Ce petit tour de Stratford ne serait pas néanmoins pas complet sans évoquer deux autres figures locales : les sœurs Jackie et Jenna Mackenzie, vingt-trois et dix-neuf ans, respectivement gérante et chef cuisinier du Pub Mycroft’s. L’ainée portait ses cheveux blonds coupés au carré avec une mèche pourpre, et son fort joli physique rappelait un petit peu celui de Marcy. Celui de la cadette évoquait plutôt le style de Teresa, mais avec des cheveux plus courts, mieux coiffés et en nettement moins débraillés, sans compter qu’au contraire de cette dernière, Jenna portait toujours de solides et confortables bottines.

Le Mycroft’s était la propriété de son grand-père et Jackie l’administrait avec un professionnalisme et une rigueur impressionnante ; quant à Jenna elle officiait en cuisine. Comme son nom vous l’aura peut-être suggéré, le Mycroft’s avait un côté « Gentlemen’s Club » à priori un peu désuet, mais fort propice au calme et à la réflexion. Sa clientèle d’habitués en appréciait les moelleux fauteuils Chesterfield, le mobilier cossu et l’ambiance feutrée. En poste derrière son long comptoir d’acajou et toujours vêtue d’une impeccable chemise à fines rayures avec des boutons de manchette et un gilet prune avec cravate ou nœud papillon assorti et la taille cintrée par un élégant pantalon noir, Jackie régnait sur ce petit univers où tout était, à l’image du poème de Baudelaire et selon sa volonté, calme, luxe et volupté !

La cave du Mycroft’s recelait d’excellents whiskies, notamment issus de la distillerie familiale, mais aussi vins fins, spiritueux et un cognac de premier ordre. Côté cuisine, et en dépit de son jeune âge, Jenna est un excellente chef, au caractère aussi intransigeant que bien trempé : les extra, parfois employés en cas de besoin, la redoutaient même s’ils étaient souvent plus âgés ou costauds qu’elle. En matière de cuisine, art qu’elle tenait en le plus haut respect, elle ne laissait rien passer.

La carte, renouvelée selon la saison, proposait régulièrement en plus des produits locaux de succulents plats traditionnels, bien que l’on ne sache jamais vraiment de quelles régions ou pays ils étaient représentatifs (il n’était pas exclu que Jenna elle-même ait des doutes là-dessus, mais personne n’eut assez de cran pour obtenir des éclaircissements) pour sa part, Jackie était plus modestement passée maître dans la confection des club-sandwichs, autre fierté du Mycroft’s

Au-dessus du comptoir, une imposante gravure à l’eau-forte des Chutes du Reichenbach et une plus petite illustrant « Le Dernier Problème » finissait de donner ce délicieux côté Old Fashioned à l’établissement. Teresa en avait fait son quartier général, non seulement pour la nourriture ou le cognac sec, mais aussi parce qu’on y trouvait une des plus belles éditions complètes des œuvres de Conan Doyle et que tout le monde se fichait bien qu’elle se balade toujours pieds nus. De plus, Jackie étant une ex-petite amie de Star, cela avait facilité le rapprochement.

Pour la petite histoire les sœurs Mackenzie, à ce que l’on disait, comptaient dans leur généalogie et par une lointaine branche, le très fameux William Wallace, noble Gardien du royaume d’Écosse s’il en est ! Et, même si cela reste à prouver, cela pourrait expliquer le caractère souvent belliqueux de Jenna. Coïncidence peut-être, le Mycroft’s était également le seul endroit à des kilomètres à la ronde ou l’on pouvait régulièrement manger du haggis. Cette histoire reste à vérifier ; mais après tout Star déclarait bien, à qui voulait l’entendre, compter parmi ses aïeux un certain Gordon de Baskerville lui-même issu, toujours selon ses dires, d’un amour de jeunesse de Lord Byron...

Voici donc, et en résumé, l’entourage de notre ami Max Green. Il ne vous aura pas échappé qu’à l’exception notable de son Oncle Ford, il en est le seul représentant de la gent masculine. Mais ne vous en faites pas trop pour lui — si toutefois son histoire et celle de toute cette petite troupe commencent à vous inspirer tant soit peu d’intérêt — même si ses rapports avec les Mackenzie sont plus épisodiques, il se sent parfaitement à l’aise au milieu de ce gynécée. Sans compter que Star et Lucy, étant toutes deux filles uniques, en firent l’une comme l’autre rapidement et très spontanément un frère d’élection, rôle qui au demeurant lui convient parfaitement et qu’il ne songerait pour rien au monde à quitter.