Chapitre VIII.3

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Lucy pris stoïquement commande, raturant plusieurs fois son carnet au gré des incessants desiderata de la charmante famille, puis courus vers l’arrière-boutique.

La pauvre n’était pas née au bon siècle : elle avait incontestablement l’envergure d’un Bram Stoker, d’une Mary Shelley ou d’un Arthur Machen. Max avait lu ses notes, ses poèmes et une de ses histoires — brillamment inspirée par « Le Grand Dieu Pan » de Machen — avait rendu Teresa dingue de jalousie. Elle possédait un évident talent créateur là où les autres gamines de son âge se contentaient généralement de glousser en lisant Stephenie Meyer et de griffonner des fanfictions. Faire travailler Lucy au Newport comme serveuse revenait somme toute à employer Élisabeth Browning pour faire la plonge ou l’inventaire des réfrigérateurs. Le problème était que notre époque payait mieux le commerce de masse que la littérature et même un CV long comme la descendance d’un patriarche biblique ne vous garantissait pas un salaire décent : vous imaginez un instant John Keats en vendeur de cuisines équipées ou Emily Dickinson trimer dans un centre d’appel ?

Un peu plus tard, Lucy revint avec un plateau chargé de coupes de glace en équilibre précaire. Une coupe particulièrement imposante et biscornue l’intrigua au point qu’il finit par se demander si cette chère Lucy n’y avait pas dissimulé quelque dispositif vengeur : une grenade à main, une éprouvette gorgée de miasmes mortels, un piège à loutre ou plus simplement un bâton de dynamite ? Il finit par partager ses inquiétudes avec Star, qui elle pariait pour une mini bombe atomique ou — à défaut — une fiole d’acide fluorosulfurique.

Lucy déposa son plateau sur la table comme une malheureuse vestale déposerait ses pathétiques offrandes aux abjectes divinités répugnantes d’un quelconque culte ignoble et impie. Mais il est hélas bien établi que les divinités — tout spécialement celles du genre répugnant et abject — ne sont jamais rassasiées et, bien que le plateau fut englouti avec un enthousiasme étonnant au vu de tant de récriminations, le père de famille ne put s’empêcher d’en rajouter après avoir fini de lécher sa cuillère.

— Mouais, mouais, je sais bien que vous n’y êtes pour rien, mais quand même c’était vraiment moyen ! Soyons honnête vos glaces ne sont pas mal -enfin je dirai passable — mais qu’est-ce que cette chantilly était aigre, et après vous me parlez de fait maison ! Je ne sais pas comment cela se passait à Bruxelles — peut être que là-bas on à un autre sens du goût — mais votre patron, franchement, si c’est ça être maître-glacier…

Le beau visage de Lucy avait viré à l’aubergine et, tandis que ses mains délicates déchiquetaient méthodiquement son tablier, ses jolis yeux crépitaient d’éclairs verts et violets avec l’intensité d’une torche à plasma industrielle — ce qui visuellement était du plus bel effet — ! Quant à monsieur VanLangenhove qui, de derrière son comptoir suivait toute l’affaire, il avait très largement perdu de sa bonhomie coutumière et ses incroyables moustaches pointaient vers les casse-pieds de service, aussi menaçantes que les cornes du Minotaure.

Bien évidemment, la charmante famille ne s’apercevait de rien, mais Max et Star auraient pu jurer que la température, comme les sorbets de monsieur VanLangenhove, se faisait glaciale ; tandis que de sombres nuages noirs s’enroulaient au-dessus de la tête de Lucy, aussi hideux que les flancs assoiffés et décharnés des chiens de Tindalos. Lucy elle-même semblait prendre une envergure inhabituelle, les manches de son pull chauve-souris se faisait progressivement ailes. Quant à son visage et ses cheveux noirs, ils tenaient davantage de Médée s’apprêtant à faire un sort à ses enfants que ceux d’une gentille collégienne en serveuse à mi-temps.

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