Chapitre II.4

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Donc pas de quoi pavoiser, sans compter les bars où Marcy le traînait parfois et qui semblaient sortir directement des ports mal famés de Moby Dick. Non la réalité c’était enquiquinant, sordide, mais malheureusement le seul endroit où l’on puisse boire un bon café. Que voulez-vous faire avec ça ? Son volcan intérieur ne s’apaisait guère, il commençait même à fulminer de plus en plus, ce qui l’amena rapidement aux conclusions suivantes :

1/Boire six expressos dans l’après-midi n’était vraiment pas l’idée du siècle !

2/ Trouver un exutoire, de préférence inoffensif et sans défense, se faisait pressant.

Première candidate : Teresa, qui bouquinait dans un coin du salon, et constituait donc une magnifique cible pour un lancer à courte portée avec une pantoufle ou un coussin de la lourdeur appropriée. Max s’amusa un instant à estimer l’angle de tir optimal pour que le projectile fasse sauter son livre de ses mains avec un bonus si par chance elle tombait également au sol sous le coup de la surprise et de préférence sur le derrière. Seulement la riposte risquait d’être violente et disproportionnée : elle pouvait prendre en otage sa bibliothèque, changer le mot de passe de son ordinateur, se venger d’une manière inédite et créative sur ses carnets de croquis ou encore le forcer à écouter quelque prose de son cru, spécialement choisie dans ses œuvres de prime jeunesse pour leur abyssale médiocrité. Il n’osait même pas penser à aux désastreux poèmes gothiques qu’elle écrivait dans son enfance. Le mieux qu’elle ait à ce jour trouvé en matière de représailles fut de l’immobiliser par surprise sur le canapé et une fois le pauvre garçon entièrement à sa merci, de s’allonger pesamment et voluptueusement sur lui et, enfin, lire d’une voix lente et monocorde les premiers chapitres de Finnegans Wake.

Quiconque a mis le nez dans ce bouquin sait qu’à moins de se munir d’une bonne dose de patience, de café ou de quoi que ce soit qui vous stimule l’intellect et d’avoir sous la main suffisamment de références littéraires et culturelles pour tenter de suivre les détours labyrinthiques de l’inépuisable érudition de Joyce, c’est fichu d’avance ! Tout au plus peut-on en apprécier les effets de consonances poétiques et les énumérations proprement vertigineuses. Mais en général et à moins d’être un fin connaisseur, trois questions vous assaillent rapidement l’esprit, y compris ce qu’en possède le brave Max :

1/qu’est-ce que fichu galimatias veut dire ?

2/ Joyce ne forçait-il pas un peu trop sur le proverbial whisky irlandais ? C’est évidemment une hypothèse des plus simpliste, mais à considérer

3/Comment a-t-il pu fourguer un truc pareil à un quelconque éditeur ? Éternelle question sans réponse pour Teresa.

En résumé et si vous n’êtes pas prêt à jouer les Champollion de la littérature avec, disons Dedalus et une bonne biographie du génial Dublinois en guise de pierre de Rosette, vous aurez du mal à vous en sortir. Et gardez à l’esprit que ledit Champollion après son exploit sur les hiéroglyphes mit plusieurs jours à s’en remettre si l’on en croit son frère ainé et mentor. Prévoyez donc du paracétamol !

Teresa, qui avait un beau jour décidé de se plonger dans la pensée Joycienne avec le sérieux qu’on lui connaît, savait donc mieux que personne utiliser ce texte majeur, sinon comme œuvre aux interprétations ouvertes, polysémiques et au niveau de lecture multiples, du moins beaucoup plus prosaïquement comme un instrument de torture original sur son jumeau. Au paroxysme de la cruauté, elle pouvait même lui en lire la version originale, le tout avec une expression de délectation perverse que n’aurait pas reniée la Juliette de Sade. Quant à Max, vaincu, il préférait rendre grâce au bout d’un quart d’heure de lecture forcée — son record absolu — suppliait de tout cœur que sa sœur l’assomme directement et pour le compte avec le bouquin (923 pages, édition folio).

La cible Teresa étant désormais abandonnée, il se reporta sur Marcy qui venait d’entrer dans le salon, un magazine quelconque à la main. Lorsqu’elle se tourna vers lui, il tenta de se composer une mine — sinon menaçante du moins courroucé — et bien à même d’exprimer son évident bouillonnement interne. Peine perdue, sa sœur lui retourna comme souvent un doux et aimable sourire. De toute façon, c’était une très, très mauvaise idée : Même si dans un noble élan sacrificiel, Marcy s’était livrée désarmée et sans défense aucune à toute la fureur homicide qui habitait son frère à cet instant, ce dernier n’aurait guère réussi qu’à la décoiffer. Sans compter qu’une fois l’orage passé, elle aurait saisi son cadet sous le bras comme un vulgaire ballot de linge sale avant de le fourrer sans ménagement sous la douche pour l’arroser copieusement d’eau glacée, méthode qu’elle jugeait infaillible pour lui rappeler le minimum de respect qu’un jeune homme bien élevé est censé devoir à sa sœur ainée !

Encore adolescent, cela lui était parfois arrivé notamment lorsqu’un jour, pris d’une flambée d’autorité virile aussi subite qu’inattendue au sujet d’une peccadille, Max lui déclara vivement « Je ne me laisserai plus jamais faire par personne, toi y compris, grande saucisse ! » Marcy tenta comme toujours la conciliation ce que son frère prit à cet instant, et à tort, pour une faiblesse. Il eut alors un mot de trop, en l’espèce fort peu correcte — et soit dit en passant — particulièrement déplacée envers Marcy.

Ladite « Grande Saucisse » laissa alors tout juste à l’infortuné Max le temps de comprendre qu’il avait franchi le Rubicon fraternel avant de fondre sur lui avec une détermination brutale qui eut tôt fait de le ramener à une plus juste appréciation de la réalité, ce qui provoqua le rire hystérique de Teresa ! Bonne joueuse, la compatissante jumelle aida le malheureux à se réchauffer, avant de lui fournir vêtements secs et café brûlant. Peu après, revenus l’un comme l’autre à de plus nobles sentiments, Max et Marcy se donnèrent une longue et chaleureuse accolade sous l’œil attendri d’une Teresa persuadée d’avoir joué un rôle décisif dans cette affaire et fière de ses qualités de médiatrice.

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