Chapitre XI.2

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Tandis que Winston vaquait à d’autres tâches, mais gardait un œil sur ce médecin informatique improvisé, Max fit le tour de la machine, l’examina puis s’assit pour réfléchir. Il s’apprêtait à relancer une dernière fois le système quand la cause du problème lui apparut d’un coup. Elle était si évidente et stupide qu’elle lui avait tout simplement complètement échappé, mais qui maintenant lui crevait les yeux : le bureau de Mme Marquet était si surchargé de dossiers, classeurs et autres paquets de notes qu’une pochette de documents appuyait fortement sur une partie du clavier, ce qui au vu du système particulièrement archaïque de l’ordinateur bloquait le démarrage du système.

— Alors, Max, vous avez une idée ?

Prudent, il ne fit pas de commentaires, s’il expliquait tout de go à Winston que le problème venait de l’inextricable bazar qui régnait sur son bureau, elle risquait de fort mal le prendre. Max tenta donc une approche plus fine et fit mine de manipuler quelques touches avant d’éteindre l’ordinateur. Puis, juste avant de le rallumer, déplaça discrètement le dossier fautif sur un côté du bureau.

L’ordinateur s’alluma et au bout de quelques secondes, reprit son fonctionnement normal, au grand soulagement de Max qui redoutait tout de même un imprévu.

Winston sembla satisfait du résultat et Max donna quelques vagues explications pour étayer ses propos, tout en restant suffisamment technique pour éviter des questions superflues. Il en profita pour bouger quelques piles de documents risquant de causer le même problème avant de conclure, modeste :

— Voilà, vous ne devriez plus avoir de problèmes et, si jamais vous avez encore quelques soucis, appelez-moi pour que je jette un coup d’œil !

Il quitta le bureau, soulagé, en espérant que l’ordinateur de la contrôleuse de gestion se tienne tranquille, et s’empressa de rejoindre son bureau ou M. HiggelBottom avait sans nul doute de nouvelles directives passionnantes à lui dicter.

Seule dans son bureau, Mme Marquet vaqua à ses affaires, l’incident de l’ordinateur appartenait au passé et beaucoup de travail l’attendait d’autant que la DRH était absente pour un congé maladie et que, double compétence oblige, elle devait assumer une partie des tâches de cette dernière. Elle commença par ranger les piles de dossiers qui faisaient vraiment désordre, ouvrit le tableur de son PC et se servit une tasse de café. Tournant la tête vers la fenêtre pour mieux déguster son expresso, ses yeux tombèrent par hasard sur la petite pile de dossiers des différents stagiaires en contrat court que la DRH avait classés par ordre de préférence. Les dossiers étaient légèrement décalés et lorsque Winston les remit en place, un petit geste presque inconscient fit remonter le dossier de Max de trois places, celui-ci ne devait bien sûr jamais le savoir et Mme Marquet retourna à ses calculs.

Le hasard avait décidément beaucoup joué pour la carrière de Max, si tant il considérait cela comme une carrière : convoqué un jour dans l’agence pour l’emploi locale afin d’assister à une petite réunion visant à « maximiser les opportunités de première embauche » (sic) il n’avait eu au final que la certitude d’avoir perdu la moitié de sa matinée, mais au moment de partir, il tomba sur une des conseillères qui s’était un jour occupées de lui. Max discuta un moment avec elle — en espérant arriver à se souvenir de son nom — de choses des plus banales, quand une des imprimantes du service laissa tomber devant eux une nouvelle offre : c’était un stage d’un an, avec possibilité d’évolution, au service des ressources humaines de l’agence locale du service des Impôts, une expérience en informatique était souhaitée.

— Cela pourrait peut-être vous intéresser, les indemnités ne sont pas énormes, mais c’est mieux que rien !

Max regarda la feuille, puis le visage soucieux de la conseillère, comprenant de suite qu’il n’était pas en mesure de faire le difficile. « Après tout pourquoi pas ? » pensa-t-il, ce n’était pas très loin de chez lui et étant donné qu’il cherchait un travail qui ne l’enverrait pas à l’autre bout du pays, cela pouvait convenir. Le bref entretien avec la DRH du service avait été concluant, en grande partie parce que Max n’avait justement pas eu le temps de le préparer, et il fut embauché sur l’heure

Teresa, qui écoutait distraitement son frère, croqua un imposant morceau brioche :

— Donc tu penses que dans ton existence, tout est le fruit du hasard ?

— Dans ma vie, je ne sais pas trop, mais pour ce qui est du travail, je pense que c’est souvent une composante essentielle !

— Pas tout à fait d’accord mon grand, tu sais ce qu’un jour Star m’a raconté sur ce sujet ?

— Je suis tout ouïe !

— Eh bien, son professeur de communication, section vie de l’entreprise, a expliqué le plus sérieusement du monde que sur un CV il était plus judicieux d’indiquer son âge plutôt que sa date de naissance !

— Et donc Sherlock, que faut-il en déduire ?

— C’est tout simplement pour éviter que les futurs employeurs puissent établir le thème astral du candidat ! Tu vois donc à quel point le fabuleux monde de l’entreprise moderne cherche à éliminer les facteurs aléatoires…

Max avala pensivement une longue gorgée de café :

— Je n’imaginais pas que le management moderne soit si pointu ! Dis-moi Sherlock, est-il précisé au candidat s’il doit amener avec lui un corbeau ou un poulet pour en consulter les entrailles, histoire de compléter l’entretien d’embauche ?

— Là, mon cher Hastings, tu deviens franchement ridicule ! Tout le monde sait qu’il faut amener un bar ou une daurade : il est de notoriété publique que seuls les poissons de mer peuvent fournir les éléments précis et récents qui manquent toujours au dossier de candidature !

— Suis-je bête…

Teresa prit un autre morceau de sa brioche et entama la lecture d’un article issu d’un obscur magazine qui semblait l’inspirer grandement, Max regarda avec curiosité la couverture criarde, dans le plus pur style new-Age. Cela faisait un moment qu’elle s’était abonnée à Applepies & Conspiracies, qu’elle lisait avec un sérieux inversement proportionnel à celui que le bon sens commandait au vu des articles fantaisistes de cet étrange canard. Il ne s’était jamais demandé où Teresa avait déniché cet abonnement, mais l’interminable liste des sites internet spécialisés dans les théories du complot les plus fumeuses constituait un indice certain !

— Hé, Max, sais-tu que selon cet article très sérieux les Américains posséderaient de nombreuses bases ultra-secrètes ou non seulement ils étudieraient la technologie des extraterrestres, mais en plus de véritables extraterrestres travailleraient en secret sur tout un tas de projets scientifiques, tu te rends compte ?

— Et c’est vraiment sérieux cet article ?

— Évidemment ! il est cosigné par Arthur Apfelglück, plongeur au restaurant « Le joyeux Alien » sur l’Extraterrestrial Highway ; Jefferson. D. Screwball expert mondial en lévitation karmique et Rufus.T. Bloobs rédacteur en chef de la prestigieuse revue Applepies & Conspiracies. C’est dire si c’est sérieux !

Un instant Max se demanda si le dénommé Rufus.T. Bloobs avait un quelconque lien de parenté avec ce benêt de Benny Blarney Bloobs, auquel cas cela expliquerait bien des choses…

— Dis-moi, sincèrement, tu crois vraiment à tous ces trucs-là ? Il suffit de regarder ne serait-ce qu’un moment la couverture de ce canard pour comprendre que c’est du grand n’importe quoi !

Souriante, elle pencha délicatement la tête sur le côté :

— Mon cher Max, c’est une chose d’être crédule et c’est une autre chose de garder l’esprit ouvert. Je ne suis pas naïve ou simplette, mais je crois avec certitude, très cher frère, qu’il y a plus de choses sur la terre comme au ciel que dans toute ta philosophie !

— Dans ce cas, j’espère qu’ils ont un meilleur comité d’entreprise que moi, il ne manquerait plus qu’ils soient mieux payés et bénéficient du treizième mois !

— Remarque, ça serait logique, ces types viennent de systèmes solaires à plusieurs années lumières du notre, ils ne peuvent pas rentrez dans leur famille tous les week-ends !

— Finement observé, en attendant je serai curieux de voir le menu de la cantine !

— Ce serait édifiant, c’est sûr !

— Tiens, à ce propos, que vient donc faire Applepies avec Conspiracies ?

— Ho, s’est simple, ils ont un excellent supplément pâtisserie, je pense même que cela pourrait t’intéresser !

— Sait-on jamais…

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