Chapitre III.2

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Cet argumentaire dithyrambique enfla au fur et à mesure de la discussion et l’infortunée Marcy endura, stoïque, la tempête Salisbury. Un instant, elle eut la très fugace tentation d’empoigner la véhémente vieille fille par le col pour la suspendre d’une seule main au portemanteau de l’entrée avant de claquer la porte, mais notre héroïne, fondamentalement pacifique, demeura fidèle à son code de conduite personnel qui lui interdisait entre autres de brutaliser d’honnêtes et dévouées secrétaires, aussi acerbes fussent-elles ! Fort heureusement leur employeur, tout aussi soucieux d’équité que d’une tranquillité personnelle déjà largement entamée par ce chahut, trancha la discussion avec courtoisie et efficacité : Il rassura Miss Salisbury, promettant sur l’honneur, avec son tact coutumier que tout rentrerait dans l’ordre ce week-end et lui suggérant au passage qu’une visite chez sa sœur cadette, une certaine Miss Eleanor Dempsey, secrétaire de son état chez un avocat d’affaires monégasque, lui ferait le plus grand bien ! Quelques tasses de thé plus tard, une Miss Salisbury enfin apaisée quitta les lieux, se réjouissant d’une future discussion passionnante sur les arcanes du secrétariat avec sa cadette ; elle souhaita également une bonne fin de semaine à Marcy, et ce sans sarcasme aucun : c’eût été un manque de fair-play intolérable ! Le calme retrouvé, Marcy eu aussi droit à une tasse de thé, mais, dura lex sed lex, Monsieur Wordsmith l’assigna avec son aimable et quelque peu paternaliste fermeté à un dimanche sans solde entièrement dédié à repérer et corriger l’erreur funeste.

Teresa fit descendre un imposant morceau de brioche à l’aide d’une large gorgée de café et se tourna vers Max :

— Tu ne nous as pas dit ce qui s’était passé avec ce cher Monsieur HiggelBottom ?

— Pas plus que tu n’as expliqué tes déboires chez le libraire !

Marcy croqua dans sa saucisse, but une gorgée de jus de fruits puis se décida à arbitrer la discussion:

— À toi de commencer Max, au vu de la tête que tu faisais hier soir, ça n’a pas dû être facile pour toi.

Teresa, vaguement vexée de ne pas être sur la sellette, se renfrogna quelque peu tout en se réjouissant par avance de l’histoire.

— Hé bien, cela a commencé avant-hier, en début d’après-midi ! répondit-il en vidant sa tasse pour se donner du courage.

Max et une de ses collègues, plus expérimentée mais moins à l’aise avec l’informatique, travaillaient de concert sur le bouclage mensuel des positions de travail : en gros il s’agissait de faire correspondre le fichier local qui répertoriait l’ensemble du personnel du siège local des impôts ou il travaillait avec celui mensuellement émis par la direction générale, avant de le faire valider par le DRH. Bien évidemment — sinon cela n’aurait pas été passionnant et suffisamment simple —, les données ne concordaient jamais ; c’est là que Max et sa collègue intervenaient et apportaient les rectifications nécessaires. Dis comme cela l’opération paraît facile — on appelle ça un reporting en jargon des ressources humaines — mais dans les faits, c’est un casse-tête, car il faut inspecter les positions de travail service par service et… bref, sans vous assommer de détails, c’est long, compliqué et enquiquinant au possible.

Florence, ladite collègue, n’était vraiment pas en forme et Max eut beaucoup de peine à se dépatouiller avec un fichier particulièrement récalcitrant ce jour-là. Le fichier en question devant — bien évidemment — partir impérativement avant la fermeture du service ; ce cafouillage inquiéta le vénérable M. HiggelBottom, leur supérieur, qui demanda courtoisement, mais fermement une explication en règle. Max, pris de cours, bafouilla quelque peu et l’aimable Florence évoqua une indisposition, conséquence d’une maladie particulièrement grave contractée dans son enfance et qui refaisait surface de temps à autre, et ce aux plus mauvais moments bien entendu. Peu enclin en ce moment à la compassion, le chef de service déclara que lui aussi avait été fort souffrant dans son enfance, mais qu’il n’en faisait pas toute une affaire. Pris d’un accès d’audace comme en ont parfois les timides notre Max, dans un élan de solidarité et jouant maladroitement les Don Quichotte, laissa échapper un : « hum, c’est vrai qu’il y a de ces maladies dont on reste idiot si l’on n’en meurt pas » suffisamment haut pour que l’intéressé l’entende. Seulement, lorsque l’on est stagiaire au service du personnel d’une grande administration, endosser le rôle du chevalier à la Triste Figure, même pour le panache, ce n’est pas sans risque ! Surtout si le moulin à vent que vous chargez n’est autre qu’un Monsieur HiggelBottom, homme d’expérience, habitué à gérer du personnel, particulièrement à cheval sur la hiérarchie et donc fort peu enclin à encaisser une pique de la part d’un blanc-bec du calibre de Maxwell Green sans réagir. Or, curieusement, il n’y eut pas de réaction…

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