Chapitre II.3

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Mais même le très reposant plaisir de cet Informal Tea, qui réunissait régulièrement Max et ses sœurs, n’éloignait que temporairement les tracas quotidiens : après ses soucis avec M. HiggelBottom et les déboires de Marcy, sans compter ce que leur réservait Teresa avec le libraire, c’était maintenant les factures et autres paperasses. Max détestait la paperasse, mais son travail de stagiaire au siège local de la direction des impôts contribuait à en produire des quantités phénoménales et, à bien y réfléchir, il en était venu à la conclusion que la paperasse et le café étaient de loin les combustibles et les comburants les plus indispensables à toute administration, loin devant les rallonges budgétaires ou les salaires de la fonction publique.

Mais, après un certain nombre de coups de téléphone d’importuns très désireux de lui faire profiter d’offres fabuleuses et indispensables ayant toutes comme finalité de creuser son découvert bancaire, en ce début de soirée Max commençait presque à avoir envie de mordre. Il avait vainement tenté de chercher un peu de réconfort dans ses lectures habituelles, las : d’ordinaire passionnant, Umberto Eco lui paraissait hermétique, Borges prétentieux et D’Ormesson trop verbeux. Cherchant des choses plus reposantes il ouvrit un policier, puis un bouquin de SF que Teresa avait laissé trainer, mais il trouva Agatha Christie trop artificielle et Simenon libidineux quant à Philip K Dick, il vous rendait illico paranoïaque. La poésie n’eut pas plus de chance, Eliot était déprimant, Rimbaud délirant et Shelley tire-larmes ; il avait aussi commencé un bouquin de Musso, mais pour une raison qu’il n’arrivait pas à s’expliquer le début pourtant prometteur de l’histoire le laissait à présent tout à fait froid…

Il se rabattit sur Woody Allen, son auteur préféré en cas de déprime, pour découvrir qu’il lui fichait de monstrueux complexes dès que lui, Maxwell Green, essayait de se montrer drôle. Seul le fait qu’il fichait encore plus de complexes à Teresa le réconfortait un peu. Dépité, il se mit à son carnet de croquis pour changer un peu, mais rien ne venait non plus : un portait sur lequel il travaillait depuis un moment devint en quelque coup de crayon un tel ramassis de traits incongrus qui, s’ils avaient pris naissance sous le geste expert de Picasso lui aurait assuré gîte et couvert pour le restant de ses jours, mais en l’espèce et signés Max Green, le croquis sombrait directement dans le ridicule avant de sombrer pour de bon dans la corbeille à papier.

Puis il tenta un autre essai de portrait : s’inspirant d’une amusante photo de Teresa, prise un matin à l’improviste alors qu’elle paressait sur le canapé, courte vêtue et coiffée d’énormes couettes dans une pose de gamine délicieusement régressive. Mais ses efforts pour imiter le style de Dean Yeagle, l’un des dessinateurs qu’il admirait, tournèrent court et au vu du résultat le papier rejoignit directement son prédécesseur dans la poubelle. Après quelques cafés et toujours fulminant, il alluma la télévision qui ce soir proposait une émission littéraire. D’ordinaire, c’était passionnant et Teresa et lui les appréciaient beaucoup, mais ce coup-ci tous les invités, scientifiques et romanciers pleins d’esprit et gorgés de culture, lui tapèrent rapidement sur le système étant donné ce constat aussi amer que sans appel : Tous ces gens distillaient plus d’intelligence, de culture et de finesse en une heure que lui en toute une vie ! Certes, Max n’avait que vingt et un ans, mais à cet âge-là, Dylan Thomas avait bouclé son œuvre majeure et Rimbaud tout laissé tomber après avoir fracassé la voûte poétique ; ils avaient par contre tous deux fini comme des éponges, terrassés par les charmes vénéneux de la dive bouteille en dépit de tout leur génie, ce qui était somme toute une maigre consolation.

Un des invités, brillant botaniste, déclara qu’il ne lisait pas de romans, car il considérait la réalité bien plus riche ! la réalité, ça, Max n’en était pas friand : Il suffisait de passer un petit moment dans un bureau de Poste, d’offre d’emploi ou simplement de prendre les transports en commun pour contempler bon nombre de spécimens humains bien réels qui, à ses yeux, oscillaient généralement entre La Nuit des Morts vivants et l’Opéra de Quat’ sous.

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