre-vingt-dix pour près de quatre-vingts kilos, c’est ignorer dangereusement ce qu’on appelle le principe de réalité.

— Ne pense même pas à récupérer le téléphone de ta frangine si tu veux pas que je t’arrache les yeux ! Fit haineusement la blonde, tout en reculant un peu pour se mettre derrière le garçon.

— Ce téléphone n’appartient pas à Teresa, fit posément Marcy en s’approchant, c’est le mien, je le lui avais prêté !

C’est à ce moment du récit qu’il faut commencer à se poser quelques questions sur le bon sens des trois antagonistes : le maniaque du téléphone étant comme on l’a compris d’un genre quelque peu massif, trapu et obtus et bénéficiant de l’appui de ses deux groupies, on pouvait estimer qu’il avait l’avantage du nombre et peut être de la force brute. D’un autre côté, tout costaud qu’il fut, Marcy le dépassait de deux bonnes têtes et devait probablement peser plus lourd que lui, sans compter qu’elle possédait une musculature aussi puissante qu’harmonieuse en parfait état de marche et avantage décisif, d’un sang-froid doublé d’une grande détermination. L’issue d’un éventuel affrontement n’avait donc rien d’évident et le voleur de portable entama un mouvement de repli léger, mais prudent, tout en grognant une ou deux insultes.

Marcy, qui ne se départissait pas de son flegme habituel, s’avança vers l’individu d’un pas assuré sans une insulte, ni un quelconque propos discourtois, ni même un mot plus haut que l’autre, choses auxquelles on aurait logiquement pu s’attendre dans cette situation. Ce calme inquiéta largement plus le fameux « bad-boy » de service qu’une quelconque esclandre ou fanfaronnade, il devinait plus ou moins consciemment que cette impressionnante jeune fille faisait partie de ces gens qui connaissent parfaitement l’ampleur de leur force et de leurs capacités d’actions pour ne pas avoir à en faire des tonnes en matière d’intimidation. Elle était maintenant devant lui et ses grands yeux bleus, d’ordinaire doux et bienveillants, prirent à l’instant où elle les braqua sur ceux du garçon un éclat métallique glacial et sibérien, emplis de cette puissance implacable, mordante et létale propre aux vents polaires qui sifflent sur les icebergs du détroit d’Hudson.

La rousse, qui était en retrait, farfouilla dans son sac et en sortit un objet qu’elle lança à Marcy

— Tu veux un téléphone ? Alors, contente-toi de ce vieux truc, c’est encore assez bon pour toi !

Marcy attrapa l’objet au vol : c’était un vieux modèle de téléphone Nokia, massif, lourd et robuste, avec un écran minuscule.

Elle le regarda attentivement :

— Si j’ai bien compris, tu me prêtes ce téléphone ?

— C’est ça !

— Je peux donc l’utiliser à ma guise ?

— Tu peux même te le mettre là où…

Visiblement, le type n’appréciait à présent que très moyennement le soutien de ses admiratrices qui, à force d’en rajouter, venaient de le placer dans l’inconfortable situation du gamin qui, ayant agacé plus que de raison un Dobermann au travers d’un grillage, s’aperçoit d’un seul coup que le portail de la maison est resté grand ouvert. Marcy avait entre autres un don inimitable pour se composer en un instant une expression si glaciale et si menaçante que même « La China » — sicaire Mexicaine bien connue pour son palmarès meurtrier juste un cran en dessous de la dernière éruption du Krakatoa — aurait pu en tirer des leçons !

De toute façon les deux filles ne finirent pas leurs phrases : le terrible regard polaire de Marcy les avait transpercés jusqu’à leur sceller définitivement les lèvres, exactement comme si on leur avait placé sous le nez une pancarte notifiant en grandes lettres rouges clignotantes : « Avertissement sans frais ! Un mot de plus et on ne retrouvera jamais vos corps ! ».

Elle amena lentement sa main gauche qui tenait le vieux Nokia à hauteur de ses yeux et, tandis qu’elle serrait fortement le poing, son beau visage prit une redoutable dureté métallique. Il y eut alors un bruit bizarre, sec et creux, très désagréable, évoquant quelque peu celui des haches vikings sur les crânes des autochtones, à l’époque des grandes invasions, ou bien encore un chaton coincé dans un mixer avec un paquet de cacahuètes. Lorsqu’elle rouvrit sa main, la pluie de débris de ce qui avait été un téléphone tomba par terre en un tout petit tas de composants électroniques brisés, de touches tordues et de plastique torturé.

Tout le monde sait combien les vieux Nokia sont robustes, endurants et coriaces : de ce fait l’instinct de survie des trois compères, qui avait pris le relais de leurs intellects désormais en rideau, leur fit comprendre que pour arriver à un tel résultat il fallait nécessairement déployer une énergie proche de celle d’une petite presse hydraulique.

Le garçon et ses deux copines restèrent un moment bouche bée, le regard vissé sur les débris du Nokia qui semblait avoir fait une rencontre aussi inopinée que malheureuse avec un tractopelle.

— Je crois malheureusement que ce téléphone ne fonctionne pas, fit posément Marcy avec le ton monocorde d’un robot, pourriez-vous avoir l’amabilité de me rendre le mien ?

Le garçon la toisa à nouveau, mais c’était une tout autre expression qu’il affichait à présent, comprenant ce qui était susceptible de se produire s’il prenait l’envie à Marcy d’attraper sa main, sa tête ou les parties de son anatomie située aux antipodes de celle-ci. Il bredouilla un truc inaudible et, détalant avec ses deux complices terrifiées, jeta le téléphone de Teresa en direction de Marcy qui l’attrapa au vol.

— Vois-tu Teresa, fit calmement son ainée en lui rendant le précieux téléphone, il suffit souvent d’un soupçon de psychologie et de dialogue pour arranger les petits conflits du quotidien ! Bon, sur ce rentrons, nous allons être en retard pour le dîner !

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