10 ans avant l'an 0, Saldin

Le Temple de Jascynth était au Nord du royaume à la frontière du désert. C'était un lieu de passage, voir d'arrêt, obligé pour tout ceux qui voulaient affronter l'aridité du désert d'Umbia. C'était, d'ailleurs, le seul Temple de grande importance de tout le royaume des Saldins. Eux-même n'avaient contre le Temple, mais le peuple n'était que guère croyants, sans être impis. Les relations étaient cordiales, mais plus distantes qu'avec leurs voisins. D'ailleurs, ce Temple, en plus de son office religieux, avait une autre utilité : il recueillait les enfants et adultes laissés pour compte, ceux qui sans lui, erreraient sans but dans les cités ou iraient mourir sous le soleil brûlant d'Umbia, ce qui lui donnait d'ailleurs une notoriété positive, une réputation d'asile pour les perdus et les sans-espoirs.

La famille de Kimi faisait parti de ceux-là. Ils étaient arrivés une demi-décennie, alors qu'ils erraient un peu au hasard depuis quelques mois, et n'étaient plus repartis depuis. Ils avaient été conquis par les lieux, par sa paisibilité, par sa beauté aussi - si vous aviez la chance de pouvoir aller sur le balcon du temple, vous pouviez voir l'étendue de sable doré, presque orange alors que le temple était construit dans une jungle - et avaient su se rendre utiles pour être acceptés autant de temps. Ils faisaient presque parti du Temple. Et Kimi ne faisait pas exception.

Le Grand Templier Hedgar était un homme bon,bien que peu souriant, et les Vestales la fascinait. Elle aimait s'asseoir en tailleurs devant leur autel pour observer leur danse, qui se changeait parfois en transe. Elle même était devenue un peu la mascotte des gens qui y vivaient, travaillaient, ou simplement passaient par là. Les temps passa, les années avec lui. Ses parents la laissaient libre dans le temple pendant qu'ils s'occupaient des malades et des voyageurs fatigués. Ils la connaissaient et savaient qu'elle était trop prudente pour s'éloigner de trop, et trop sauvage pour suivre un inconnu. Ils se sentaient en sûreté, ils se sentaient chez eux.

Ce jour-là, la mère de Kimi - Myrille - recousait un vieu manteau d'un voyageur rompu par son long voyage en chantonnant, assise sur une marche du Temple quand elle vit une grande ombre s'étendre sur elle, cachant les rayons du soleil. Intriguée, elle leva la tête pour voir un homme de petite stature, âgé, au ventre large et aux mentons en surnombre. Il la regardait gravement, les yeux légèrement plissés par la forte luminosité environnante.

— Bonjour Hedgar...Fit-elle, étonnée.

L'homme n'était pas méchant mais l'aimabilité n'était pas son fort. Surtout, il ne s'arrêtait que très rarement, ne serait-ce que pour la saluer.

— Bonjour Myrille. Puis-je vous parler quelques instants ?

De plus en plus surprise, Myrille inclina doucement la tête.

— Est-il arrivé quelque chose de grave, monseigneur ?

— Oh non, que les Dieux m'en préservent, il ne se passe jamais rien de grave par ici, répondit-il en posant son imposant fessier sur les marches, près d'elle. Il s'agit de votre fille.

— Kimi ? A t-elle fait une bêtise ?

— Kimi est adorable. Une divine petite fille qui est, je ne vous l'apprendrais pas, fascinée par les Vestales.

Myrille eut un doux sourire et hocha la tête.

— Bien, bien, et bien...Voilà, une vestale nous a malheureusement quitté, de manière récente. Une place est libre et il semblerait que Kimi soit une prétendante plus que crédible.

Myrille s'immobilisa dans son geste, perdant un peu de son sourire.

— Vous en avez parlé à Hector ?

L'homme hocha la tête.

— Et ?

— Il a été difficile à convaincre, mais il a accepté.

Myrille déglutit, et reporta son attention sur le manteau, en accélérant la cadence de ses mouvements d'aiguilles, sous l'oeil gêné de Hedgar. Être Vestale était autant un don qu'une malédiction. Elle serait protégée et elle aussi, attirerait les regards. Elle apprendrait la Dance et la Transe et sera l'amie des Dieux. Mais uniquement des Dieux. Point d'amour possible, point d'enfant possible. Elle sacrifierait tout ce qu'elle était, tout ce qu'elle pourrait être.

— Myrille ?

Hedgar posa sa lourde main sur le genou de la jeune femme qui réprima un frisson.

— Ai-je mon mot à dire ? La décision ne m'appartient pas. C'est celle de Kimi.

— Pour être franc, madame, je pense que...

Myrille était une femme d'une grande douceur, et le Grand Templier pouvait prétendre n'avoir plus vu plus calme et réfléchie que cette femme durant son existence. Mais quand elle tourna ses yeux sur lui, il fit un léger mouvement de recul, tant les flammes qui y brûlaient semblaient ardentes.

— Vous ne pensez rien. Est-ce clair ? Kimi doit prendre cette décision, et la prendre seule. Allez lui demander.

Avec regret et hésitation, Hedgar se redressa, ses rumatismes le faisant maugréér au passage. Il entreprit d'obéir à celle qui, autrefois, n'était qu'une voyageuse égarée et posa la question à la toute jeune Kimi qui, bien entendu, s'empressa d'accepter avec un cri de joie.