Chapitre X.3

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Étonnement, ladite foule se manifesta assez rapidement sous la forme de Teresa qui entra tranquillement, referma la porte et, sagement vêtue d’une grande serviette blanche et de son inamovible serre-tête, salua aimablement son jumeau :

— Salut mon grand ! Alors, d’après cette bonne tante McNulty, toute cette vapeur c’est très relaxant et, très honnêtement, c’est exactement ce qu’il me faut… tu ne crois pas ?

Max de son côté ne fut pas tellement surpris : il semblait qu’à certains moments de son existence, particulièrement ceux où il aspirait à une certaine quiétude, l’univers lui envoyait systématiquement un enquiquineur quelconque dans les pattes.

Teresa, qui comme tout le monde le sait, est une jeune fille fort pudique et bien élevée, lança négligemment sa serviette sur le banc puis rajusta soigneusement son serre-tête rouge avant de s’asseoir très sereinement auprès de son frère. Elle sifflota un petit moment un petit air tout particulièrement agaçant, agitant doucement les jambes et, après quelque instant d’une intense contemplation de ses orteils, se tourna si vivement vers son frère qu’il en sursauta.

— Le diable au corps, t’en penses quoi, sincèrement ? Souffla-t-elle, féroce.

Ses immenses yeux bleus en amandes brillaient d’une lueur inquiétante et Max craint un instant que — la vapeur et un éventuel surdosage de whisky irlandais aidant — quelque chose ne se soit détraqué dans le système limbique de sa jumelle ; du moins c’est ce que son propre système limbique semblait lui suggérer en envoyant tout un paquet de trucs contradictoires, prompt à le mettre vraiment très mal à l’aise, à son cortex préfrontal.

— Hé bien… J’imagine que… ça dépend du diable et du… corps ? Se mit-il à bredouiller d’un air vaguement craintif.

Teresa le fixa avec intensité, les yeux écarquillés et les lèvres pincées dans un visible effort de concentration, puis leva un instant la tête en arrière les yeux vers le plafond.

Et d’un seul coup elle se pencha vers Max, plaquant vivement une main moite sur son épaule :

— Hum ! Pas faux, il me faut vraiment, vraiment aller plus loin ! Soupira-t-elle à nouveau, les yeux luisants.

Au regard de leur situation présente, Max commença à se poser des questions et se mit à tâtonner discrètement pour récupérer la serviette lancée par Teresa :

— Heu… hé donc… tu penses à ?

Il n’eut pas d’autre réponse qu’un nouveau soupir de sa jumelle qui semblait d’un seul coup perdue dans ses pensées, puis subitement se laissa mollement glisser. Une Teresa molle et aux joues écarlates l’inquiéta soudainement nettement plus qu’une Teresa agressive et mordante : dans pas mal de bouquins, piqués dans la bibliothèque de miss va-nu-pattes, on trouvait tout un tas de romans où de nombreux frères et sœurs qui — en matière d’affection mutuelle — poussaient le bouchon un peu loin, si l’on peut se permettre cet euphémisme aussi délicat qu’infiniment en dessous des cataclysmes familiaux qui en résultent en général. Depuis Une page d’Histoire jusqu’à Nous sommes Éternels et en passant par Les Enfants Terribles, la littérature du XIXe siècle — pour ne rien dire de la dramaturgie grecque et de la mythologie égyptienne — est bourrée d’histoires sur des amours adelphiques qui, si elles sont terriblement poignantes et très satisfaisantes en matière de tragédie, n’en demeurent pas moins d’avoir en commun de finir très, mais alors vraiment très mal et en général par des morts dévastatrices (souvent par le suicide, plus ou moins violent, d’au moins l’un des intéressés, voire également de certains proches).

Max dégluti : lui n’avait rien sur le dos et Teresa était seulement vêtue de son serre-tête. Certes, il était quasiment sûr de ne pas descendre de la famille des Atrides — pas plus que de celle d’un De Ravalet — et même s’il y avait relativement peu de probabilité pour que sa jumelle se transforme en Messaline dans les minutes à venir ; il eut soudainement une bouffée d’inconfort moral, assez compréhensible dans sa situation. De toute façon, il avait enfin réussi à mettre la main sur cette fichue serviette et estimait qu’il n’hésiterait pas à s’en servir… Sur ses gardes, il se demanda — très sérieusement — ce qu’il redoutait le plus : qu’elle lui saute dessus pour se livrer à des choses moralement répréhensibles ou qu’elle continue à lui asséner des dissertations alambiquées sur l’œuvre de James Joyce !

Fort heureusement pour lui, la solution se présenta sous la forme d’un troisième terme qu’il n’avait pas envisagé ; Teresa fixa distraitement une des gravures qui ornait le sauna, le menton pensivement calé au creux de ses paumes :

— Bon sang, ce Radiguet ! Quelle pertinence, quelle puissance évocatrice, quelle audace et non de non… Quel talent !

Max poussa un soupir de soulagement qui dut s’entendre jusqu’au Newport Coffe : il s’agissait encore d’une nouvelle lubie littéraire de Teresa et il se sentit aussi profondément idiot que profondément soulagé ! Il connaissait le bouquin en question et se souvenait vaguement de l’avoir lu, mais très honnêtement cette terrible histoire d’amour ne l’avait guère passionné et connaissant Teresa, il se demandait bien ce qui avait pu l’intéresser là-dedans. Naturellement, elle ne se fit pas prier pour l’expliquer :

— C’est vrai que ce genre d’histoire de cœur, même très tragique et remarquablement écrite, ce n’est pas tellement ma tasse de thé, mais ce qui m’a le plus impressionné c’est — excuse-moi si cela ressemble à un poncif — sa façon de sonder et de mettre à nu les cœurs, les corps et les âmes, d’en saisir les moindres nuances et de les restituer avec une telle force. Pour le dire plus simplement, alors que je me casse la tête à tisser une histoire, une intrigue, une atmosphère, etc.. Et que je me donne de la peine. Arrive un Radiguet ou une Sagan : résultat, ils mettent dans le mille du premier coup, imparablement, merveilleusement et voilà… Mon manuscrit part presque de lui-même au panier, poussé au suicide dans un terrible élan de lucidité !

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