Chapitre VII.1

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Combien la nuit du temps est longue et sans limites si on la compare au bref rêve de la vie

Arthur Schopenhauer.

Une bonne adresse — L’Estrade — Tous les goûts sont dans la nature — L’Ecclésiaste — Finsternis déprime — Les lectures de Lucy — Des cadeaux très appréciés — Un talent précoce — Quand le fruit tombe loin de l’arbre — Blessures de l’âme — Théogonie géométrique — Meilleurs amis — Dr Westermarck, je présume ? — Souvenirs d’enfance — Un bon conseil d’Oncle Ford — Fraternité et constante de Planck.

Max but doucement son café tandis que Lucy s’éloignait pour prendre une autre commande ; il y avait peu de monde à cette heure de l’après-midi au Newport Coffe et il put profiter en toute quiétude du paysage reposant du petit port de plaisance de Stratford. À l’instar de Teresa, qui considérait le Mycroft’s comme son deuxième bureau, le Newport Coffe lui paraissait comme le meilleur endroit pour profiter d’un après-midi : pour ce qu’il en savait, le patron, un certain monsieur VanLangenhove, avait une solide réputation de glacier et de chef pâtissier. Tous ses desserts, de la simple gaufrette jusqu’à la tarte au citron, étaient fait maison ; quant à ses glaces, même Jenna Mackenzie venait se fournir chez lui. C’est dire le sérieux de l’établissement, qui n’aurait pas plus toléré une pâtisserie industrielle dans ses murs que Jenna du surgelé dans sa cuisine !

Le Newport Coffe était donc son habituel point de chute, qu’il partageait notoirement avec son amie Star et plus occasionnellement avec l’oncle Ford ou Teresa ; curieusement, de toute la famille, seule Marcy ne semblait pas avoir de lieu attitré et fréquentait divers bars d’étudiants où elle aimait rencontrer d’autres musiciens amateurs. Pour son malheur, elle traînait Max de temps à autre dans ce genre d’endroits qui résumaient à eux seuls le côté étonnement paradoxal de cette chère Marcy : dans l’immense majorité des cas (il avait établi des statistiques précises. Comme quoi, on s’occupe comme on peut..) Tous ces bars avaient en commun d’être à chaque fois un nouveau synonyme inédit pour le terme "bouge".

Le pompon était jusqu’à présent détenu par le bar L’Estrade dont les devantures avaient dû être bleues en des temps immémoriaux et les tables en plastique couvertes de taches curieuses constituant assurément tout un écosystème varié et apte à fasciner le plus blasé des microbiologistes. Sans compter un serveur lunatique au surnom improbable qui non seulement vous impose le tutoiement forcé, mais aussi une lavasse — pompeusement appelée « bière » dans un moment d’égarement — que même le pire des speakeasies n’aurait pas osé servir du temps de la prohibition ! Quant aux tags, graffitis et autres collages d’affiches de concerts déchirées, ils constituent la majeure partie de la décoration et poseront à n’en point douter aux archéologues des siècles à venir les mêmes défis d’interprétations que ceux de la grotte de Lascaux. Cerise sur le gâteau, les toilettes qui achèvent de donner la touche typiquement squat à ce charmant établissement et dans lesquelles aucun être humain normalement constitué n’envisagerait d’entrer sans une combinaison NBC. Interrogée par Max après un bref passage à L’Estrade, Marcy répondit qu’elle trouvait ce genre d’endroit « rafraîchissant » ce qui prouve bien qu’Oscar Wilde avait raison lorsqu’il disait que les femmes étaient faites pour être aimées, pas pour être comprises !

Max en était là de ses réflexions quand il aperçut enfin la silhouette familière de Star, cette dernière lui fit de grands signes et courut le rejoindre. Avec son feutre Brixton Indiana, un gilet cintré anthracite et une cravate Cashmere bleu foncé sur sa chemise blanche et un pantalon de toile crème assorti, elle ressemblait tout à fait à la petite sœur d’Annie Hall.

— Je sais, je sais, je suis en retard…

— Je n’ai rien dit !

En employée consciencieuse, Lucy revint vers eux pour prendre la commande de Star.

— Salut Lucy ! je prendrais volontiers un café liégeois. Hé, dis-moi, cela n’a pas l’air d’aller ?

— Disons que j’ai un peu de mal avec les anniversaires, soupira longuement l’adolescente.

Max cru bon d’intervenir :

— Tu sais ma grande, fit il en vidant sa tasse de café pour se réchauffer un peu, pour ma part je considère qu’un Anniversaire peut-être également une chose réjouissante. Tiens, quand Teresa et moi avons fêté nos seize ans…

— Je suis fille unique, Max ! Seule, sans frères ni sœurs, pour partager le fardeau de l’existence. Sais-tu que dans ses mémoires, Chateaubriand parle du jour funeste où sa mère lui infligea la vie ? De toute façon, la vie est vanité… Vanité des vanités, tout n’est vanité et poursuite du vent…

De lourds nuages de plomb, annonciateurs d’une éclipse sinistre, s’amoncelaient déjà peu à peu au-dessus de sa tête et Max, conscient qu’il ne pouvait pas plus se mesurer à Chateaubriand qu’aux pages de L’Ecclésiaste — du moins pas l’estomac vide — se borna à commander un second café.

— Mais merci tout de même, tu sais bien que tu resteras toujours mon si cher frère ! fit gentiment Lucy avec son semblant de sourire, réconfortant ce brave Max qui sentit avec soulagement sa météo intérieure passer de Spleen baudelairien à Ciel moyennement couvert. Mais hélas l’éclaircie ne fut que de courte durée lorsqu’elle ajouta doucement : « Même jusqu’au jour où tous nous entreront, non sans violence, dans cette bonne nuit… ».

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