Chapitre VI.2

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Max chercha un instant quoi répondre à cela puis y renonça ; Teresa, passant à présent de l’étoile de mer à la murène, était en train d’attaquer le haut du col de son t-shirt, signe qu’elle était sensiblement très déprimée. De fait il râlait toujours un peu, mais surtout pour la forme, en fait dormir avec sa jumelle ne posait de problème ni à l’un ni à l’autre, c’était plutôt le sommeil quelque peu agité de cette dernière qui compliquait les choses. Et ce soir, pour ne rien arranger, l’épisode de la librairie lui avait vraiment tapé sur le système, et lorsqu’elle avait le cafard elle se comportait souvent comme un furet en mal d’affection. Mais Max ne lui jetait pas la pierre : de son côté, lorsqu’il avait le cafard, les cauchemars s’invitaient joyeusement dans sa petite tête tout comme dans celle de Teresa, et à bien y réfléchir il n’en sortait pas bien glorieux non plus.

Un très long moment après, Marcy était aux anges : pour une fois une de ses chansons, texte et musique, avait enflammé la salle et après un rappel, puis un second, son groupe regagna les coulisses au paroxysme de l’excitation. Elle avait démarré très fort, avec une version un peu personnelle de Born in the USA qui convenait parfaitement à sa belle voix grave, atteignant presque la puissance et l’harmonie vocale de Bruce Springsteen et à la fin c’est sa musique qu’on acclamait. Après tout, « The Boss » n’avait-il pas commencé ainsi, malgré la réprobation paternelle ? Deviendrait-elle sa fille spirituelle, délivrant musique et messages ? À présent, seule sur scène, elle entonna à pleine voix I Love Rock’n Roll puis terminant sur le climaxique Show Must Go On de Queen, sauta en un élan vertigineux, lançant sa guitare vers la foule en délire !

Malheureusement la Stratocaster Custom n’atteignit jamais ses adorateurs, mais chuta en direction du pied droit de Marcy qui avait heurté l’instrument dans son sommeil, fort profond bien que lui aussi un peu agité. La guitare ainsi que les divers autres objets contondants qu’elle avait entrainés dans se chute, atteignirent les orteils de la rêveuse avec une vélocité terminale suffisante pour la réveiller en sursaut, la faire chuter à bas du lit et pousser quelques jurons bien sentis en massant ses extrémités douloureuses.

Un rapide coup d’œil à sa montre lui fit réaliser qu’il était dix heures passées et qu’en toute bonne logique elle avait loupé successivement : son indispensable douche matinale, son non moins indispensable petit déjeuner (café, pancakes, œuf sur le plat avec bacon, etc.) et la dernière chance d’arriver à l’heure pour son travail chez M. Wordsmith, ce qui entrainait immanquablement non seulement une perte financière sèche, mais aussi une mauvaise entorse à sa légendaire ponctualité, ce qui était nettement plus grave ! Furieuse, Marcy s’habilla sommairement, jaillit de sa chambre, passa devant la porte de Teresa et pour s’engouffrer dans celle de Max : celui-ci dormait à poings fermés et servait plus ou moins de matelas à sa jumelle, qui comme souvent, était mollement allongée sur ce dernier. Marcy secoua vigoureusement sa cadette, mais cette dernière marmonna pâteusement pour lui demander s’ils étaient bien arrivés en gare d’Istanbul et auquel cas quand est-ce que les bagagistes se décideraient à récupérer ses malles et son carton à chapeaux ? Quant à Max, plus prompt à se réveiller, il fixa Marcy avec la même expression hébétée qu’un lapin pris dans les phares d’une voiture.

— S’qu’y s’passe ? bredouilla Teresa qui commençait à réaliser qu’elle n’occupait pas un wagon-lit de l’Orient Express mais plus modestement la chambre de son frère.

— Il se passe qu’il est dix heures passées ! Gronda Marcy, la matinée est fichue, M. Wordsmith ne me paiera pas et je vais lui devoir trois heures de travail de plus ! Tu devais me réveiller à sept heures fichue marmotte !

— Hé, c’est Max qui devait te réveiller !

— Attends un peu, fit l’intéressé, je n’y suis pour rien, ce n’est pas de ma faute si Sherlock est incapable de penser à régler son réveil !

— Tu sais très bien que j’ai le sommeil profond.

— Silence les deux comiques ! hurla Marcy, vous êtes aussi irrécupérables l’un que l’autre ! Habillez-vous en vitesse et..

— Une minute, Punzie, je te garantis que ce n’est pas moi qui devais sonner le réveil !

— Un ne m’appelle pas Punzie et deux, Max, si ce n’est pas toi alors qui est-ce qui est responsable ?

La discussion commençait nettement à tourner au vinaigre et Teresa entama une prudente manœuvre de repli tout en se munissant d’un oreiller en guise de bouclier, quand soudainement le trio prit conscience d’un bruit sourd et légèrement inquiétant, comme les prémices d’un orage, qui provenait incontestablement de la chambre de Teresa.

Star ! Sa présence leur revint brutalement en mémoire et se transforma instantanément en un paratonnerre sur lequel Marcy comptait bien abattre à présent sa colère.

Les jumeaux et Marcy se ruèrent vers la chambre pour découvrir la fautive, allongée sur le ventre dans une position assez improbable, l’arrière-train curieusement relevé, les bras ballants et tout juste revêtue de la couette de Teresa qui dissimulait à peine son joli postérieur. De cette charmante, délicate et gracieuse jeune fille blonde encore profondément endormie provenait un très doux ronflement, un menu soupir à peine plus discret que celui d’une turbine d’avion Rolls-Royce à plein régime. Toujours est-il que la petite lueur bleue électrique dans les yeux de Marcy fit craindre un instant à son frère qu’elle ne se livre à quelque chose de grave et définitif sur la personne de la belle endormie. Mais à son grand soulagement, elle se contenta de se diriger d’un pas décidé vers la petite commode à l’opposé du lit où reposait Star.

Teresa, toujours charitable, en profita pour prendre quelques photos à la dérobée de la future victime avec son téléphone. Max, qui se rendit compte que Marcy venait d’allumer la chaîne stéréo et allait régler le volume au maximum, se boucha préventivement les oreilles. Teresa quant à elle afficha le même sourire joyeux que celui des spectateurs romains au moment d’un lâcher de lions sur les premiers chrétiens. Un bruit épouvantable, brutal et discordant envahit la pièce : par un hasard curieux ou malencontreux, la station de radio diffusait un extrait du festival interceltique du moment et les mugissements de bombarde et cornemuses d’un quelconque bagad firent battre à Star ce jour-là le double record de saut en hauteur sans élan et de vitesse de réveil.

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