2 - Envol

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Une paire d’ailes et de rêves,

Armée de son casque et de son courage,

Le moteur démarre,

Bourdonnement d'espoir.

————

« Tu veux que je t’accompagne à l’aéroport ? demanda la voix de son père, se répercutant dans le couloir.

- Non, pas la peine ! rétorqua Eyrún de l’étage.

- T’imagines si c’est Erik qui conduit ton vol, ce serait drôle ! entendait-on le père poursuivre.

- Je n’en sais rien, on verra. » répondit-elle distraitement.

Un tas d’affaires trônait déjà devant la porte d’entrée de leur foyer. Entre ces quatre murs de bois noir, cocon éclairé par un petit feu crépitant, la jeune femme s’attelait aux derniers préparatifs.

Déjà vêtue du minimum requis pour sortir à l’extérieur - pulls, bottes fourrées, bonnet qu’elle ajustait du bout des doigts pour y fourrer ses cheveux clairs, elle n’oubliait rien. Restait son bagage à clore, un sac de randonnée.

« Tu nous enverras un mail, ou une carte, hein ? T’oublies pas ! dit la forte voix maternelle.

- Bien sûr, dès que j’atterris ! »

Eyrún sentait l’enthousiasme embraser ses gestes. Cette chaleur lui faisait un bien fou ; une étincelle de feu se reflétait dans ses prunelles.

L’euphorie, le léger parfum des adieux… Elle partait en voyage.

La jeune femme retint de justesse un cri d’allégresse en y songeant.

Franchir la porte serait le début. Eyrún dévalait les escaliers quand la silhouette menue de sa mère apparut en bas de ceux-ci.

« T’en vas pas sans me dire au revoir, quand même !

- Oui, maman ! Je ne pars pas pour toujours, je reviendrai, la rassura-t-elle dans une étreinte toute de tendresse, avant de sursauter. Mince, mon sac ! »

Avisant ce dernier près de l’entrée, Eyrún y fourra les dernières affaires qui trainaient autour puis en saisit vivement les bretelles, et enfila le paquetage dans une rapidité virtuose.

Elle poussa la porte, grinçante sous l’impulsion de ses deux mains, et posa le pied dehors, solennelle comme sur la Lune.

Un dernier coup d’oeil vers son chez-soi lui provoqua un petit pincement au cœur. Ses parents attendaient son départ depuis le pas de la porte, au risque d’attraper froid, encadrés par le rouge vif  des murs extérieurs peints qui contrastaient avec l’herbe environnante. « De mon temps, disait souvent son grand-père, c’était plus joli avec la tourbe au toit ! » Sa fameuse maison se dressait non loin de là, qui servait à présent de grenier à la ferme familiale. Eyrún sentit ses lèvres s’étirer dans un sourire un peu triste. Cette terre allait lui manquer, assurément.

« Je reviendrai avec plein de souvenirs pour vous, et je conterai le monde aux petits du village d’à côté », murmura-t-elle pour elle-même.

Quelques mots de belles promesses surent raviver sa motivation. La jeune femme s’installa au volant, espérant que l’essence suffirait pour son trajet. Elle abaissa la vitre, fit un dernier signe de main à ses parents, referma vite à cause du courant et démarra.

Rendez-vous au sommet, direction Snæfellsjökull.

*

Une route dégagée, la beauté à l’état naturel de chaque côté du bitume, une jeune femme chantonnait un air lyrique, heureuse, excitée… Un mélange qui n’avait pas de nom habitait sa poitrine.

Le départ se trouvait ne pas être la seule chose en cause. On la pensait partie pour l’aéroport de Reykjavík, au sud-est… Mais elle cheminait vers l’ouest, sa véritable destination.

Eyrún avait toujours été une aventurière dans l’âme, en grand damne de ces proches. Toujours à escalader n’importe quelle pente, alors que les cratères parsemaient l’île, à se rapprocher, même se pencher au-dessus des fissures au sol comme pour tomber dedans la tête la première, à patauger dans les rivières malgré le courant. Sa curiosité toujours grandissante finit par s’étendre par-delà les frontières de son île d’abord, les frontières du visible ensuite. Eyrún voulait simplement découvrir le monde, à sa manière.

Son grand frère l’avait bien compris, par conséquent Erik lui apprit sans trop rechigner à voler en petit avion. Elle l’avait harcelé afin de recevoir un minimum de formation. Pour cela, et avec une pleine confiance en son fraternel, elle dut lui faire part de ses raisons, lui avouer la découverte qu’elle leur cachait.

La jeune femme s’en voulait un peu de mentir à ses parents… cependant, même si elle logeait avec eux, n’était-elle pas suffisamment âgée pour mener sa propre vie comme elle l’entendait ? Pas besoin de permission, elle se sentait libre, libre comme l’air qui fouettait les vitres.

Sa voiture s’engagea sur une voie sinueuse qui commençait à monter en pente. Encore quelques centaines de mètres, et elle continuerait à pied. Tandis que la distance avec le mont diminuait, Eyrún discerna un nouveau sentiment tracer son chemin : l’appréhension. Normal, confrontée à l’action, elle ne souhaitait pas abandonner pour autant. Pas après tant de préparation et d’espoir placé en cet instant.

Arrêt de moteur, elle récupéra son sac et entreprit la montée du Snæfellsjökull. Munie de son attirail, on pouvait la confondre avec une randonneuse qui sortait pour sa ballade de santé sur le versant. Les nuages se mouvaient au-dessus de sa tête, dissimulant fort bien le bleu du ciel, mais sans présenter de signe de mauvais présage.

Parvenue à une certaine hauteur, Eyrún se mit à fouiller les environs de son regard d’azur. Très vite, elle avisa une dépression dans une paroi rocheuse. En quelques enjambées, elle arriva près d’une cavité, s’apparentant à une grotte. Tandis qu’elle s’y aventurait, la jeune femme fit glisser lentement son sac des épaules.

Il avait fière allure pour un vestige. Eyrún posa une main sur l’aile face à elle, dépoussiéra du bout des doigts. Si elle avait appris à piloter, c’était pour un jour être en mesure de voler à bord de sa trouvaille : un petit avion oublié, datant de l’invasion anglaise.

Depuis le jour où elle était tombée dessus, elle le gardait caché dans la montagne, protégé comme un secret. Eyrún comptait quitter la terre ferme à bord de cet appareil, qu’elle avait chouchouté pendant plusieurs mois pour l’occasion.

L’aviatrice enchaîna les gestes qu’elle avait moult fois répétés : casque et clé hors du sac, lui-même jeté dans l’appareil, elle s’installa au siège pilote, s’attacha, fit valser ses mains sur le tableau de bord devant elle jusqu’à ce qu’un vrombissement s’échappa de sous les jointures de la cuirasse. Les pales de l’hélice tracèrent un tour, un second, de plus en plus vite jusqu’à devenir indiscernables. Eyrún vérifia une dernière fois que chaque chose occupait sa place, chaque réglage. L’adrénaline s’insinua dans ses veines.

Restait à espérer que la pente et la hauteur suffiraient pour que l’appareil se soulevât de terre.

Elle s’avança sur la piste imaginaire. Les roues écrasaient par moment de gros cailloux qui la décollait de son siège. Mais elle ne s’inquiétait pas, le ciel lui tendait les bras. Eyrún énerva un peu plus le moteur, l’avion gagna en vitesse, puis en altitude.

Elle décolla.

La jeune pilote sentit son corps brusquement tiré par la gravité, mais les courants eurent tôt fait de la rehausser et la maintenir dans les airs. Sa frayeur fut oubliée aussi vite qu’elle fut venue. Cet instant resterait gravé dans sa mémoire. Elle poussa un cri de joie, relâcha la pression.

Elle volait. Montait, encore, et encore.

Une fois équilibrée, elle maintint le cap.

Désormais, elle ne pensait plus aux quelques bidons de carburant qu’elle avait calés à ses pieds, ni son estomac tout retourné, ni à l’altitude à laquelle elle se trouvait… tandis qu’elle percevait au loin le sommet du Vatnajökull, elle ne pensait qu’à un mot : magnifique.

*

« Si seulement j’avais été plus attentive en anglais… »

Iles Féroé, Ecosse, Andalousie… En quelques jours, Eyrún avait enchaîné les découvertes, au-delà de ce qu’elle pouvait imaginer. Comme les îles étaient petites ! Le folklore écossais lui avait provoqué quelques réminiscences de son propre pays aux côtés celtiques… Et la poésie de la langue espagnole !

Voyager dans son petit avion se révélait lui donner bien de la peine. Les conseils d’Erik lui furent d’une grande aide, notamment d'utiliser le matériel du port de Reykjavik pour optimiser la flottabilité de l’appareil ; cela la sauva du naufrage en mer. Il l’avait informée également de la conduite à tenir pour éviter de violer l’espace aérien des aéroports dans des pays dont elle ne connaissait rien de la juridiction. Eyrún aimait expérimenter des choses dans la vie, mais pas en hors-la-loi. Également, elle veilla souvent sur le compteur d’altitude : trop haut équivalait à un air réfrigérant tandis que trop bas équivalait à un risque de crash. Il serait fâcheux d’être confronté à de tels inconvénients, aussi même l’irréfléchie qu’elle était pris soin de penser à ces choses-là.

Quelques jours auparavant, la jeune islandaise quittait le sol européen vers l’Afrique. Un continent plus vaste encore, riche en promesse. Eyrún avait attendu la nuit pour repartir, mais les étoiles qui s’étaient échouées dans son regard brillaient encore.

*

* *

Eyrún survolait depuis quelques temps un paysage d'or et monotone. Le compteur de carburant tendait l'aiguille vers le rouge. Il lui faudrait bientôt faire une pause. Elle cherchait un terrain abordable, d'abord sans en percevoir. A mesure que la panne approchait, ses yeux s'agitaient plus frénétiquement. Si elle intervenait en plein vol...

Trop de pentes, d'irrégularités du sol...

Eyrún initia malgré tout un atterrissage d'urgence.

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