Chapitre VIII.1

4 minutes de lecture

Les gens laids et stupides sont les mieux lotis dans ce monde. Ils peuvent s’asseoir confortablement et, bouche bée, regarder la pièce qui se joue devant eux. S’ils ne savent rien de la victoire, du moins la connaissance de la défaite leur est-elle épargnée.

Oscar Wilde.

Le monde entier est une scène et tous les hommes et femmes sont de simples acteurs.

William Shakespeare, Comme il vous plaira.

Une famille modèle — Quand le hipster doute — Glace, gaufrettes et film noir — Dégustation — Lucy sur le grill — Avis de tempête — Drôle d’époque — Glaces infernales — Masse critique — Une tirade peu commune — Rideau !

Après cet émouvant petit moment d’effusion, et que Star ait commandé un cognac pour son cher Max si ému, Lucy reprit du service et s’éloigna pour aller prendre la commande de la table voisine, une famille tout ce qui avait de plus banal avec deux enfants, d’âge et de sexe indéterminé, mais dont le potentiel en matière de nuisance sonore semblait particulièrement prometteur.

Max eut un peu de peine pour Lucy, aux prises avec ces nouveaux clients dont la bruyante progéniture était du genre à réclamer à corps perdu des glaces en choisissant tout spécialement les parfums qui n’étaient pas à la carte.

Essayant tant bien que mal de déguster leurs cafés en paix, Max et Star observaient du coin de l’œil la pauvre Lucy qui s’apprêtait à prendre stoïquement la commande ;

Le client était un type entre deux âges, avec le cheveu ras, quelques tatouages, une vague barbe de trois jours et un visage anguleux. Vêtu d’un maillot de bain fluo et de sandalettes, il donnait l’impression du père de famille en vacances qui veut jouer les hipster, sans même penser qu’un hipster authentique le traiterait avec tout le mépris que mérite une si piètre caricature. Sa compagne, d’une fadeur absolue, était la parfaite illustration de ce mot d’esprit sur ces gens qu’il suffit de croiser une seule fois pour les oublier à jamais. Les deux gamins ne cessaient de hurler « Boooo! Boooo! » à tour de rôle et à tout bout de champ pour une raison qui, si l’on exclut la démence précoce ou une atrophie cérébrale, resta inexpliquée.

Celui qui devait être l’aîné tapait bruyamment sur la table pour réclamer des glaces. Max se retourna juste un instant, le temps de l’observer : ce petit machin rondouillard et grossier serait à l’évidence, soit la parfaite tête de lard à martyriser dès l’entrée au collège, soit le parfait odieux petit tyran s’il survivait à cette première année. Mais aucun risque de ce côté-là Max avait déjà croisé des veaux plus intéressants. Il ressentit à ce moment un tout petit peu de peine pour les parents, condamnés à trainer ces boulets, du moins jusqu’à leur majorité légale ou à ce qu’ils décident plus simplement de les noyer, mais il se ravisa, après tout, personne n’avait dû les obliger à pondre ces deux erreurs de la nature.

Lorsque les parents eurent réussi à calmer leurs rejetons, le pseudo hipster décida de passer commande : il n’avait pas cessé de tourner et retourner la carte du Newport Coffe en plissant les yeux, la mine circonspecte, comme s’il espérait — ou redoutait — y trouver une quelconque clause sur les consommations écrites en petits caractères : c’était visiblement le genre de type qui écoute systématiquement les gens comme on écoute un garagiste qui tente de vous fourguer une occasion et qui attend avec jubilation de pouvoir dire « Hé, si vous croyez que je vais me faire avoir, c’est loupé, je suis un peu trop malin pour ça… » Max et Star tendirent donc un peu plus l’oreille de peur de manquer le spectacle.

— Avez-vous choisi, monsieur ? demanda poliment Lucy tandis que le bonhomme lui faisait signe.

— Ha, c’est vraiment un endroit très bien placé, près de ce charmant port, très pittoresque… Mais, dites-moi — ce n’est pas que je veux faire des histoires — mais vos glaces sont plutôt chères ! Comme je le disais à ma compagne.

— Toutes nous glaces sont faites maison, comme nos biscuits et pâtisseries !

— Je sais, je sais ! Mais, et cela m’est arrivé — je ne vous mets pas en doute — que du fait maison ne soit pas vraiment maison ! Rappelle-toi chérie, du petit restaurant, hier, où le poisson était en fait du surgelé, vendu au prix du frais….

— Le propriétaire est un maître-artisan glacier, il a longtemps travaillé dans un établissement très connu à Bruxelle.

— Bien sûr, bien sûr, c’est certain ! En même temps vous comprenez que je ne peux pas vérifier, hein !

Le visage de Lucy habituellement pâle commença à rosir plus que d’ordinaire :

— Écoutez monsieur, si vous ne souhaitez pas commander, je…

— Ah, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, mademoiselle ! Mais voilà, nous sommes quatre, et — ne croyez pas que je sois méfiant — je souhaiterais goûter un échantillon !

À l’autre table, Star pouffa de rire : « On se croirait dans un film noir, genre Sin City, imagine un instant Lucy en femme fatale, armée d’une cuillère à glace, dans un parking désert avec une mallette noire en train de dire à un type : « Tiens, voilà ta marchandise, envoie la monnaie ! » et l’autre qui répond « Faut que je vérifie, la dernière fois on à voulu me rouler en me refilant de la Plombières au lieu du Rhum-raisins malaga ; ça s’est salement fini… » et Lucy termine « Je suis toujours réglo dans les affaires, si jamais un jour t’as besoin d’amandes grillées ou de doses de paillettes chocolat, tu sais où me trouver ! »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire HemlocK ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0