II

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Garet n'avait pas mangé de la viande depuis des années, et peut-être jamais d'aussi fraiche. Même depuis le début de leur périple, il avait dû se contenter de champignons ou de fruits. Le marchand avait bien de la viande séchée dans ses réserves mais, bien sûr, impossible de le convaincre d'en distribuer. Alors quand Atryonas, motivé, proposa d'aller chasser, tout le monde appuya son idée. Demande à venir avec lui. "Quoi ? Mais pourquoi ?" Cela fait longtemps qu tu n'as pas revu ton amie la mort. "Ouai, 'fin, c'est pas comme si elle me manquait non plus". Certes, mais ne te leurre pas, tu la rencontrera de nouveau, et certainement au cour de ce périple. Plus vite tu l'amadouras, plus vite tu pourras l'accepter. Garet voulut résister, insister, comme à chaque fois, il cèda.

— Je peux venir ? Atryonas, qui venait de saisir son arc le regarda surpris, puis regarda Waël, attendant son accord. Ce dernier haussa les épaules.

— T'attends quoi ? L'autorisation de son papa ? T'as entendu Volkan comme moi je crois, il est grand garçon et responsable.

Atryonas roula des yeux et soupira avant de faire un signe de tête en direction de Garet, et de se glisser dans la forêt. Garet le suivit, d'abord de mauvaise grâce - ce feu lui faisait de l'oeil, et il n'était jamais contre un peu de repos, surtout en sécurité, plutôt que de se glisser dans un bois qu'il ne connaissait pas - mais se prit assez vite au jeu. Il suivait un Atryonas silencieux, courbé en avant, l'arc en main. Garet, qui respectait ce silence, fut surpris d'entendre le mercenaire le briser :

— Reste silencieux, si tu ne veux pas faire fuir le gibier. Tu as déjà chassé auparavant ?

— Non.

— Ouai...Ben tu as déjà fait quelque chose, avant, n'importe quoi ?

Garet réfléchit. Que répondre à ça ? Voler ? Mendier ? Non, bien sûr, il s'adressait à un mercenaire, à un homme qui préfère tuer que demander. S'il voulait redorer un tant soit peu son blason, il fallait éviter ce genre d'âneries. Alors quoi ? Qu'avait-il fait dans sa vie, hormis voyager et quémander ci-et-là de quoi manger ? L'archer se tourna vers lui, intrigué de ce silence et leva un sourcil.

— Étonnant, fit-il simplement en murmurant toujours.

— Euh...Quoi ? Qu'est-ce qui est étonnant ?

— Chut ! Moins fort j'ai dis !

— Pardon, murmura Garet.

Atryonas soupira, observa des traces et le jeune nordien pensa qu'il ne lui répondrait pas, mais finalement, il le fit au bout d'un moment qui parut durer une éternité.

— Tu es jeune, tu étais sur les routes, pas vrai. J'imagine donc que tu as vécu un bon bout de temps seul, sans parents ni alliés, pas vrai ?

Atryonas le regardait pas, pas plus qu'il ne l'écoutait. C'était de la réthorie, ils savaient l'un comme l'autre que c'était la stricte vérité.

— Il est donc étonnant que, doué comme tu parais l'être, tu sois encore en vie.

Il lui lança un regard grave, qui voulait certainement dire quelque chose, mais Garet n'en perçut pas le message. Ils continuèrent un moment à avancer ainsi, courbés dans les bois, mais cette fois dans le silence. Le soleil se baissait et même Garet savait qu'il leur serait difficile de chasser en pleine nuit. S'ils voulaient ramener du gibier, il leur fallait faire vite. Atryonas accéléra légèrement le pas, mais ne semblait pas inquiet, contrairement à Garet. Tu n'as donc pas remarqué ? "Quoi ? De quoi ? Qu'est-ce que je suis sensé avoir remarqué ?" Regarde le sol. Regarde bien autour de toi. Intrigué, Garet obtempéra. Il ne vit d'abord rien. Rien d'autre que la terre, la boue, et les branches. Peut-être quelques insectes ci-et-là, mais rien d'autre. Il se dit ensuite que si son oncle avait vu quelque chose à travers lui, Atryonas devait l'avoir vu également, alors il suivit ses yeux. Il cherchait à voir ce qu'il voyait, à entendre ce qu'il entendait, à sentir ce qu'il sentait.

Soudain, alors qu'enfin il commençait à voir, peut-être, ce qu'il semblait être des traces de pattes, Atryonas lui fit signe de s'arrêter, ce que fit sans hésiter Garet. Il tendit, lentement, l'index, vers quelque chose. Une biche. Une magnifique biche. Elle semblait jeune. Elle broutait, mais regardait aussi parfois autour d'elle, sereine. Elle vous a senti, mais ne vous cherche pas. Regarde-la bien, Garet, regarde la vie dans toute sa splendeur, sa beauté. Le jeune nordien devait reconnaitre que le tableau qui s'offrait à lui avait quelque chose de poétique. Les derniers rayons de soleil qui parvenaient, difficilement, à percer la cime des arbres, illuminaient la biche d'une clareté dorée, presque blanche alors qu'au loin, on devinait les Lunes qui s'apprêtaient à prendre la place de leur cousin du jour. C'était beau oui. Puis soudain, Atryonas décocha une flèche que le jeune homme n'avait pas vu. Elle siffla légèrement, fendit l'air et la vision offerte à eux cruellement.

La biche eût tout juste le temps de lever la tête et une patte en entendant le bruit de l'arc. La flèche, mortellement précise, lui perça le cou. Elle chancela en brâmant, un jet de sang tâchant la nature autour d'elle. Garet sentit ses jambes fléchir, son sang les quittant. Il vit sa mère cracher un jet de sang épais. Et oui. Regarde la encore, la vie. Regarde sa beauté s'évanouir dans l'air sous la cruauté des hommes et des femmes. Elle meurt pour que vous puissiez vivre. Injustice que voilà, mais il faut que tu l'assumes, au même titre que tous. Ne détourne pas le regard ! Je te l'interdis ! S'il était interloqué par l'urgence et l'ordre de Sven, il ne comprenait pas pourquoi il disait ça en ces termes. N'était-il pas humain lui aussi ? Il avait souvenir de l'avoir vu manger avec appétit sanglier ou lapin. Quelque chose clochait dans son discours et même s'il était toujours conscience que ce Sven était probablement le fruit de son imagination, il trouva ces répliques intriguantes.

Toutefois, il ne pouvait lui donner tort. Il regarda Atryonas se redresser et s'avancer tranquillement vers le corps de la biche, encore remuant mais déjà couché. Elle le regardait avec une horreur palpable et une peur brûlante dans son regard. Ses pattes battaient parfois dans le vide. Garet avait envie de s'asseoir près d'elle, de lui caresser l'encolure et lui dire que tout allait bien aller, que sa mort serait douce. De l'apaiser, mais il ne le put. Le mercenaire dégaina un poignard et lui planta dans la poitrine, presque en sifflotant. Combien de biches avait-il tué ? Combien d'ames s'étaient envolées sous son couteau ? Atryonas qui remarqua le regard étrange de son jeune compagnon plissa légèrement les yeux.

— Tu as un soucis ?

Revenant à la réalité et à son estomac gargouillant, Garet secoua la tête et chassa aussi vite qu'elles étaient venues ses pensées.

Le trajet retour fut forcément plus rapide que l'aller et Garet nota que sans le mercenaire, il se serait certainement perdu. Ses jambes fatiguaient de tant de marche, mais voyant Atryonas porter l'animal sur ses épaules en sifflotant, il n'osa pas se plaindre. Quand ils arrivèrent au camp, la nuit était tombée, éteignant les derniers rayons de soleil. Un grand "ah !" de satisfaction les acceuilli et pendant une seconde, Garet se sentit comme un guerrier rentrant d'une bataille héroïque et victorieuse, reçu par les siens. Est-ce cela le sentiment que l'on nommait gloire ? Il pensa à sa mère, qui avait dû ressentir ça un nombre incalculable de fois. Puis il revînt brutalement à la réalité quand on frappa l'épaule d'Atryonas en riant, le félicitant alors qu'il décrit son tir.

— Et le petit ? Demanda Phillia en lui accordant enfin un regard.

Atryonas la regarda surpris, puis se tourna vers le nordien, resté seul en retrait, cherchant visiblement quelque chose de gentil à dire.

— Euh...Ouai...Il a été silencieux.

Il tenta un sourire, mais réalisant que sa gentillesse était plus maladresse, il ne fit que grimacer. Phillia eut un sourire gentil, celui que l'on fait aux enfants naïfs alors qu'on venait de les laisser gagner, et ce sourire déchira Garet. Ce n'était pourtant pas la première fois, loin de là, qu'il le voyait. Mais ce sourire précisément lui fit un coup au bide. Pourquoi ? Hm j'aimerai bien répondre à cette question, mon petit, mais j'suis pas certain d'y parvenir. "Serait-ce l'amour ?" Je l'ignore, imagine la nue. Garet se surpris à essayer. Il la fixa, la tête penchée sur le côté, essayant d'imaginer ses courbes, ses fesses, ses seins. Bien sûr, il n'avait jamais vu de femmes nues, rendant la tâche plus ardue.

— Je peux savoir ce que tu fais ? Fit soudain Zu, le sortant de sa torpeur.

Alors que Hilik portait la biche jusqu'au feu, Garet réalisa que le groupe le regardait, alors qu'il fixait bêtement le fessier de Phillia. Cette dernière devina ce qu'il regardait et eut un petit sourire, plus moqueur qu'autre chose, mais ce fut la seule. Zu levait un sourcil énervé, Atryonas et Waël le regardaient méchamment. Bonjour la discrétion ! Garet toussota et partit s'isoler avec le marchand qui, lui, ricanait dans sa barbe. "Merci pour tes sages conseils !" Je t'ai dis "imagine", pas de la fixer bêtement comme si c'était elle qu'on allait cuire !

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