Chapitre I.4

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Ford MacCommara l’oncle maternel de Max et patriarche de la famille, dont nous reparlerons un peu plus tard, ne cesse de vouloir la caser avec son cher neveu dont l’absence notable de vie sentimentale l’inquiète beaucoup. Ceci dit, le brave Oncle Ford semble être le seul dans l’entourage de ses neveux et nièces à ne pas s’être aperçu que les inclinations amoureuses de la jolie blonde ne concernent que la gent féminine. Teresa, qui se veut toujours pleine d’esprit à défaut de finesse, ne manque que rarement de dire qu’elle est toujours « gay comme un pinson » ce qui dans ses propos n’est nullement péjoratif ou malveillant, mais seulement un très mauvais jeu de mots.

La petite Lucy Emily Bloom est un autre spécimen assez intéressant de ce groupe disparate : aussi lunaire que Star peut être solaire, cette collégienne d’à peine quatorze ans semble un tantinet gothique. Vêtue immanquablement d’un pull chauve-souris noir, de leggings rayés noir et blanc sous des loose-socks de même facture et de mocassins noirs, les yeux perpétuellement cachés par ses épaisses mèches ailes de corbeaux et « Duchesse des Ténèbres » autoproclamée selon Teresa. Aussi épaisse qu’un moineau, il n’en demeure pas moins qu’aux yeux des gens impressionnables, les lourds et sombres mânes de Poe et Lovecraft semblent sinistrement planer au-dessus de cette moderne Lénore, prêtes à fondre sur vous pour vous arracher cœur et âme sur un simple mot de sa part.

Un détail singulier la rend légèrement plus glaçante que la moyenne : ses yeux ! Bien que presque toujours cachés par ses franges, ils brillent d’éclats et de couleurs parfois très différentes, surtout lorsque vient le crépuscule. Notre brave Teresa y voit une incontestable manifestation surnaturelle et en joue de manière particulièrement théâtrale tandis que les personnes mieux trempées se contentent de la trouver bizarre et prennent un air dégagé. Pour sa part, Max penche plutôt pour un cas aussi rare que remarquable d’hétérochromie. À tort, sans doute ! si l’on en croit Teresa, mais nous verrons par la suite que les jugements de Teresa envers la petite Lucy ne sont guère objectifs. Faute de mieux et dans le doute, Teresa l’a gentiment affublée du surnom de Finsternis — ce qu’au passage Lucy a pris comme un compliment — surnom repris largement par Star et Max.

En attendant — et à défaut d’âmes à consumer —, Lucy arrondit régulièrement son argent de poche par un travail de serveuse au Newport Coffee, un des meilleurs cafés-glacier situés sur le port de Stratford. Ce pécule est en général englouti rapidement dans l’acquisition de recueils de poésie, nouvelles, livres ésotériques et romans gothiques : mais pas n’importe quoi s’il vous plait : Trakl, Eliot, Yeats, Rilke, Dylan Thomas et pas mal d’autres peuplaient ses étagères, suivis des bouquins d’Helena Blavatsky, Maître Eckhart ou Castanéda… et un soupçon de D. H. Lawrence par-dessus (coquine, va !).

Ses coups d’éclat furent un exemplaire superbement illustré des Rubayat d’Omar Khayam (et dans la traduction d’Edward Fitzgerald en plus) déniché à un prix ridicule et une bonne traduction du Rameau d’Or de Frazer. Lucy, qui écrivait régulièrement, était productive, méthodique et avait un talent qui rendait Teresa, s’efforçant de son côté d’écrire « le grand roman que tout le monde attend », morte de jalousie. À ce propos, les deux jeunes filles avaient en commun de faire à la fois la joie et la terreur de tous les bouquinistes de la région !

Un beau jour de juillet, elles cherchaient de la documentation pour un projet de roman ésotérique et manquèrent de s’écharper autour d’un exemplaire potable de Dogme et Rituels de la Haute Magie (par Eliphas Levi, édition 1856 reliée plein cuir et pas vraiment évident à trouver) et si Max n’avait pas promis un armistice autour d’une triple part de tarte aux pommes avec glace vanille et noix de macadamia, leur péché mignon à tous les trois, dieu sait si les choses auraient pu mal tourner.

Mais il ne se faisait pas d’illusions : si par extraordinaire la petite Lucy était tombée, disons, sur un des exemplaires des Clavicules de Salomon (ce recueil de magie ésotérique, généralement attribué au roi du même nom, est quasiment introuvable sinon au prix d’une joli petite voiture de sport) même les forces combinées du Raid et de l’Antigang n’auraient pas pu lui faire lâcher le morceau !

Ces petits défauts mis à part et en dépit des sinistres ombres évoquées plus haut, Lucy reste une bonne camarade doublée d’une amie sincère pour Max. Une de ses activités en dehors des livres reste un goût certain pour la pâtisserie, mais, allez savoir pourquoi, sa proposition d’ajouter à la carte du Newport Coffee une série de desserts inspirés des œuvres de H.R.Giger ne fut que très moyennement appréciée !

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