V

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Tout n'était que sang et sanglots. Edilan entendait, au loin, les supplications des enfants et des servants. Son regard restait fixé sur le corps, étendu sur les marches du hall, de la directice qui baignait dans son sang. Il savait que c'était mal, mais une part de lui ne pouvait s'empêcher de demander mentalement à la vieille harpie : "Et maintenant hein, on ne t'entend plus crier !". C'était peut-être cette pensée, peut-être autre chose qui étirait ses lèvres dans un étrange sourire, ni joyeux, ni triste. Le bandit, qui s'était finalement présenté à eux sous le nom d'Urdaël, tuait tout le monde, l'un après l'autre, mettant même en scène certaines morts. Il s'approcha de l'attroupement d'enfant, et un servant s'interposa, à genoux.


— Pitié, monsieur, pitié, laissez les enfants, frappez moi à la place je...

— Entendu.

Edilan, toujours assis contre Grégoire qui était allongé au sol, les yeux écarquillés, releva la tête à temps pour voir le bras du bandit fendre l'air comme s'il jetait quelque chose, et le trait de sang qui suivit son mouvement, arraché cruellement à sa gorge. Sa mort arracha un nouveau cri aux enfants et alors qu'Edilan pensait que le brouhaha était à son comble, l'hystérie grimpa encore d'un cran. Edilan réalisa même qu'il était le seul, avec Grégoire à rester calme. Urdaël saisit une servante par les cheveux. Elle était incroyablement jeune, et pas vilaine. Il lui fit lever son visage sanglotant et tremblotant.

— Oh petite fille pourquoi pleures-tu ? Est-ce la première fois que tu affrontes les âffres de la vie ? Moi qui pensait que rien ne pouvait être pire qu'orphelin...Non, je plaisante bien sûr.

Il se pencha et l'embrassa goûlument. Elle grimaçait et hurlait son horreur comme son dégoût par ses mains, qui se refermaient nerveusement et ses yeux, fermés à s'en faire mal aux paupières. Puis il redressa la tête et rit de nouveau. Il la jeta en arrière vers ses sbires comme un loup jetait un morceau de viande à ses petits. Edilan ne voyait pas tout de la scène, Urdaël le cachant en partie. Le bandit continuait d'avancer, alors qu'on arrachait les vêtements de la jeune femme. Elle hurlait, et se débattait, mais à deux ils maintinrent, pendant que deux autres faisaient leurs affaires, venant étouffé ses cris. Edilan était bien entendu trop jeune pour comprendre, mais Grégoire lui cacha quand même les yeux de sa main, et pencha la tête vers lui.

— Prépare toi à fuir, Edi.

Le jeune garçon ne comprit pas. À fuir ? Comment le pourrait-il ? Les bandits se trouvaient entre eux et la sortie la plus proche de l'orphelinat. Il ne pourrait aller nul part avant d'être rattrapé.

— Pourquoi vous faites ça ?! S'écria le garçon d'écurie.

Urdaël sourit de plus belle, écartant les bras et penchant légèrement la tête en avant.

— Pour m'amuser. Pourquoi faudrait-il qu'il y ai une raison à tout ?!

Le sauveur d'Edilan répondit quelque chose, mais le petit garçon ne l'entendit pas. Pas plus qu'il entendit la réplique suivante de leur malfaiteur. Edilan ne les entendait plus, et ne les voyait plus. Du moins, directement. Une vive lumière s'était illuminée dans le coin de la pièce. Il crut d'abord à un rayon de soleil amplifié par le toit vitré du bâtiment mais alors que le temps semblait ralentir, il sut que c'était autre chose. Il entendait les battements de son coeur, étrangement lents et il avait l'impression de flotter.

— Grégoire ? Qu'est-ce que c'est ? Fit-il.

Mais il n'entendit pas de réponse, et comprit que le garçon d'écurie ne l'entendait pas. Nous ne pouvons rien. Rien ne compte plus que ta vie. Ta vie pour le monde, Edilan. Il voulut se boucher les oreille. C'était à la fois un murmure et un hurlement, mais à l'intérieur de son crâne, uniquement. Il était le seul à l'entendre, il en était sûr. Puis soudain, une voix, nettement plus puissante, qu'il connaissait bien : celle de Grégoire.

— Cours Edilan ! Cours !

Et soudain, alors qu'il revenait à lui, comme après un rêve particulièrement long et atroce, il se vit, dans les bras du garçon d'écurie qui, sous les rires des bandits, le portait jusqu'à la sortie. Il tomba au sol, roula et se redressa, se tournant vers son sauveur. La dernière image qu'il emporta de l'orphelinat avant de prendre les jambes à son cou, fuyant enfin vers cette chère liberté, fut le corps du colosse, couvert de blessures, une épée plantée littéralement dans son dos, et son regard déjà vitreux et pourtant plein d'espoir. Un espoir que le garçon ne comprenait pas. Il traça dans la forêt, ignorant qu'on ne le suivait pas. Il avait beau détester cet endroit, haïr sa directrice, il pleurait.

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