— Le pied plus haut.

Kimi grimaçait déjà de douleur. Elle avait l'impression que son pied gauche voulait se détacher de son corps pour s'envoler vers le plafond. Mais lorsqu'elle avait acceptée de devenir Vestale, elle avait bien compris que ce serait une route longue, sinueuse, remplie d'embuscade, de rocher coupant et de racines où il serait facile de trébucher. D'ailleurs, Hedgar l'avait prévenue : elle tomberait. Devenir Vestale sans souffrance était une impossibilité totale. Mais la récompense était immense. En plus de la notoriété et de l'admiration des gens, elle aurait un lien particulier avec les Dieux. Un lien fort et tangible. Même le Grand Templier ne pourrait se vanter d'être aussi proche des êtres divins.

Serrant les dents, se laissant gagner par la volonté de ressembler à celles qu'elle admirait, Kimi, du haut de ses sept ans, tendis la jambe le plus haut et le plus longtemps possible, sous le regard d'émeraude de Haëlle, une elfe qui était Vestale depuis des siècles et qui maitrisait tout ce qui avait à maitriser sur cet art. Mais elle n'était pas la seule à regarder la jeune fille à faire ses débuts.

Un homme, d'un peu moins deux fois son âge, la fixait d'un recoin sombre de la pièce. Personne, en temps normal, n'était autorisé à entrer dans la Chambre pendant qu'une Vestale y était. C'était leur antre, leur seul sanctuaire et elles tenaient à cette tradition. Il n'avait que faire des envies de ces femmes, mais savait qu'il s'attirerait des ennuis si on le remarquait, alors il restait discret, fixant l'étrange danse depuis les obscurités. Il trouvait la scène cocasse, ressemblant étrangement à ce qui se passait en réalité : des mortels naïfs fixant des demi-déesses depuis une ombre, ne pouvant que rêver de leur attention et de leur affection.

Ce n'était pas la première fois qu'il venait et lui aussi, comme Kimi, admirait les Vestales, mais d'une manière...Différente. Il les savait intouchables, pour les plus anciennes tout du moins. Plusieurs fois, il était sorti de cette salle frustré, ses rêves douchés. Il avait fixé Haëlle avec tant d'envie que déglutir avait été difficile. Ses pas, ses mouvements de mains, les rayons du soleil qui caressaient sa peau...

Tout ça, pour rien. Jamais les Dieux ne venaient, alors comment pourraient-ils la voir ? Il voulait la voir danser pour lui, et lui seul. Il n'était ni le premier, ni le dernier et l'elfe et ses amies restaient inaccessibles. Mais il fixait avec un appétit renouvelé la petite nouvelle. Ses cheveux longs, noirs et raides étaient lâchés. C'était bien dommage, ils gagneraient à être souplement attachés dans une queue de cheval. Ses yeux étaient en amande, juste ce qu'il fallait pour mettre en valeur le brun clair parfait de ses iris. Sa peau était légèrement hâlée, et ses lèvres, bien que débordante encore d'innocence, étaient déjà charnues, laissant planer de plus doux rêves encore.

Bien entendu, il était trop tôt pour parler du reste, mais son visage plein de promesse lui suffisait amplement. Il la voyait sourire à chaque réussite, grimacer pendant la souffrance ou après un échec et surtout il la voyait danser. Cela suffisait pour l'imaginer dansant sur un lit, un peu plus grande un peu plus tard. La petite Kimi ne pouvait voir l'homme dans l'ombre se retirer, tel un assassin, un sourire aux lèvres qui n'avait rien de doux.