III

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Le feu qui crépitait était aussi rassurant à ses oreilles que la chaleur qu'il générait ou que la danse orangée de ses flammes. Il le fixait comme si des démons allaient en sortir. Des démons, ou plutôt des anges qui l'enlaceraient, le cajoleraient.

— Héhé regardez le jeune puceau qui découvre le feu de camp ! Lança Atryonas, faisant même sourire Waël.

Garet haussa les épaules, ne sachant pas s'il devait rire ou être véxé. Effectivement, il devait admettre qu'il n'avait pas souvent connu de feu aussi réconfortant que celui-là. Pourquoi ? Autrefois, tes yeux étaient les seuls à se poser sur le feu. Aujourd'hui, tu es entouré. "Tu étais là." C'est vrai. Ravi que tu le mentionnes, mais peut-être que cela ne te suffisait pas ? Il y avait une note, légère, de reproche dans le ton de Sven. Il préféra ne pas relever et se reconcentrer sur le groupe.

— Oh ça va, il faut une première fois à tout. Enfin, sauf pour Zu et son pucelage. Pas vrai ? Fit Phillia, provoquant l'hilarité générale à son tour.

L'impénétrable Zu haussa les épaules.

— Bave, petit escargot, bave, moi je vole.

— Et si je vous racontais ma première mission ? Proposa Atryonas.

La réaction générale fut unanime : des soupirs et des râles. Le mercenaire écarta les bras, demandant une explication.

— On l'a entendu mille fois ton histoire ! Objecta Phillia.

Hilik frappa des mains - Garet l'avait déjà vu faire ça plusieurs fois, pour attirer l'attention - et désigna le plus jeune de la bande de l'index.

— Ouai, approuva son frère, bonne idée, laissons choisir le p'tit jeune. De qui tu veux entendre l'histoire, mon gars ? Waël. Demande Waël. "Pourquoi ?" Crois-moi, ça t'intéressera. Tu verras que tu le verras d'un autre oeil. "Pourquoi voudrais-je connaitre l'histoire du type le plus antipathique que je connaisse, alors que je commence juste à être apprécié des autres ?" Fais-moi confiance, Garet. Il hésita, mais finit par soupirer intérieurement. Et désigna timidement Waël. Pour une raison inconnue, il savait que le guerrier le prendrait mal.

— J'aimerai connaitre l'histoire de notre chef.

Soudain, un froid tomba sur la petite troupe. Plus de rire, plus d'accolade. Chacun se tut, observant ses pieds. Waël, assis en face de Garet leva ses yeux gris sur lui. Les flammes dansaient sur son visage, rajoutant encore de l'obscurité à sa silouhette, déjà bien sombre. Le jeune nordien devina que l'histoire ne sera pas plaisante. Le chef bougea une bûche pour l'empêcher d'étouffer le feu et soupira.

— Très bien, tu veux connaitre mon histoire, tu vas la connaitre.

— Tu n'es pas obligé Waël, fit Volkan derrière lui. Le Templier, qui s'était éloigné du groupe pour prier regardait gravement son ami qui leva un main.

— Il l'a demandé, je me plie à sa demande, ce sera à lui de vivre avec la réponse et de l'interprété.

Garet plissa légèrement les yeux, se demandant ce qu'il entendait par là. C'était un héros à tes yeux, n'est-ce pas ? Oui, il ne pouvait le nier. Même s'il le trouvait désagréable, Waël représentait tout de l'idée qu'il se faisait d'un héros. Brave, puissant, courageux. Et s'il était glacial et détaché, il ne semblait pas profondément mauvais. Et bien regarde, regarde ce que c'est qu'un héros.

— Je vais pas te narrer ma jeune enfance, car ça te regarde pas et car de toute façon ce n'est pas intéressant. Et ce n'est de ça dont tu as soif, n'est-ce pas jeune homme ? Tu veux du sang et de l'héroïsme.

Tâchant de cacher sa stupeur afin que Waël ne devine pas qu'il avait vu juste, Garet fit un bref geste de la main.

— Bref, ma première mission, à priori, n'avait rien de bien difficile. On était à la poursuite d'un assassin notoire, Aethal. On a mis du temps à le trouver, le salaud, mais on a fini par le coincer dans un petit bourg, dans les montagnes. Plus précisément, chez une famille. Pas bien riche, pas bien méchante à première vue. On est allé à dix frapper à la porte. Ils ont ouverts, on a pris Aethal, et on est parti. L'histoire aurait pu s'arrêter là...Aurait dû, même.

De nouveau, il bougea une bûche, stoïque. Garet remarqua que tous les autres membres se taisaient, observant les flammes. Atryonas s'était allongé sur le dos, les bras croisés derrière la tête pour observer les étoiles. Ils n'aimaient pas cette histoire.

— Sauf que...

Le jeune nordien reposa son regard sur le mercenaire, qui le fixait froidement. Son regard lui glaça jusqu'à son âme. Qui que ce soit cet homme, il était à part. Oui, Sven devait avoir raison, il devrait se méfier de lui.

— Sauf que le Temple en a décidé autrement. Ils nous renvoyèrent sur les lieux, afin de punir la famille qui avait hébergé l'assassin.

Garet n'en croyait pas ses oreilles.

— Quoi ?! Mais pourquoi ?! Ils étaient alliés ?

— Non, ils ignoraient jusqu'à son identité.

— Alors...Pourquoi ?

— À nos yeux, ils sont innocents, à ceux des Dieux ils sont complices, au mieux. Les décisions du Temple sont parfois sévères, admit Volkan.

— Mais c'est n'importe quoi ! Lança Garet, stupéfait.

Atryonas eut un rire et son frère hocha la tête.

— Bienvenue dans le monde des grands, mon petit, fit Phillia.

Volkan baissa les yeux et fit la moue, mais Waël ne s'arrêta pas là.

— Nous sommes donc retourné là où nous l'avons trouvé. Tu sais...S'ils avaient été pénitents, s'ils avaient donné un animal ou un peu d'argent, ils auraient été épargné. Mais ils en décidèrent autrement, eux aussi. Ils refusèrent de nous ouvrir. On défonça la porte. Je revois encore mes compagnons d'armes saisir un tronc immense. J'te jure petit, il était tellement gros que jamais j'aurai pu imaginer qu'on aurait pu le soulever. Mais à quatre, on y parvînt. Et là...Boom. Boom. Une fois, puis deux. À la troisième, la porte tomba. Tu sais...On pourrait croire qu'il serait différent de tuer un être innocent qu'un assassin, mais il n'en est rien. C'est exactement la même chose.

— Je...Je ne vous crois pas...

— Ah oui ? Tu as déjà tué quelqu'un toi ? Tu en sais quelque chose ? Moi oui. J'ai tué des assassins, et j'ai tué des innocents. Ce jour-là, quand la porte tomba, ce furent des innocents qui supplièrent. Ce furent des innocents qui tentèrent de fuir. Mon espadon découpa un mioche de là...(Il plaça la tranche de sa main sur son épaule)...À là...(puis sur sa hanche opposée)... Et cet enfant était innocent. La seule différence, c'est que pour l'un, tu meurs si tu rate ton coup.

Éberlué, son regard se posa sur chacun des membres des mercenaires. Non seulement ils ne semblaient pas le démentir, mais ils ne semblaient pas avoir honte, le regardant en souriant.

— Mais...Vous n'êtes pas des héros ! S'écria t-il.

Il se rendit compte de la stupidité de ses paroles, mais ce fut plus fort que lui. Waël eut un rire mauvais, tout sourire.

— On a jamais demandé à l'être, gamin, rétorqua Zu.

— J'avais ton âge gamin. Et toi, tu serais capable de faire ça ?

Garet se demanda s'il allait vraiment finir comme ça, désabusé et cynique. Avaient-ils perdu espoir en l'humanité et l'héroïsme, ou étaient-ils simplement foncièrement mauvais ? Quand il vit le sourire de Phillia, il eut du mal à le croire. Je te l'avais dis, Garet. Ce type est tout sauf un héros. Tu dois le fuir. Sven ne semblait pas le haïr comme il le prétendait, mais plutôt le craindre. Mais pourquoi ? Pourquoi un oncle mort craindrait un guerrier sans foi ni loi ? Il baissa les yeux, incapable de répondre à Waël, provoquant un nouveau rire méchant de sa part, alors qu'il se levait.

— Moi je vais me coucher. J'ai hâte de te voir au combat, en tout cas. Voir combien de passe tu tiens avant de mordre la poussière. Et n'oublie pas...De l'épaule à la hanche.

Joignant l'acte à la parole, il partit se coucher. Garet le suivit du regard, les dents serrées et le regard triste. Phillia lui tapota l'épaule, tendant le bras.

— J't'avais prévenu, faut lui laisser du temps. Tu sais maintenant pourquoi.

Elle lui souriait doucement, et ce sourire le réconforta un peu. Il ne savait pas pour les autres, mais cette femme ne pouvait être totalement mauvaise. Méfie toi des apparences. Ce n'est pas parcequ'elle sourit qu'elle est gentille. Même les démons savent sourire. "Elle tente souvent de me réconforter." Cela ne prouve rien. Garet n'insista pas, mais il persistait à croire qu'elle était différente. Peut-être se leurrait-il, mais il sentait qu'à son contact, le mur qu'il s'était construit pour se protéger des autres s'effritait doucement. Il répondit à son sourire, ignorant que, de l'autre côté du feu, Zu le fixait en plissant légèrement le regard.

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