Chapitre I.2

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Certes, aucun des trois n’a encore résolu une affaire de meurtre ou de vol tarabiscotée au contraire de cette bonne tante Jane, si l’on excepte qu’à l’âge de treize ans Teresa ait apparemment résolu une ténébreuse affaire de disparition de beignet à la confiture — digne d’Agatha Christie selon notre détective en herbe — mais nos trois héros méritent tout de même que l’on s’intéresse un peu à eux:

En parlant de Teresa, laissons-la donc nous expliquer — parce ce que vous vous posez sans nul doute la question — pourquoi ce petit coin de la french Riviera s’appelle Stratford :

— En vérité, cher public, c’est très simple, il y environ un peu plus d’un siècle — hum, je dirais vers 1816 si je relis bien mes notes — un universitaire originaire de Nice et agrégé en lettres, enfin si l’on en croit le bonhomme en question, s’était déjà mis en tête de démontrer que Shakespeare n’est pas l’auteur de ses pièces : ce n’est pas vraiment très original, mais cette sorte de serpent de mer ressort régulièrement chez certains universitaires qui espèrent sans doute par-là trouver une certaine gloire ; un petit peu comme la démonstration du théorème de Fermat a été passé un temps une sorte de Graal pour les mathématiciens ! Bref, si notre universitaire n’a pas pu pour tout un tas de raisons — qui au fond n’intéressent pas grand monde, croyez-moi — prouver l’authenticité ou non des pièces de Shakespeare, il a tout de même mis la main sur des documents intéressants…

(ici nous devons prendre une courte pause, le temps que Teresa s’octroie les trois tasses d’expresso serré nécessaire à son bon fonctionnement cérébral en début de matinée)

— Comme je le disais précédemment, notre lettré a déclaré avoir recueilli après de longues et fastidieuses recherches — et quelques pots-de-vin si l’on en croit les mauvaises langues — un certain nombre de preuves établissant que Shakespeare aurait séjourné dans la région, à l’auberge Le Cochon et le Sifflet qui existait — et existe toujours — dans notre centre-ville ; et aurait même — tenez-vous bien — profité de son passage pour rédiger une partie de « La Tempête », une de ses dernières pièces, et qu’une jeune femme qui séjournait elle aussi à la fameuse auberge lui aurait inspiré le personnage de Miranda, ne me demandez pas par contre qui lui aurait inspiré Prospéro ou Caliban, personne n’en a la moindre idée ! En tout cas, et après des discussions universitaires dignes de la bataille d’Hernani, il fut bel et bien établi que Shakespeare séjourna dans le coin ! Et donc, notre petite ville fut rebaptisée Stratford en l’honneur du grand homme (Shakespeare, pas notre fameux lettré qui resta, en dépit de tout ce bazar, un lampiste) enfin Stratford-sur-Mer plus exactement pour éviter les confusions. Et depuis, très logiquement, tout un tas de gens — universitaires ou autres — essaye régulièrement de prouver le contraire ! Ceci, cher public, conclut mon exposé et je vous remercie de votre attention ; maintenant, et si le cœur vous en dit, je peux également vous dédicacer mon dernier ouvrage — qui a été largement financé par mon adorable frère Max — ne vous pressez pas, il y en aura pour tout le monde…

Laissons cette chère Teresa se débrouiller avec ses auditeurs et revenons à toute la famille Green ;

Déjà, comme vous vous posez certainement des questions sur les curieuses préférences onomastiques de la part de parents pourtant assez traditionnels et équilibrés, sachez que si la branche paternelle penchait très nettement du côté des sciences dures, le côté maternel poussait pour sa part dans un terreau bien plus largement littéraire :

Le résultat des courses fut donc assez particulier : dans l’ordre, l’ainée hérita du patronyme d’un fondateur de la physique nucléaire que son père tenait en haute estime. La cadette reçue celui de Sara Teasdale, l’auteur de Flame and Shadows, superbe recueil de poésie hélas jamais encore traduits en français à ce jour — mais la mère des jumeaux était une puriste qui lisait toujours ses auteurs favoris en version originale —. Quand à ce cher Max, à la suite d’un statu quo parental visiblement indépassable, le couple Green décida de combiner les prénoms du père de la mécanique ondulatoire et de l’auteur d’Alice au pays des merveilles, ce qui vous l’avouerez, ne manque pas de sel.

Bref, fruits insolites de l’union d’un lapin des sciences et d’une carpe des belles lettres, il est inutile de dire que nos trois héros partaient dans l’existence avec un héritage culturel assez singulier.

Sur de récentes photos de famille, prises lors d’une sortie du trio à la plage, Marcy est d’office la plus impressionnante : du haut de son mètre quatre-vingt-dix et bien que pesant presque quatre-vingts kilos, elle affiche une silhouette pourtant mince et affolante, superbement athlétique et élancée, sans compter son tour de poitrine à trois chiffres qui fait d’elle une version sportive de Jessica Rabbit.

Cependant, son visage plutôt rond et ses grands yeux bleus très doux sont tout à fait en accord avec son tempérament résolument paisible tant il est vrai qu’en toute occasion, ou presque, Marcy se montre d’un calme absolument olympien. Elle aurait sans nul doute fait une Athéna ou une Artémis de première force, mais sans le côté maladivement agressif et capricieux qu’ont souvent les divinités grecques. Comme le disent unanimement ses proches, Marcy est vraiment une crème : Un mètre quatre-vingt-dix de gentillesse doublée d’une amatrice de musique suffisamment éclectique pour apprécier à la fois le rock folk du Grateful Dead (Casey Jones reste son préféré), les morceaux choisis de Gershwin et le Don Giovanni de Mozart.

Toute modestie mise à part, elle tire également une incontestable fierté de sa très longue chevelure noire — qui aurait filé des complexes à Raiponce elle-même — même si cette imposante crinière demande des soins et un brossage quotidien des plus assujettissant. Hélas, souvent moqueurs et visiblement peu respectueux de son port altier, ses cadets ne se gênent guère pour l’affubler régulièrement du sobriquet affectueux de « Punzie ».

Mais attention ! Si pour une raison ou une autre, par exemple casser les précieux vinyles de sa collection voire maltraiter son frère, sa sœur ou encore ses amis, Marcy se décidait à tordre l’ensemble de votre anatomie pour vous transformer en bretzel alors, à moins que ne vous jouiez dans la même catégorie que Georges Foreman, Joe Frazier ou que vous ayez un bazooka à portée de main, il n’y aurait vraiment rien que vous puissiez faire pour l’en empêcher et, après qu’elle vous ait en détail expliqué sa façon de penser — et en admettant que vous soyez encore en un seul morceau — même ce l’on nomme communément le dies irae vous apparaîtrait comme de reposantes vacances. Ne croyez tout de même pas que cette brave Marcy soit une brute, non, non, c’est même comme on l’a précédemment expliqué, tout le contraire ! Disons seulement qu’elle prend son rôle d’ainée très à cœur et qu’en bonne grande sœur mère poule, il vaut mieux éviter de toucher à ses poussins si, bien sûr, vous tenez tant soit peu à demeurer quelque temps dans cette vallée de larmes.

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