Chapitre IX.4

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Ce jour-là, Antonio raconta à Max l’histoire d’un de ses amis de jeunesse, un certain Primo DiGiovanni plus connu dans le milieu sous le nom de Don Expresso Ristretto : banni de son village à l’adolescence pour avoir préféré le café filtre au traditionnel expresso, il jura de se faire un nom au sein de la Cosa Nostra. Il finit par obtenir, après des années de haute lutte, le rang de parrain du milieu grenoblois et fit main basse sur toutes les entreprises de torréfaction de la ville, s’en suivit à force de corruption et de pots-de-vin qu’il put contrôler l’approvisionnement en café de toutes les administrations de la ville. Devenu Don Expresso Ristretto, il était alors si puissant et influent qu’un seul mot de sa part pouvait priver la quasi-totalité des services publics de café frais. Cette démonstration de puissance ne manqua pas d’impressionner Max qui savait fort bien qu’aucune administration aussi puissante soit-elle ne peux durablement fonctionner sans café.

— C’était une sacrée époque, Max, toute la ville était tenue par des clans et dans certains quartiers, il valait vraiment mieux faire profil bas : tiens, quand à dix-neuf ans j’ai commencé le métier de facteur, je n’en menais pas large ! La première fois où je suis passé par la place de Verdun, je suis tombé sur une grande pancarte clouée à un arbre avec écrit en rouge ; « Étranger, ici le dernier préfet de police est mort les bottes aux pieds ! » c’est dire si ça ne rigolait pas…

— À ce point-là ?

— Je te ne le fais pas dire, et ça ne s’est pas tellement arrangé par la suite. Vers les quartiers sud on trafiquait de tout et n’importe quoi même si les Italiens étaient de moins en moins dans le coup, d’un autre côté pour certains c’était l’opportunité de faire carrière certains quartiers recrutaient même. Une fois j’ai vu près d’une barre d’immeuble une pancarte avec marquée dessus :

« Étranger, ici tu entres dans une terre d’opportunité : tu pourras finir soit riche, soit pendu ! ».

Max était suspendu aux lèvres du conteur, qui après une nouvelle rasade d’arabica, reprit le cours de son récit.

Fort de son pouvoir, Don Expresso Ristretto s’installa dans une coûteuse propriété, surveillée en permanence par des gardes armés et constamment ravitaillés en expressos pour garder toute leur vigilance ; il se fit tailler des costumes dans les plus belles étoffes, toutes déclinées dans des tons allant du noir le plus pur au délicat cappuccino et parfumés (grâce à un procédé révolutionnaire à l’époque) des plus délicats parfums de moka. Il était notamment connu pour sa chevalière en or serti d’une pierre sombre taillée en grain de café et, détail touchant, il portait toujours sous son borsalino couleur crème un sachet d’un mélange rare de robusta en souvenir des privations de sa jeunesse.

Il était d’une susceptibilité extrême : un jour, il bloqua l’approvisionnement du centre postal en représailles d’une lettre où l’expéditeur avait omis de l’appeler « Monsieur » : ce fut un blocus redoutable et il plaça des hommes de main aux entrées du centre de tri, chargés de fouiller chaque membre du personnel. Si l’un d’eux transportait par malheur du café, celui-ci était immédiatement confisqué et remplacé par de la tisane. Mais cela finit par lui porter tort, d’autant que la fameuse lettre venait du centre des impôts.

Son empire prit fin après une lutte acharnée contre un de ses cousins, un certain Corradeo Rotelli dit Don Latte Mallachio qui contrôlait de son côté tous les producteurs de mousse de lait.

Le lendemain de son cinquantième anniversaire Don Expresso Ristretto fut retrouvé devant un café de la place Grenette, aplati sous un piano à queue Stenway. La serveuse l’aurait vu boire une gorgée de son mélange favori, puis soudain, il aurait levé les yeux au ciel et murmuré « oh !, oh ! » Juste avant le drame.

Corradeo Rotelli fut entendu par la police locale en tant que plus proche parent de la victime puis, après délibération, les autorités conclurent à un suicide et classèrent l’affaire.

— Çà, c’était vraiment quelqu’un, quelle classe ! lança Antonio Senior en remplissant la tasse de Max, puis la sienne.

La discussion s’arrêta là, car Vito annonça à son oncle que la voiture était prête ; Max, qui avait encore beaucoup à faire, remercia Antonio pour le café et paya la facture. Comme toujours, le travail avait été fait très consciencieusement et il put rentrer chez lui l’esprit tranquille. Max venait de garer la voiture devant la maison quand Teresa vint le rejoindre, portant une énorme valise de toile qu’elle peinait visiblement à soulever :

— Alors, tout est en ordre, notre voiture ronronne-t-elle aussi bien que Lucy devant la librairie de Georges ?

— On peut en effet le voir comme ça, dis-moi qu’est-ce que tu trimballes là-dedans ? On n’aura jamais assez de place dans le coffre.

— Juste quelques livres et des carnets, on ne sait jamais, si l’inspiration me prend…

— Je me doutais bien que ce n’était pas ta garde-robe ! Écoute, on va être seulement quatre et juste pour quelques jours, alors je t’en prie, fais un minimum de tri, tu n’as pas besoin de tout ça quand même !

— Ha, je serais donc toujours à tes yeux une pauvre chose incomprise… Si c’était Marcy, tu serais plus accommodant !

— Je te ferais remarquer que Marcy possède plus de vêtements que nous deux réunis et qu’elle sait parfaitement optimiser ses bagages !

— Hoo, et moi qui croyait être ta sœur préférée, sang de ton sang, ô si sourde et cruelle trahison…

— Tu as fini ?

— Mmouis, presque ! Dis, quelle histoire t’a donc racontée ce bon Antonio cette fois-ci ? Est-ce que c’était celle de Don Bruschetta ; le parrain tout-puissant de la tartine chaude jambon de parme-mozzarella-aubergine ?

— Non, ce coup-ci c’était un certain Primo DiGiovanni, alias Don Expresso Ristretto !

— Je ne le connais pas celui-là, tu me raconteras ?

— Si ça te fait plaisir ; je me demande toujours si Antonio n’enjolive pas toutes ces histoires de trop ? C’est fascinant de voir à quel point tous ces types-là l’ont impressionné dans a jeunesse, lui qui est si honnête.

— Mon pauvre Maxou, faut-il vraiment que tu sois naïf pour croire que le crime ne paye pas ? Il n’y a guère que les imbéciles qui pensent ça — sauf ton respect — !

— Merci tout de même Sherlock, mais en parlant d’imbéciles et si l’on suit ton idée, comment expliques-tu le cas de Benny Bloobs ?

— Là, effectivement, tu plombes quelque peu mon affirmation, mais comme tu l’as dit, Benny est une véritable andouille, sans compter qu’il a une peur bleue de Marcy depuis l’affaire avec monsieur Wordsmith.

Marcy fit justement son apparition à la fenêtre de la cuisine et convoqua les jumeaux à une réunion improvisée pour les préparatifs de départ.

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