Chapitre XI.5

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Au bout d’un certain nombre de bouteilles de Witkap, une idée commença à germer quelque part sous sa casquette. Certes, tout le monde à des idées bien sûr, y compris des gens comme ce cher Benny, idées qui peuvent êtres plus ou moins lumineuses. Le seul problème étant que le crâne de Benny ne constituait pas spécialement un écosystème idéal pour une idée, quelle qu’elle puisse être!

Néanmoins, par un mystérieux processus de darwinisme mental, celle-ci finit par germer et Benny ouvrit de grands yeux en se grattant pensivement la barbe, surpris par cette sensation somme toute assez neuve chez lui. Il avait entendu à la télévision quelque chose sur la recrudescence des vols à la tire et en tira la conclusion qu’il y avait là un créneau à exploiter, sans penser un seul instant que ce genre d’activité est davantage réservée aux sportifs qu’aux pachydermes. Il estima qu’en fonçant sur une potentielle victime en poussant de terribles rugissements, cette dernière s’enfuirait terrorisé en abandonnant son bien.

Mis dehors par le patron, il décida d’entamer de suite sa carrière par un coup d’éclat et arrivant dans une ruelle un peu sombre, s’embusqua. C’est là que le hasard lui fit croiser deux personnes qui ne se connaissaient pas et que rien ne destinait à se rencontrer à savoir un certain monsieur Wordsmith et miss Marceline Rutherford Green. Le minuscule monsieur Wordsmith, toujours tiré à quatre épingles, sortait de l’étude de notaire toute proche une mallette à la main. Quant à Marcy, elle arrivait du côté opposé en portant sa Stratocaster Fender Custom avec laquelle elle venait d’interpréter pour son groupe d’habitués un bon nombre de titres de Dire straits.

Poussé par une ambition soudaine autant que par la Witkap, le beau Benny décida de faire coup double : le petit bonhomme ne serait pas bien compliqué à effrayer ou renverser quant à la fille, même si elle lui semblait étonnamment grande, lui arracher sa guitare ne devrait pas être trop difficile pour un costaud comme lui.

Décidant de commencer par la proie la plus facile, il déboula de son coin sombre, avec toute la vitesse que sa corpulence pouvait permettre, tout en hurlant comme un possédé : le petit bonhomme s’immobilisa, surpris, tandis que Marcy se tourna instinctivement vers l’endroit d’où venait ce barrissement. Étant contrairement à Benny doté d’un cerveau en parfait état de marche, elle comprit instantanément ce qui allait se passer et, en trois enjambées, attrapa le petit homme par l’épaule et le souleva pour le soustraire à cette charge éléphantesque tandis qu’un coup de talon bien placé envoya mister Bloobs valser dans les poubelles.

Vexé, Benny récupéra sa casquette, ôta un certain nombre de détritus de sa personne et recommença sa manœuvre. Grave erreur tactique de l’audacieux voleur : certes, Marcy avait secouru monsieur Wordsmith, mais sa Stratocaster Fender avait hélas subi quelques dommages collatéraux. Marcy est, comme nous le savons tous quelqu’un de principe, et son code d’honneur est très strict quant à la conduite à tenir envers ceux qui brutalisent plus faible qu’eux et qui par-dessus le marché ont le toupet d’esquinter sa précieuse guitare, un cadeau de Star en plus !

Au moment où Benny arrivait sur elle, Marcy se mit en garde et il n’eut même pas le temps de comprendre ce qui arrivait. Monsieur Wordsmith se recroquevilla en entendant le bruit terrible de ce qui lui sembla, sur le moment, être les prémisses d’un tremblement de terre mais qui n’était tout compte fait que la résultante du formidable impact du poing de la douce Marcy — décoché à une vitesse météorique — contre la mâchoire du beau Benny.

Ce dernier vit plus d’étoiles que n’en compte la Voie lactée tout entière, puis un gros plan de couvercles de poubelles mêlé d’arêtes de poisson avant de finir par tomber dans les pommes. Marcy frotta un peu son poing endolori, ramassa le chapeau de monsieur Wordsmith qui avait volé dans la bagarre, l’essuya au mieux et le rendit à son propriétaire en demandant d’une voix douce :

— Est-ce que vous allez bien, monsieur ? Appuyez-vous sur moi, je vais appeler la police.

Un peu plus tard, après que les autorités aient embarqué un Benny toujours dans les pommes et pris les dépositions, c’est un Max Green affolé qui débarqua dans le café où Marcy et monsieur Wordsmith buvaient un remontant.

— Bon sang ! Marcy, qu’est-ce qui s’est passé ? Quand la police a appelé, je me suis imaginé le pire !

— Ne t’en fait pas, Max, ce n’est rien, j’ai juste aidé monsieur Wordsmith ici présent à éviter un importun.

Max considéra le petit homme, impeccablement mis en dehors d’un chapeau assez cabossé, qui avec une précision et une exactitude des plus étonnantes s’empressa de lui résumer les faits.

— Hé bien Marcy, je n’en reviens pas, toi qui m’as toujours dit que tu détestais te bagarrer…

— C’est on ne peut plus exact, petit frère. Je t’ai toujours dit que je détestais me battre, pas que je ne savais pas !

Pour ceux qui s’intéresseraient au sort de Benny, disons que lorsqu’il se réveilla à l’hôpital d’Antibes, son premier souci fut de demander à l’interne de service où il était et pourquoi une rame de train avait jugé bon de lui passer dessus juste à côté de son pub préféré ? Dans les faits, cette demande s’exprima plutôt par un : « Pfftruiiplfllefprrtuiiipfffftruiiplfllefprrtuiiipffl… » baveux compte tenu de l’état actuel de sa dentition, suite au léger désaccord qui l’opposa à la douce Marcy.

Un peu plus tard le stomatologiste en chef vint lui expliquer que la bonne nouvelle était que toutes les pièces de sa mâchoire étaient bien là et qu’aucune n’avait été oubliée sur place, le seul problème étant de remettre le tout à sa bonne place ce qui n’était pas vraiment gagné étant donné qu’à en regarder les radios, les mandibules du sieur Benny étaient à peu près dans le même état qu’un délicat service à thé en porcelaine de chine que l’on aurait lâché du dernier étage de la tour Eiffel avant de passer dessus au rouleau compresseur. Quoi qu’il en soit, Benny fut le patient le plus entouré du service : les spécialistes de la région se pressaient pour examiner son cas, les stomatologues les plus éminents bataillaient quant aux soins les plus adéquats à prodiguer sur ce patient si exceptionnel. Tandis que les étudiants, qui terminaient leur médecine, se livraient à une concurrence presque acharnée pour faire des mandibules de l’infortuné Benny leur sujet de thèse. Tout cela dura suffisamment longtemps pour que Benny révise à nouveau ses plans de carrière. Mais pour son malheur, comme il n’avait jamais pensé à se munir d’une bonne mutuelle et que ses cotisations n’étaient pas à jour, la réfection complète de sa mâchoire acheva de vider ses économies et il dut vendre sa voiture !

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