4 - Étoile

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Perdus dans l’immensité,

Seule la poussière s’offre à leur vue brouillée.

Le vent se lève, et sous leurs draps lotis,

Ils continuent d’avancer vers l’infini.

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Au fil de leur progression, force fut de constater qu’Eyrún supportait mal la chaleur.

« Ma maison... froid... ici, chaud... »

La jeune femme peinait à parler. Elle paraissait écrasée par le soleil. Les yeux mi-clos, le visage en sueur, son corps prenait appui sur son guide. Il lui tendit sa gourde remplie à l'oasis ; de l'eau la revigorerait sûrement. Eyrún approcha la main, brassa de l'air pour enfin sentir la source de vie frôler la pulpe de ses doigts. Elle tenta de s'en saisir mais ses bras semblaient avoir fondu. Il l'ouvrit pour elle, et porta le breuvage à ses lèvres asséchées. Puis il en prit pour lui avant de la ranger.

« Merci... » bredouilla-t-elle.

Ils avaient ainsi échangé quelques mots pendant leur traversée du désert. Étant confrontée à une impasse, Eyrún l’avait suivie sans rechigner, cet inconnu qui représentait son seul repère dans cette région où elle avait atterri. Elle apprit plus tard qu’ils se dirigeaient vers le Nord-Ouest, mais retint juste que là-bas se trouvaient les montagnes après le sable, puis la ville, puis la mer – une issue.

Idir lui avait également prêté un vêtement pour se couvrir la tête. Au vu de sa surprise quant à ce geste, il avait désigné le ciel avant d’abattre un poing dans la paume de l’autre main. Même si elle craignait que cette couche supplémentaire ne lui donnât chaud, cette précaution la protégeait du soleil. Malgré cela, la tête lui tournait, elle papillonnait des yeux pour tenir, sans franc succès. Le paysage se voilait à ses paupières. Elle commençait à s’endormir, peu à peu…

*

* *

Un bruit de chute la fit émerger de ses songes. Il faisait déjà sombre, et doux, frais comme au petit matin, comme chez elle. Eyrún se rendit compte qu’elle s’était assoupie sur le cou du dromadaire désormais accroupi, l'air au repos. En se redressant, elle sentit une couverture sur ses épaules, et la resserra autour d’elle, reconnaissante. Elle se releva avec peine puis chercha le nomade du regard, dans la nuit claire et paisible. 

Eyrún aperçut de petites étincelles surgir de l'obscurité, comme des feux follets dansants sous les rayons de la lune. C’est ainsi qu’elle repéra Idir, appliqué à faire naître une flamme dans un tas de tissu souillé. Elle quitta avec précaution l’animal pour venir s’agenouiller sur un drap étendu à côté du feu qui commençait à prendre. Il tourna légèrement la tête dans sa direction, puis reprit son œuvre. Elle ne dit mot. Seul le choc des silex perturbait le silence. 

Enfin, la lumière perça les ténèbres pour de bon. Un halo tamisé dévoilait le visage fatigué des deux voyageurs. Le cœur serein, Eyrún perdit ses pensées au milieu des étoiles qui semblaient veiller sur eux. Le désert nocturne se distinguait tant de celui du jour. Pourtant, quelque soit la période de la journée, les lieux possédaient une âme certes différente de son île, mais tout aussi grandiose. La nature se peignait de couleurs sublimes, entre le doré et le bleu nuit, agréable au regard, apaisante à l’esprit. Elle s’émerveillait de ce quelque chose de magique, voire mystique, et si dépaysant qu'elle en oubliait sa quête de sensations fortes, l'incident de son avion, sa situation générale. Le calme offrait un véritable instant de paix dans le cœur de l’islandaise. Ce qui l'a poussé au voyage, ce sont aussi les instants comme celui-ci, de ceux qui font toute la beauté du monde. Plus rien n’existait, sinon une sensation extraordinaire de bien-être. Elle aurait pu passer sa vie à prolonger cet instant. 

Sa rêverie s’estompa quand Idir lui tapota le bras d’une main. De l’autre, il lui offrait un bol de petits grains. Elle s’en saisit, observant avec curiosité ce qu’elle tenait entre les mains. Une interrogation fusa de ses lèvres aussi vite que de son esprit :

« Du sable ?

- Semoule, c’est très bon », l’informa son guide.

Il laissa échapper un rire amusé, son qui contraste avec son habituel air sérieux et lointain de philosophe, avant d’attaquer son propre repas. Elle l’imita, bien que moins assurée. Ses derniers doutes s’envolèrent après la première cuillère. Le réveil de ses papilles provoqua chez elle une forte sensation de faim dont elle n’avait pas eu conscience jusqu’alors. L’islandaise s’empressa de remplir son estomac à grands renforts de bouchées amples et rapides. Au simple regard que lui lança Idir, le rose lui monta aux joues en songeant à l’air de chien affamé qu’elle devait renvoyer. Sans en tenir rigueur, il finit tranquillement son bol.

Tandis qu’il éteignait le feu, Eyrún en profita pour se rendre utile et saisit le drap sur lesquels ils s’étaient assis pour l’épousseter, le plier et le ranger. Idir se retourna, et fut agréablement surpris de voir que la besogne a été faite. Il hocha simplement la tête pour signifier à Eyrún qu’ils reprenaient leur chemin.

*

Quelques jours plus tard - de ce que l’alternance jour-nuit permettait de déduire, les deux voyageurs purent enfin entrevoir des toits au loin, qui se concrétisaient en maisons de plus près. Idir mit pied à terre, laissant Eyrún en retrait avec leur monture pour aller à la rencontre de passants. Quand il revint vers elle, il l’informa qu’ils étaient arrivés à Marhoum, à environ deux jours de marche de la côte. À ces mots, la réaction fut instantanée :

- À deux jours de la mer ?

- Oui, je vais prendre le large. En même temps, je te dépose à Oran. Tu y retrouveras ta route.

- Non, je viens aussi.

Idir battit des cils, quelque peu surpris.

- Pourquoi ?

- Je veux aussi prendre le large. Et je préfère de plus me retrouver seule.

- Autant te prévenir, je vais où le vent me porte.

- Alors où tu iras, j’irai.

Un instant de flottement suivit ces paroles fermes. Un instant où ces deux âmes éprises de liberté et de vie scellaient une alliance tacite. Idir le rompit en saisissant d’une main amicale l’épaule de la jeune femme et la regarda droit dans les yeux :

- Avec plaisir.

Eyrún ne sentait aucune ironie dans sa douce voix orientale, sinon une sympathie qui la convainquit qu’elle empruntait la bonne route. Alors qu’ils s’apprêtaient pour la dernière ligne droite, elle crut distinguer un sourire, à demi couvert par son turban.

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