3 - Icare

6 minutes de lecture

De trop d’enthousiasme et d’ardeur,

On se brûle les doigts, et les plumes

Fragiles, comme la cire du jeune homme

Qui, sous le soleil antique, chuta des cieux.

————————

Le clapotis semblait être un mirage. L'eau protestait à petites ondes aux coups de langue du dromadaire, tandis qu'Idir en recueillait au creux de ses mains jointes pour la remonter jusqu'à son visage métissé.

Une oasis s'était profilée à l'horizon juste à temps pour abreuver la bête et remplir sa gourde. La chaleur des derniers jours l'avait épuisé, l'accueil des oasiens lui offrit une trêve réconfortante. Un lui avait fait remarquer qu'il semblait attristé, mais Idir avait nié tout en se perdant dans ses pensées.

Nostalgique, ce mot sonnait plus juste. Les lieux lui rappelaient simplement son chez-lui. Il vivait comme eux, avant. À l'oasis de sa famille.

« Mais c'était avant... »

A son murmure, le dromadaire releva la tête vers le jeune homme, clignant de ses grands yeux ronds. Il avait le regard de son père. Non, il rêvait.

Idir reprit une gorgée et s'aspergea les joues avec ce qu'il restait entre ses paumes.
Mais le visage de son paternel s'immisça dans ses pensées.
Il se souvenait de ses traits, détendus et parcourus de sa tendresse paternelle, mais tordus quand il avait annoncé son envie de partir. Il n'avait jamais connu son père aussi strict et fermé d'esprit qu'à ce moment où il lui avait déclaré simplement : « Je veux apprendre, voyager. Alors demain, je pars ».

Plus la peine d'y penser, à présent. Idir était parvenu à s'échapper avec l'appui de ses fraternels. Sahel et Esra... ces deux-là lui manquaient. En cadet, il espérait que son petit frère ne fît pas trop de bêtises, et que sa grande sœur aura su tempérer ses parents.

Il avait choisi d'être là, agenouillé devant une autre oasis, accompagné de son dromadaire et quelques bagages, son turban sur les cuisses.

Sa situation lui remémorait celle des visiteurs quand il les recevait à sa propre maison. Des voyageurs, des nomades, des touristes se succédaient, apportant légendes, historiettes et sciences. Idir adorait les écouter. Il avait grandi avec leurs récits plein la tête, développant cette soif de connaissances qui l'avait poussé un jour à s'en aller, vers les contrées des visiteurs, l'ailleurs qui comportait sûrement tant de choses à apprendre. C'était ce à quoi il aspirait.

*

Une fois apprêté, le jeune nomade reprit sa route entre les dunes. Un soleil toujours aussi haut, aussi chaud, aussi souverain. Ce côté du sud algérien connu pour être une des zones les plus arides du Sahara ne dérogeait pas à sa réputation. Il lui restait encore une belle distance à parcourir avant d'espérer apercevoir les côtes. Une chimère.

Idir releva la tête vers le ciel, laissa la mélancolie dans ses yeux s'échapper vers les nuages. Un se détachait du fin amas de blancheur, chutant. Non, une étoile filante. Une étoile qui dispersait de la fumée grise, tache dans l'immaculée, sur son sillage. Elle atterrit comme une pierre, ricocha en un sursaut dont il perçut un faible écho, puis le calme revint. Sa curiosité éveillée par la scène, Idir dévia d'un petit angle sa trajectoire vers la colonne de fumée qui s'échappait encore du point d'impact.

Les contours de l'étoile se firent plus précis à son arrivée sur les lieux. Elle avait deux ailes, dont la droite qui lui faisait face était déchirée, une queue, deux pales à l'avant... Il s'agissait en réalité d'un avion, un peu étrange ; il ne ressemblait pas à ceux qui parfois passaient au-dessus de chez lui, ou les descriptions qu'on lui en avait fait. Il lui semblait étrange aussi de l'avoir vu atterrir ainsi, si vite, comme une chute.

Il posa pied à terre. Ne voyant personne aux commandes, Idir chercha le pilote autour de l'appareil. Il l'aperçut de l'autre côté, allongée sous l'aile gauche presque intacte. La jeune femme saignait du front ; un mince filet tombait sur son bras gauche, qu'elle soutenait de la main droite, probablement avant de perdre connaissance.

Idir s'approcha doucement, vérifia sa respiration et son pouls avant de lui tâter le bras. Arrivé au coude, il sentit en un point une mollesse anormale.
Faute de ne pouvoir la secouer sans risquer de la blesser, il claqua à petits coups sa joue, en l'interpellant pour attirer son attention. Aucune réaction, il tenta alors de la lui pincer. Les sourcils se froncèrent un court instant. Peut-être un réflexe.
Il décida d'attendre.

*

Pour passer le temps, Idir se reposa à l’ombre du dromadaire. A son réveil, le crépuscule tamisait l’air et le ciel. La jeune femme n’avait pas bougé d’un pouce, aussi mobile qu’un cactus. Alors il profita de sa halte pour remettre de l’ordre dans ses bagages, et dans ses idées. Vivres, vêtements, distances ; quantifiées, époussetés, évaluées. Sa besogne terminée, il s’assit, se laissant tomber au sol.

Alors, avec une attention nouvelle, il contempla son environnement actuel. A force de voir les collines sableuses se succéder, il en oubliait la beauté des lieux. L’or du soleil couchant l’embellissait d’autant plus. Idir fixait un point imaginaire dans le vide, comme en pleine réflexion, rétrospection. Qu’allait-il trouver au-delà ?

Curieux, il s’était jeté dans l’aventure, et s’en sortait très bien. Philosophe, le doute s’immisçait dans son esprit tandis qu’il s’interrogeait.

Une étoile apparut. Puis une deuxième. La nuit avançait timidement à l’invitation de la lune. Un froissement de tissu troubla le silence. Idir se retourna et vit une silhouette remuer. La jeune femme ressurgissait du monde des songes.

Elle se frotta distraitement les yeux, et souffla sur ses mèches blondes qui couvraient son visage à moitié endormi. Son regard se promena sur les couvertures posées sur elle, son avion partiellement détruit, pour enfin se poser sur le nomade. Son regard oscillait entre peur et stupéfaction.

L’inconnue recula soudainement, comme prise d’un sursaut de surprise. Elle grimaça lorsqu’elle sollicita son bras, ce dernier se révélant être soutenu par un châle attaché à son cou.

Idir se doutait bien qu’elle serait effrayée. Ce n’était pas tous les jours que l’on tombait du ciel pour se retrouver coincée avec un étranger. Il la vit malgré tout réfléchir. Elle semblait comprendre la situation petit à petit, pendant les longues minutes de silence qui s’écoulaient entre eux : le lit de fortune, l’accident, sa blessure, l’étranger qui la regardait sans ciller quelques mètres plus loin. Idir attendit patiemment qu’elle daigne se calmer par elle-même.

Quand la jeune femme prit conscience qu’il ne représentait aucun danger, elle tenta de se lever en grommelant des paroles dans une langue qu’il ne comprenait pas. Ainsi que son apparence physique le lui avait suggéré, cette inconnue venait de loin.

« Bonsoir », tenta Idir.

Elle écarquilla les yeux, remarquant que leur langage différait trop pour être compréhensible de l’autre. Cependant, le nomade initia une nouvelle tentative, cette fois équipé de son petit bagage en anglais, qu’il avait constitué à force de visiteurs étrangers à son oasis familial. Il espérait qu’en usant de la langue internationale, ils parviendraient à s’entendre.

« Ami », dit-il simplement.

L’inconnue parut sensible à l’idée, comme son souffle se fit plus régulier. Elle se redressa alors sur ses pieds, laissant tomber le dernier drap qui lui couvrait les épaules. La tension de l’atmosphère se dissipait dans la fraîcheur du soir.

Tandis qu’il ramassait et époussetait les couvertures au sol, la jeune femme se tourna sans un mot vers son avion déchu, se hissa à l’aide de son bras valide et disparut jusqu’à la taille dans le cockpit. Elle en sortit un sac bien gonflé pour seul bagage, et son manteau, qu’Idir avait laissé sur le bord quand il avait soigné et couvert la rescapée, avant de s’avancer vers le dromadaire.

« Aidez-moi, s’il vous plait, je suis perdue, quémanda-t-elle d’une traite.

- Montez. »

Elle ne se fit pas prier, et vacillant à peine malgré son bras, se cala derrière son sauveur. Ce dernier pointa un doigt vers lui-même :

« Idir, se présenta-t-il.

- Eyrún. », répondit sa passagère en mimant son geste.

Sur ces courtes présentations, Idir talonna sa monture. Ils progressèrent jusqu’à ce que leurs silhouettes se perdent au loin, loin de l’avion, du point de chute de la naufragée du ciel.

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