Chapitre X.4

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Il ne put qu’acquiescer devant une Teresa mise à nu — au propre comme au figuré — qui le ramenait à ses propres ruminations. Il aimait crayonner, même s’il n’y mettait pas autant d’ardeur que Teresa avec ses bouquins. Et ayant parfois le coup de crayon heureux, Max avait un jour participé à une exposition locale et, s’il n’avait pas été le pire, quelques-unes des œuvres d’un participant — nettement plus jeune — lui coupèrent le souffle à un tel point qu’il préféra s’éclipser. Le plus rageant dans l’histoire fut que son jeune concurrent se montra d’une modestie d’autant plus horripilante qu’elle était totalement sincère, laissant le pauvre Max assez piteux et prouvant encore une fois si besoin est que les jumeaux, même dizygotes, ont décidément tendance à se ressembler.

— En même temps, répondit-il à Teresa dans l’espoir de la rassurer, dis-toi qu’à notre âge, ton Radiguet était bel et bien mort et enterré !

— C’est vrai, c’est une forme de consolation si on va par là ; en même temps, songe qu’à notre âge Alexandre avait déjà conquis le monde…

— On ne peut pas tout avoir, Sherlock !

On aura aisément compris, suite à ce petit échange de point de vue, que ce n’était pas la première fois — ni certainement la dernière — qu’une de ses sœurs faisait une apparition devant lui dans le plus simple appareil. Particulièrement Teresa, dont les concepts d’intimité et de pudeur étaient à géométrie — extrêmement — variable et qui souvent affirmait tranquillement « Qu’il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat, qu’est-ce que tu peux être prude, mon vieux ! » Marcy quant à elle, toujours désarmante de simplicité, trouvait tout à fait dans sa nature, d’être à ses heures, au naturel. En même temps, Max ayant grandi et évoluant dans un univers quasiment exclusivement féminin, il était en quelque sorte mithridatisé et donc n’en faisait pas non plus toute une histoire.

Pour la petite histoire, ce côté très naturel de ses sœurs avait l’avantage de fournir à Max des modèles vivants à un tarif des plus raisonnable pour ses esquisses à la sanguine ou à la mine de plomb (quand on connaît le tarif horaire d’un modèle « professionnel », on aura compris tout l’intérêt du procédé) et même s’il y avait parfois quelques discussions sur leurs honoraires respectifs, Marcy et Teresa étaient largement gagnantes. Certes, certains esprits chagrins pouvaient trouver que cela n’était pas très moral, voir suspect — ce fut en tout cas la version d’une voisine assez bigote, insinuations qui mirent Marcy de très mauvaise humeur — mais croyez bien que cela restait très bon enfant, Max ne se sentant pas plus coupable qu’un Lewis Carroll photographiant la petite Alice Liddel ou la nièce de Tennyson. On peut rétorquer que de nos jours — le vieux Freud étant passé par là — le pauvre Lewis Carroll aurait fini en garde à vue dès la première séance de pose, mais gardons à l’esprit que d’une part le second prénom de Max est justement Lewis et d’autre part Marcy et Teresa sont comme on a coutume de le dire majeures et vaccinées (du moins contre les esprits chagrins) !

Mais il est vrai que Teresa poussait parfois le bouchon un peu loin : un jour où il prenait une douche revigorante après une dure journée de travail passé à prendre note des multiples récriminations de M. HiggelBottom et qu’il commençait juste à penser à autre chose, Teresa — qui semblait avoir acquis le don de traverser les portes — se dressa devant lui et, après lui avoir donné une gentille petite tape dans le dos qui le fit sursauter sous le coup d’une surprise assez compréhensible, lui demanda le plus naturellement du monde s’il lui avait emprunté son exemplaire de La colline des Rêves. Max se drapa dans sa dignité — à défaut de choses plus consistantes à portée de main — et tout en s’efforçant de rester serein, lui tint ces propos :

— Ma chère Teresa, que répondrais-tu si je venais à l’improviste, pendant que tu prends ta douche, ton bain ou Dieu sait quoi d’autre, pour te demander si tu as vu mon dernier carnet de croquis ?

— Eh bien mon grand, je te dirai que ton carnet est en ce moment près de ma table de chevet, car appréciant beaucoup ton travail de dessinateur — ne me remercie pas, c’est amplement mérité — je n’ai pu m’empêcher de te l’emprunter pour avoir la primeur de tes prochaines œuvres. À ce propos, je trouve que tu dessines de mieux en mieux : les esquisses que tu as faites de Marcy sont très réussies ! Moi, par contre tu m’as moins mise en valeurs, j’ai plus de courbes que ça et mes….

— Tu ne dirais vraiment que cela ? demanda Max sur un ton suspicieux.

— Hum, ajouta-t-elle, inspirée, je crois que j’en profiterai pour te demander de me frotter un peu sur le haut des épaules ou le bas du dos ! Dieu sait pourquoi, je n’arrive jamais à atteindre correctement ces endroits-là quand je prends une douche et à chaque fois ça me gratouille terriblement et puis aussi… Tu n’as jamais pensé à m’offrir une de ces brosses à dos très pratiques ?

Que répondre ? Teresa affichait en ces circonstances la mine angélique et les grands yeux humides et palpitants d’un chaton de dessin animé. Max songea un instant à lui lancer la bouteille de shampoing, mais elle avait disparu !

Un long moment après le dîner, Max décida de faire une nouvelle tentative pariant que, statistiquement il y avait peut-être moins de chance que Teresa lui refasse le coup du sauna, et décida donc d’opter pour le bassin extérieur.

Après une rapide douche, il chemina vers le bassin extérieur le plus proche et arrivé au bord, se débarrassa prestement de sa serviette après avoir jeté un rapide coup d’œil circulaire. Il avait hâte de goûter au calme de l’endroit : encore une fois, si d’ordinaire il aimait beaucoup les innombrables anecdotes familiales de Star, il avait calé au moment où cette dernière entamait une histoire croustillante mettant en scène son arrière-grand-oncle, une jeune employée des postes, une demi-douzaine de homards bretons et une lance à incendie…

L’eau était parfaite et il y entra en un instant, se trempa jusqu’au cou, et après une brève exploration des lieux se rapprocha du bord où il décida de jeter l’ancre. L’eau chaude, qui lui arrivait au bas de la poitrine, fit merveille et le détendit tout à fait : finalement, ce premier jour de voyage commençait bien et il oublia même les dernières réflexions de M. HiggelBottom quant à la légitimité de ses indemnités de stage (si l’on en croyait parfois la logique du chef de service de Max, c’est ce dernier qui aurait dû verser un dédommagement à l’administration) de plus, Teresa n’était pas dans le secteur pour lui casser les pieds avec sa dernière lubie littéraire.

L’endroit était enchanteur et il fallait bien reconnaître qu’en dépit de ses tergiversations architecturales, tante Temperance McNulty avait fait un excellent travail : Max n’avait jamais mis les pieds ni au Japon ni en Norvège, mais ce bassin combinait, semblait-t-il, le meilleur des deux. Le bassin en cèdre rouge étonnement grand s’intégrait si bien à cette grande rocaille qu’il semblait un élément naturel. Quant à la rocaille faite de roches rouges, de petits conifères et de plantes grasses tapissantes, elle offrait une vision reposante d’où se prolongeaient les silhouettes des pins parasols ornant le reste du parc. De petites lanternes de pierre sculptée d’inspirations orientales ajoutaient une touche délicate à l’ensemble : en bref, tout l’endroit invitait à la rêverie pour toute personne quelque peu encline à l’imagination et Max, qui n’en manquait pas, eut l’impression qu’il serait bon et agréable d’y rester de longues heures à méditer et rêvasser ; il en venait à se sentir dans les mêmes dispositions que Coleridge songeant, à demi hébété, aux vers qui allaient composer Kublah Khan, anecdote qui avait régulièrement pour effet de faire fulminer Teresa.

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