I

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30 ans avant l'an 0, quelque part en Impéria, au sud de Northrendre


L'orphelinat était placé en plein milieu d'une clairière, assez éloigné de la cité et surtout de l'axe principal y menant pour ne pas être inopinément dérangé sans cesse par des voyageurs, mais assez proche pour pouvoir se rendre facilement et rapidement en ville. Mais cette position offrait surtout à ses jeunes et tristes occupants une vulnérabilité malvenue, au vue de leur passif déjà tulmutueux. Et bien que personne ne viendrait réclamer justice pour un enfant perdu re-perdu, la directrice Joyce était très stricte concernant la règlementation sur les sorties en forêt : elles étaient interdites. Il ne fallait pas y voir bonté d'âme ou inquiétude pour l'intégrité physique comme morale de ses jeunes protégés, mais plutôt une paresse. Paresse de faire la paperasse. Paresse de l'enterrement et de la cérémonie qui devait aller avec. Paresse de devoir expliquer aux éventuels amis des disparus les mystères sordides de la vie et de la mort.

Le jeune Edilan connaissait la règle. Il connaissait aussi la sévérité, voir la cruauté, de la Directrice. Mais il était mû, depuis sa toute petite et tendre enfance, par un désir de liberté immense. Rien ni personne ne pouvait le contrôler. D'ailleurs, il avait l'incroyable don - certains diraient talent - de mettre Joyce hors d'elle. Il était arrivé six mois auparavant, alors qu'un homme mystérieux l'avait découvert dans une taverne dans une chambre alors que personne n'avait vu entré, soi-disant, de bébé. Version à laquelle personne ne croyait vraiment mais bon personne ne chercha non plus à découvrir la vérité, car il s'en fichait. L'orphelinat, même s'il était dirigé par une véritable démone, gardait une vocation altruiste. Mais très vite, le gamin se révéla être une plaie incontrôlable. Il courait sur les meubles, tirait la langue, riait pendant les corrections - quand bien même la douleur le faisait parfois pleurer - et, donc, sortait sans cesse.

Mais si vous lui posiez la question, il vous dirait de ne pas mêler ses sorties nocturnes ou diurnes avec ses bêtises et ses insolences habituelles. C'était irrépressible. Certes, il n'avait pas envie, du haut de ses cinq années d'existence, de lutter contre ce vent frais qui le poussait dans le dos en permanence mais même s'il le faisait, de toutes ses forces, il serait perdant d'avance.

Ce jour-là ne fit pas exception. Le soleil s'était levé depuis une bonne heure maintenant et ils venaient de finir leur déjeuner. Il n'était pas tout à fait l'heure des leçons, mais ça allait venir très vite. Bien qu'il y excellait, Edilan détestait ce moment de la journée. Il n'en voyait pas l'utilité, surtout que l'orphelinat n'avait nulle vocation à l'éducation. Ils ne fournissaient nul sages, nuls mages, nuls érudits. C'était aussi un moment où les surveillants étaient occupés à autre chose. Un moment parfaitement opportun pour lui pour aller goûter à sa chère et tendre liberté, son premier amour. Il fit mine de suivre une colonne d'enfants nettement plus sages que lui, et profita du premier virage pour se terrer dans l'ombre d'une caisse. Le surveillant, le dernier arrivé n'y vit que du feu, et reprit peu après son chemin.

Edilan, fier de sa désobéissance, prit ensuite le chemin inverse. Il fila dans les couloirs, esquivant les zones dangereuses où il savait que des surveillants aimaient rôder. C'était devenu un véritable jeu d'enfant pour lui. Il était rapide, petit, agile, et malin. Beaucoup plus que les autres enfants de son âge, et il s'en attirait d'ailleurs les foudres de nombre d'adulte. Qu'importe. Il ne demandait rien à personne, si ce n'est la liberté. Finalement, lorsqu'il vit la porte principale du bâtiment, il courut. Il courut comme si sa vie en dépendait. Il voyait déjà, à travers les battants de la porte déjà entrouverte, le soleil lui tendre les bras à travers ses rayons, réchauffant son coeur tant que son corps. Il sentait les effluves divines des pins environnants lui parvenir, amenés à ses narines par un vent porteur de promesse. Ses lèvres commencèrent déjà à s'étirer dans un sourire heureux. Il était d'ordinaire avare en sourire, comme bon nombre d'enfants - ou adultes, d'ailleurs - dans l'orphelinat, mais dès qu'il était dehors, dès qu'il retrouvait la vrai vie, il revivait et redevenait le petit enfant qu'il devait être. Avec un côté...Particulièrement facétueux en plus.

Il tendit une main, prêt à saisir la porte pour finir de l'ouvrir. Il touchait au but, quand une main ferme lui saisit le poignet, fermement mais sans méchanceté, et le retînt.

— Non ! Non ! Lâchez-moi ! Ne put s'empêcher de crier le petit garçon.

— Chut, Edilan, chut...

Il reconnut tout de suite la voix de Gregoire, le garçon d'écurie. Enfin, garçon...Il mesurait deux mètres, de ses quarante ans passés, et il avait un large ventre plus que bedonnant. Il faisait parti des rares personnes pour qui Edilan avait un tant soi peu d'affection dans cet orphelinat. Mais même lui ne le comprenait pas. Il tentait de percer ce mur, par moment, et avait pour l'enfant une tendresse non-dissimulée, mais il ne le comprenait pas plus. Il n'avait pas besoin de le comprendre pour l'aimer, mais l'inverse n'était malheureusement pas vrai.

— Laisse moi !

— Je ne peux pas. Tu dois pas. Sinon, Joyce va te punir, encore.

— M'a fout !

Edilan se débattait comme un démon, bougeant ses jambes et ses bras dans tous les sens, si bien que même le colosse avait du mal à le tenir. Mais il s'y contraignait, serrant les dents quand le talon du petit lui frappait la cuisse. Il avait une main prise par les couvertures qu'il ramenait à ses bêtes, et utilisait sa seule main de libre pour enserrer le torse d'Edilan, comme il le pouvait.

S'il ne comprenait pas pourquoi il avait ce fol amour pour l'extérieur - bien qu'il admette à l'endroit une certaine...Beauté - il ne lui voulait pas de mal. Comme à chaque orphelin. Ils avaient assez soufferts, et il était de son devoir de les aider quand il pouvait le faire. Et cela pouvait comprendre leur éviter une sévère correction de la Directrice. Il la connaissait bien et la savait à bout. Il ignorait de quoi elle serait capable si Edilan s'échappait une nouvelle fois.

— Elle va te frapper ! Edilan !

Ce dernier n'en démordait pas. Il luttait de tout son être. Il entendait l'appel de la liberté, il voyait sa silouhette qui se dessinait à travers les rayons de soleil et qui lui tendait la main. Il n'avait rien contre Grégoire, mais il ne se laisserait pas arrêter, pour rien au monde. Il frappa, encore et encore. Il visait ce qu'il pouvait : tibia, parties mais rien n'y faisait, le colosse ne lâchait pas son étreinte, et au prix d'un plus gros effort, il parvenait même à le tirer vers l'intérieur. Soudain, une voix terrible se fit entendre. Une voix de femme. Une voix sèche, nimbée de colère et vrillée par l'âge.

— Qu'est-ce que c'est que ce boucan ?! Edilan, encore toi !

i Grégoire fut surpris par l'apparition soudaine de la Directrice, cela ne perturba pas outre mesure Edilan qui profita de cette seconde d'inattention pour frapper, de toutes ses forces, les parties de Grégoire. Demandez à n'importe quel homme : aucun d'entre eux ne pourraient résister face à une telle souffrance. Et le garçon d'écurie n'échappait pas à la règle. Il mit un genou à terre et lâcha enfin le garçon.

Edilan, accordant un bref regard à la Directrice, n'en demanda pas tant pour prendre la fuite. La vieille femme, qui ressemblait à une vieille sorcière ivrogne commença à grimacer pour beugler un ordre au colosse, mais Edilan s'en fichait : il était dehors. Il riait aux éclats alors que le vent, aussi heureux que de lui de le retrouver, l'enserrait de sa fraîcheur matinale. Edilan passa, dans sa folle course, près du saule pleureur en lui accordant une tape sur le tronc, à s'en faire mal à la paume. Il aurait souhaité faire mieux, s'accorder quelques secondes pour se reposer à son pied. Il était immense et en pleine forme et était, sans nul doute, le favori du jeune orphelin.

Mais il était aussi très proche de l'orphelinat, et la directrice n'aurait qu'à tourner la tête pour le voir à travers la fenêtre. Il s'en éloigna alors sans hésiter, remontant la petite rivière qui longeait le bâtiment qui le voyait grandir. Quand il entendit une voix grave, puissante, crier son nom, il décida même de sauter dedans pour la traverser afin d'estomper ses traces. Il ne reviendrait pas tout de suite. Il savait qu'il risquait une terrible correction, mais il comptait bien en avoir pour sa douleur avant ! Ce fut à ce moment-là, alors qu'il jubilait encore de sa liberté temporaire qu'il vit la silouhette devant lui qui lui barrait la route.

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