Chapitre V.2

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Max pressa le pas, tout le monde avait déjeuné tard et les courses lui avaient pris plus de temps que prévu, se mettre aux fourneaux rapidement devenait impératif. Lorsqu’il fut enfin rentré, passant devant le salon pour rejoindre la cuisine, il constata que Teresa était installée dans le canapé la tête en bas, un carnet à la main, dans une position bizarre qui évoquait selon la disposition d’esprit de l’observateur, quelque déesse d’un bas-relief antique ou bien une belette morte.

Avant même qu’il n’ait pu poser la moindre question, elle déclara :

— Je change ma façon de voir le monde, dixit le dénommé Grigorian, c’est indispensable. Alors je tente le coup, mais pour le moment je ne récolte qu’un mal de crâne !

— Alors, j’ai peut-être ce qu’il te faut !

Le nez de Teresa se mit brusquement à frémir et palpiter, comme celui d’un vegan devant une botte de carottes estampillées commerce équitable.

— Ferais-tu par hasard allusion aux beignets à la confiture qui sont dans ton panier ?

— Tout juste Sherlock, fit Max en sortant à son intention une des pâtisseries si convoitées, mais tu connais la règle !

— Je ne mettrais pas le nez dans la cuisine tant que tu y officieras et je suis même prête à faire rempart de ma valeureuse personne si jamais Marcy tentait de s’en mêler !

Soucieux de récompenser un accès si soudain de bonne volonté, Max lui lança prestement un beignet qu’elle rattrapa au vol avec une agilité des plus surprenante, étant donné sa position sur le sofa. Perfectionniste, il passa près de deux heures en cuisine à préparer les choses au mieux, prenant de temps à autre le soin de ravitailler Teresa en beignets afin d’être sûr de pouvoir travailler tranquillement. Son labeur terminé, il ne restait plus qu’au plat principal à mijoter les trois heures requises au minimum. Max rejoignit sa jumelle avec deux tasses de café fumant pour leur plus grand plaisir à tous les deux, notamment Teresa qui avait justement besoin de quoi faire passer son dernier beignet.

Marcy rentra peu après et l’exercice semblait lui avoir fait le plus grand bien au vu de sa mine réjouie, de ses belles joues rouges comme des pommes et du fait qu’en un éclair elle fit main basse sur les trois derniers beignets avant de filer se changer. Pour une fois, fait particulièrement surprenant, Star arriva à l’heure. Vêtue d’une jupe tunique turquoise, d’une large ceinture et de ballerines assorties ainsi que d’un assez curieux chapeau de paille à larges bords, mais qui ne surpris personne, Star ayant toujours eu un goût assez singulier en matière de couvre-chefs. Elle salua tout un chacun d’un affectueux baiser sur la joue avant de s’asseoir sur le sofa tandis que Marcy apportait des rafraîchissements.

Devant sa mine un peu triste, Max se hasarda à lui demander « Comment cela allait ? »

— Oh tu sais, mon vieux, je pense que cela ne colle plus très bien entre Linsey et moi ! Elle est gentille, mais je dois reconnaître que parfois, elle…

— Te tape un peu sur les nerfs ? glissa Teresa à qui pourtant personne n’avait rien demandé.

— C’est un peu ça, je constate chaque jour un peu plus nous n’avons guère de centre d’intérêt en commun elle et moi, bien qu’elle ait au demeurant de si merveilleuses aptitudes pour…

— je crois que tu as surtout besoin de te changer les idées, coupa Max avant que Star ne se lance dans quelques descriptions par trop intimes.

— C’est vrai ! Au fond je sens bien qu’avec Linsey, ce n’est sans doute qu’une passade, soupira-t-elle en buvant une gorgée de porto blanc, une de plus…

Marcy donna à la pauvre Star une affectueuse tape sur l’épaule, ce qui lui redonna un peu le sourire, mais elle s’aplatit néanmoins suffisamment pour que son menton vienne toucher la table basse :

— Ah !, mon pauvre Max, je me sens vraiment comme une pauvre, pauvre chose emplumée… Finit-elle de soupirer, ses beaux yeux verts subrepticement levés en direction de Marcy.

— Ce n’est peut-être pas un mauvais signe ! Après tout, c’est ce que disait Emily Dickinson de l’espérance !

— Je sais bien, vieux frère, c’était pour faire une figure de style…

Teresa, qui trouvait tout cela un peu lassant et de surcroît commençait à avoir faim, suggéra de passer à table.

Le repas fut une véritable réussite et Max se félicita d’avoir prévu une large quantité, car le visible chagrin d’amour de Star avait eu pour effet d’aiguiser son appétit, déjà plutôt conséquent d’ordinaire. La copieuse tarte aux fruits terminée, nos quatre convives se mirent à discuter projets de vacances en prenant le café. Max eut l’idée, très appréciée, de sortir une bouteille de cognac sec XO, cadeau de Jackie. Ce dernier, combiné à l’excellente bouteille de bordeaux apportée par Star, donna rapidement à la conversation un tour quelque peu fantaisiste :

— Ce qu’il nous faut avant tout, déclara Max, c’est du calme ! Tous autant que nous sommes, nos nerfs sont en mauvais état : Marcy est débordé par le classement de Monsieur Wordsmith.

— Sans compter cette chère miss Salisbury, ajouta Teresa en faisant tourner le fond de son verre de vin avant de le boire.

— Tout juste, et le dénommé HiggelBottom qui en a régulièrement après moi, et dois-je prendre en compte ton aventure à la librairie ?

— Encore des soucis avec ton ardoise chez Georges ? S’enquit Star.

— n’en parlons plus ! Max à raison ! Et un changement d’air s’impose.

— Que diriez-vous d’un petit séjour en Irlande, l’air y est excellent et aurait vite fait de tous nous retaper, j’ai beaucoup de famille là-bas, oncles, tantes, cousins ! Tenez mon oncle John McNulty, il est toujours en pleine forme, même après deux mariages !

Marcy, qui tenait les cordons de la bourse familiale, remercia Star pour sa suggestion, mais expliqua qu’entre le voyage, les bagages la nourriture et l’hébergement le budget mensuel était dépassé, d’autant plus que la chaudière avait le mauvais goût de rendre l’âme juste au moment ou ledit budget s’équilibrait. Certes, beaucoup de voyages sont à des prix défiants toute concurrence, mais dans des conditions qui sont généralement incompatibles avec la notion de calme et décontraction que Max et elle-même se faisaient en matière de vacances.

— L’économie de masse pour le tourisme est une belle chose, ajouta-t-elle, mais quand on vous propose un voyage à trente euros, on n’en a exactement que pour trente euros !

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